La première c’est que quelque chose le pousser à tuer et par conséquent il cherche des victimes dont le profil est parfait pour qu’il ne se fasse pas prendre. Pour une raison ou pour une autre, il fait cela maintenant et tout d’un coup — il y a donc eu un évènement déclencheur, dit Zoe en tapotant le bout de son stylo contre son menton. L’autre possibilité, c’est que ce sont ces victimes en particulier qui le poussent à tuer. Dans ce cas, il ne sait même pas qu’il va les tuer avant le moment même.
— En d’autres termes, soit il cherche des femmes à tuer délibérément, soit il tue uniquement en raison de l’opportunité et de quelque chose chez les femmes qui le pousse à l’acte, dit Shelley en plissant les yeux d’un air pensif.
— Réfléchis, fit remarquer Zoe en secouant la tête et en faisant les cent pas devant le chevalet. C’est trop parfait pour être aléatoire. Un par nuit — ça veut dire que c’est compulsif. Si sa seule motivation venait de moments déclencheurs précis, les attaques seraient plus espacées. Il serait chez lui certains soir ou du moins, il ne rencontrerait personne qui le pousserait à tuer. Non, c’est délibéré et calculé. Il a tué chacune de ces femmes pour une raison, c’est un message ou un rituel.
Elle s’approcha de nouveau et écrivit « un meurtre par jour — rituel » sur la feuille.
— Et quid des lieux ? demanda Shelley en désignant les lieux alignés sur la même route en-dessous de la dernière punaise sur le bas de la feuille de papier.
Zoe égrena une liste qu’elle lut sur la carte en faisant de petits écarts de chaque côté au cas où il se fût écarté de sa route comme il l’avait fait auparavant.
— On devrait contacter les autorités de chacune de ces villes afin de nous assurer qu’elles soient toutes au courant de ce qui pourrait arriver. Une sécurité renforcée et une force publique sur ses gardes pourraient aider à l’attraper.
Elles regardèrent toutes les deux le profil en silence tout en réfléchissant. Zoe, pour sa part, essayait de voir la séquence. Il n’y avait que trois choses qui avaient du sens à ses yeux : le fait que toutes les victimes étaient des femmes, la chronologie ou quelque chose en lien avec les lieux. Mais qu’était-ce ?
Elle repensa aux bonbons colorés éparpillés sur le sol de la station-service. Il y en avait près du corps de Linda, sur le parking et à l’endroit où elle avait dû passer pour se rendre à l’arrière du bâtiment avant de revenir sur ses pas. C’était si étrange. Il était tout à fait possible qu’un enfant les eût fait tomber plus tôt dans la journée après s’être arrêté avec ses parents, mais… il y avait quelque chose qui la travaillait.
C’était peut-être simplement le fait que c’était incohérent. Des bonbons colorés et joyeux sur la scène d’un violent meurtre nocturne. Des points colorés sur un sol taché de sang. Cela n’avait peut-être aucune signification.
— On n’a pas grand-chose, finit-elle par soupirer. Mais c’est un début. Si on y ajoute le fait qu’il est probablement jeune, au moins plus jeune que l’âge moyen, en se basant sur les statistiques sur l’âge auquel les tueurs en série commencent à tuer, on a assez réduit les possibilités pour avoir quelque chose à présenter. Je vais demander aux médecins légistes de nous donner des chiffres plus concrets basés sur leurs découvertes, comme ça, on pourra au moins donner une description de quel genre de personne chercher.
C’était à peine une mince consolation, pensa-t-elle, si le tueur allait faire une autre victime cette nuit-là — et elles n’étaient en aucun cas en position de faire quoi que ce soit pour l’en empêcher.
CHAPITRE SIX
Il y aurait un autre corps cette nuit-là.
C’était la quatrième nuit et cela signifiait qu’il devait y avoir un quatrième corps.
