Джек Марс

L'Agent Zéro


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s’arrêta, la main sur la porte. S’il entrait, il ne pourrait pas faire machine arrière. Il pouvait encore passer son chemin. Non, décida-t-il, il ne le pouvait pas. Où irait-il ? Chez lui pour qu’ils viennent de nouveau le chercher ? Et pour vivre avec ces étranges visions dans sa tête ?

      Il entra à l’intérieur.

      Les murs du bar étaient peints en noir et rouge, recouverts de posters des années 50 à l’effigie de silhouettes, de pin-up souriantes et de publicités pour des cigarettes. Il était trop tôt, ou peut-être trop tard, pour que l’endroit soit fréquenté. Les rares clients autour de lui parlaient à voix basse, repliés sur leur boisson en guise de protection. Un air de blues mélancolique émanait doucement d’un poste stéréo derrière le comptoir.

      Reid balaya de nouveau la pièce du regard, de gauche à droite. Personne ne regardait dans sa direction et il n’y avait apparemment personne qui ressemblait aux types qui l’avaient pris en otage. Il s’installa à une petite table dans le fond de la pièce et s’assit face à la porte d’entrée. Il commanda un café, qui arriva encore fumant presque immédiatement devant lui.

      Un cinquantenaire au dos courbé se glissa au bas de son tabouret et se dirigea en boîtant vers les toilettes. Le regard de Reid fut rapidement attiré par ce mouvement, détaillant l’homme de la tête aux pieds. Né à la fin des années soixante. Dysplasie à la hanche. Doigts jaunis, respiration difficile : un fumeur de cigares. Ses yeux se tournèrent vers l’autre côté du bar, sans bouger sa tête, où deux hommes à l’allure bourrue, vêtus de bleus de travail, avaient une conversation animée à voix basse à propos de sport. Des ouvriers d’usine. Celui de gauche ne dort pas assez, certainement un jeune père de famille. L’homme de droite s’est battu récemment ou, du moins, a donné un coup de poing : les jointures de ses doigts sont meurtries. Sans même s’en rendre compte, il se retrouva en train d’examiner les ourlets de leurs pantalons, leurs manches et la façon dont ils posaient leurs coudes sur la table. Quelqu’un avec une arme se protégerait, essayerait de la dissimuler, même inconsciemment.

      Reid secoua la tête. Il devenait paranoïaque et ces pensées étrangères constantes ne l’aidaient pas. Mais il se souvint de la scène étrange à propos de la pharmacie, du souvenir de son emplacement rien qu’en pensant au besoin d’en trouver une au plus vite. L’académicien qui se trouvait en lui prit le dessus. Peut-être y a-t-il une leçon à tirer de tout ça ? Peut-être qu’au lieu de lutter contre ça, il faudrait accepter la chose ?

      La serveuse était une jeune femme à l’air fatigué et à la crinière brune emmêlée. “Vous auriez un stylo ?” demanda-t-il alors qu’elle passait près de lui. “Ou un crayon ?” Elle chercha dans l’enchevêtrement de ses cheveux et en sortit un stylo. “Merci.”

      Il étendit une serviette en papier devant lui et posa la pointe du stylo dessus. Cette fois, il ne s’agissait pas d’une nouvelle compétence qu’il n’avait jamais apprise. C’était la tactique du Professeur Lawson, mise en pratique à maintes reprises par le passé pour se souvenir des choses et faire travailler sa mémoire.

      Il repensa à sa conversation, s’il pouvait appeler ça ainsi, avec les trois ravisseurs arabes. Il essaya de ne pas penser à leurs yeux mornes, au sang sur le sol, ni aux instruments acérés du plateau, conçus pour découper n’importe quelle vérité qu’ils pensaient que Reid détenait en lui. Au lieu de ça, il se concentra sur les données qui avaient été exprimées et il nota le premier nom qui lui vint en tête.

      Puis, il le prononça doucement à voix haute. “Cheikh Mustafar.”

      Un site secret au Maroc. Un homme qui a passé sa vie entière dans la richesse et l’opulence, piétinant les moins chanceux que lui, les écrasant sous ses chaussures. À présent, il est apeuré car il sait que tu peux l’enterrer dans le sable jusqu’au cou et que personne ne trouvera jamais ses os.

      “Je vous ai dit tout ce que je sais !” insiste-t-il.