Il avait conduit toute la journée, s’approchant de plus en plus de son but. Bien qu’il fût dans les temps, il devenait de plus en plus nerveux tandis que le soleil se déplaçait dans le ciel. Il devrait être au bon endroit quand il serait couché ou tout aura été en vain.
Il ne pouvait pas échouer maintenant.
Il regarda de nouveau le téléphone en équilibre sur le tableau de bord et maintenu par un support attaché au conduit de la climatisation. La carte en ligne mettait du temps à s’actualiser là où il était car le réseau était plus faible. L’autoroute était longue et droite au moins, il n’avait pas besoin d’en sortir. Il ne se perdrait pas et il ne raterait pas non plus sa destination.
Il savait précisément où il devait aller. Tout était planifié pour lui, c’était écrit dans les étoiles. Excepté que cette séquence était bien plus précise et facile à lire que la masse de points qui clignotaient dans le ciel nocturne. Évidemment, un expert pouvait trouver ces séquences, même là-haut. Mais sa séquence devait être lue même par ceux qui ne voyaient pas en temps normal — et ils verraient quand il aurait enfin terminé.
Qui ce serait était une autre question. Où et quand — oui, les réponses à ces questions étaient dictées par la séquence. Mais le qui était plus une question de chance et c’était en raison de cela qu’il agitait sa jambe sur le frein, son genou sautant et heurtant presque le volant à chaque fois.
Il prit une profonde inspiration apaisante, respirant l’air qui refroidissait rapidement. Il n’était pas difficile de sentir que le soleil descendait dans le ciel, mais il n’était pas encore trop tard. Les séquences lui avaient dit ce qu’il était censé faire, et il allait le faire à présent. Il devait le croire.
Les pneus de sa berline ne cessaient de vrombir sur le bitume lisse de la route, un apaisant bruit de fond. Il ferma brièvement les yeux, confiant que la voiture resterait droite, et prit une autre profonde inspiration.
Il tapota ses doigts sur le joint de la fenêtre ouverte, tombant dans un rythme simple et répétitif, et sa respiration se calma de nouveau. Tout irait bien. Tout comme cette voiture avait bien tenu le coup toutes ces années depuis qu’il l’avait achetée, toujours fiable et sûre, les séquences ne le laisseraient pas tomber. Tant qu’il contrôlait le niveau d’huile et la faisait réviser de temps en temps, elle tiendrait le coup. Et s’il faisait en sorte d’être au bon endroit au bon moment, les séquences seraient là.
Elles étaient tout autour de lui : les lignes de l’autoroute qui s’étiraient au loin, toujours droites et de plus en plus étroites, et qui lui disaient exactement où aller. Les traînées de nuages cirrus qui semblaient elles aussi indiquer la même direction tels de longs doigts qui l’encourageaient à continuer à avancer. Même les fleurs le long de l’autoroute étaient inclinées, penchées avant et impatientes, tels des motifs de voiture de course qui avalaient les kilomètres sous ses roues.
Tout se mettait en place, tout comme la façon dont les bonbons étaient tombés avant qu’il eût tué la femme à la station-service. La façon dont cela lui avait dit exactement ce qu’il devait faire ensuite et lui avait permis de voir qu’il avait déjà trouvé le bon endroit et la bonne victime.
Les séquences s’assureraient qu’il soit récompensé à la fin.
* * *
Malgré toutes ses pensées rassurantes, son cœur commençait à tambouriner d’angoisse tandis que le soleil commençait à descendre de plus en plus vers l’horizon et qu’il n’avait toujours pas vu qui que ce soit qui convenait.
Mais la chance lui sourit de nouveau — l’heureux hasard d’être au bon endroit au bon moment et de faire confiance à l’univers pour qu’il s’occupe du reste.
Elle marchait à reculons le long de la bande d’arrêt d’urgence, un bras tendu sur le côté et le pouce levé. Elle devait s’être tournée dès qu’elle l’avait entendu approcher, son moteur et le vrombissement des roues trahissant sa présence