      Non, non. “Mon intuition me souffle le contraire. Quelque chose me dit que vous en savez bien plus, mais que vous avez peut-être peur des mauvaises personnes. Je vais vous dire, Cheikh… Mon ami, dans l’autre pièce, il commence à s’impatienter. Et il a ce marteau, vous savez ? C’est juste un petit outil pour briser de la roche, un truc utile aux géologues par exemple. Mais ça fait des merveilles sur les petits os, les jointures des doigts…”

      “Je le jure !” Le cheikh se tord nerveusement les mains. Tu sais que c’est un signe qui ne trompe pas. “Il y a eu d’autres conversations au sujet des plans, mais elles étaient en allemand, en russe… Je n’ai rien compris !”

      “Vous savez, Cheikh… une balle fait le même bruit dans toutes les langues.”

      Reid se retrouva de nouveau dans le tripot. Il avait la gorge sèche. Ce souvenir était intense, tellement vivace et précis qu’il sut qu’il l’avait véritablement vécu. Et c’était bien sa voix dans sa tête, proférant des menaces, disant des choses qu’il n’aurait jamais pensé dire à qui que ce soit.

      Des plans. Le cheikh avait bien dit quelque chose à propos des plans. Quelle que soit la chose terrible qui harcelait son subconscient, il avait la sensation claire que ça ne s’était pas encore produit.

      Il avala une gorgée du café, à présent tiède, pour se calmer les nerfs. “OK,” se dit-il. “OK.” Durant son interrogatoire dans le sous-sol, ils lui avaient posé des questions à propos des autres agents de son camp et trois noms lui étaient venus en tête. Il en nota un, puis le lut à haute voix. “Morris.”

      Un visage lui revint immédiatement à l’esprit, un homme d’une petite trentaine d’années, charmant et conscient de l’être. Un demi-sourire arrogant sur un coin de la bouche. Des cheveux bruns, coiffés pour le faire paraître plus jeune.

      Une piste privée de décollage à Zagreb. Morris court à côté de toi. Vous avez tous les deux vos flingues en main, pointés devant vous. Vous ne pouvez pas laisser les deux iraniens atteindre l’avion. Morris vise entre les pas et tire deux coups. L’un atteint le mollet et le premier homme tombe. Tu touches l’autre qui s’écroule brutalement sur le sol…

      Un autre nom. “Reidigger.”

      Un sourire d’enfant, des cheveux coupés courts. Un peu de bide. Son poids serait mieux réparti s’il mesurait quelques centimètres de plus. Ce n’est pas un apollon, mais il le prend avec bonhommie.

      Le Ritz de Madrid. Reidigger surveille le couloir pendant que tu balance un coup de pied dans la porte et prend le terroriste par surprise. L’homme veut saisir l’arme sur le bureau, mais tu es plus rapide. Tu lui tords le poignet… Plus tard, Reidigger te dira qu’il a entendu le bruit depuis le couloir. Que ça lui a retourné l’estomac. Vous éclatez de rire tous les deux.

      Le café était froid désormais, mais Reid s’en aperçut à peine. Ses doigts tremblaient. Il n’y avait plus aucun doute : peu importe ce qui était en train de lui arriver, il s’agissait de souvenirs… ses souvenirs. Ou ceux de quelqu’un. Les ravisseurs avaient sorti quelque chose de son cou et avaient parlé de suppresseur de mémoire. Cela ne pouvait pas être vrai, ce n’était pas lui. C’était quelqu’un d’autre. Les souvenirs de quelqu’un d’autre se mêlaient aux siens.

      Reid posa de nouveau le stylo sur la serviette en papier et inscrivit le troisième nom. Il le prononça à haute voix : “Johansson.” Une silhouette se forma dans son esprit. De longs cheveux blonds et brillants. Des pommettes lisses et rebondies. Des lèvres pulpeuses. Des yeux gris, couleur ardoise. Une vision le submergea…

      Milan. De nuit. Un hôtel. Du vin. Maria est assise sur le lit, jambes repliées sous elle. Les trois premiers boutons de sa chemise sont ouverts. Ses cheveux sont ébouriffés. Tu n’avais jamais remarqué avant à quel point ses cils sont longs. Deux heures plus tôt, tu l’as vue tuer deux hommes dans une fusillade. Mais, maintenant, il n’y a plus que le Sangiovese et le Pecorino Toscano. Vos genoux se touchent presque. Son regard croise le tien. Aucun de vous deux ne parle. Tu peux