bon ? dit Frenchy.
Luke hocha la tête.
— C’est bon.
Frenchy prit une longue bouffée de sa cigarette. Il recracha lentement la fumée puis sourit et hocha la tête.
— Chouette.
* * *
— Vite, dit Ed Newsam.
Il ne parlait à personne et c’était bien parce que personne n’aurait pu l’entendre.
— Très, très vite.
Il se tenait dans le poste de pilotage, les pieds nus, les mains sur le gouvernail d’un bateau qui avait la forme d’une cale immense. Le bateau était long et étroit, avec une proue très longue. À la poupe, il y avait cinq gros moteurs de 275 chevaux. Le bateau lui-même n’avait que deux sièges.
En Amérique, ils auraient appelé ça un bateau Cigarette ou un Go Fast. À l’époque où il n’y avait pas encore de repérage par satellite, les trafiquants de drogue de la Floride du Sud utilisaient ces bateaux pour semer les gardes-côtes. Cela dit, ce bateau-là n’était pas plein de cocaïne.
Dans la proue du bateau, juste au bout, il y avait un minuscule compartiment. Ce compartiment était bourré d’une petite quantité de TNT.
Ed fonçait dans la nuit, tous feux éteints, bondissant sur les remous. Ses moteurs rugissaient, produisaient un bruit immense. Le vent hurlait autour de lui. Devant lui, à peut-être trois clics de distance, il y avait la côte de la Géorgie, en grande partie plongée dans l’obscurité. Derrière lui, il y avait les lumières éclatantes de Sotchi. Sotchi jouissait de sa période post-communiste en nageant dans la richesse. Les bateaux chers comme celui-là se trouvaient facilement.
En fait, derrière Ed, il y avait un autre hors-bord qui fonçait aussi vite.
Ce bateau était piloté par un casse-cou géorgien timbré du nom de Garry. Ed ne pouvait pas voir Garry de là où il était. Garry naviguait lui aussi tous feux éteints et Ed ne pouvait pas entendre Garry. Il y avait trop de bruit pour qu’il puisse entendre quoi que ce soit, mais il savait que Garry était derrière. Il le fallait.
La vie d’Ed en dépendait.
Tout comme le conducteur tchétchène fou de Stone, Frenchy, Gary avait été fourni par Grand Papa Bill Cronin. Grand Papa venait de la CIA et ils n’étaient pas supposés impliquer la CIA dans cette affaire, mais ils le faisaient quand même. Le danger, c’était que la CIA ait laissé fuiter des informations quelque part.
— Les salaires que Bill Cronin distribue viennent de la CIA, avait dit Don Morris, mais cet homme ne suit aucune autre loi que la sienne. S’il nous donne des agents, ces agents ne parleront pas. Il n’y aura aucune violation de sécurité. Je peux vous l’assurer.
Donc, Garry était là et les vies d’Ed, de Luke et de tous les autres dépendaient de lui.
À la gauche d’Ed, à l’est, il y avait un long brise-lames en pierre qui avançait loin dans l’eau. Il protégeait une petite zone portuaire. Ed le longea entièrement en arrivant en diagonale. Ralentissant juste un peu, il tourna brusquement vers la terre.
Ed jeta un coup d’œil au ciel pour vérifier s’il y avait des avions.
Rien. La voie était libre.
Ce brise-lames était surmonté de quais en béton qui longeaient la terre à cent mètres de la côte. Le brise-lames et la côte formaient une passe étroite de mille mètres de long. À l’autre bout, il y avait le cargo, le Yuri Andropov II.
La mission d’Ed était d’y pratiquer un trou. Un trou avec peut-être un petit feu. Un incident suffisant pour provoquer une diversion, détourner l’attention, suffisant pour que Stone et Frenchy puissent se glisser sur le bateau, libérer les prisonniers et peut-être même saborder le submersible.
Les Russes savaient que les Américains les regardaient depuis le ciel. Donc, ces quais donnaient l’impression qu’il ne s’y déployait qu’une activité minimale. Juste un vieux cargo, pas trop de sécurité, rien à voir ici.
Pourtant, Ed savait qu’il y avait des hommes armés sur ces quais. Faire remonter cette passe à ce bateau allait être risqué.
Il atteignit l’embouchure de la passe. Il inspira profondément.
— Garry, j’espère que t’es là.
Il poussa l’accélérateur à fond. Les moteurs hurlèrent.
Le bateau fonça encore plus vite qu’auparavant.
La terre défilait à toute vitesse à gauche et à droite. Le brise-lames était à sa gauche, la côte à sa droite, mais il ne quittait pas sa cible des yeux. Il la voyait, maintenant. L’Andropov se profilait au loin. Il se présentait perpendiculairement et lui montrait ainsi toute sa longueur.
— Splendide.
À sa gauche, des hommes couraient le long des quais. Pour lui, c’étaient de minuscules silhouettes en forme de bâtonnets qui avançaient lentement, beaucoup trop lentement.
Il se baissa autant que possible, car il savait déjà ce qu’ils allaient faire. Un instant plus tard, une rafale d’arme automatique déchira le flanc du bateau. Il le sentit plus qu’il ne l’entendit ou le vit. Le martèlement des balles à calibre élevé déviait son bateau.
Le pare-brise se cassa.
L’Andropov approchait et grandissait.
Il y avait une barre de fer par terre. Ed la ramassa. Une extrémité de la barre avait un outil de serrage, presque comme une main. Il plaça une extrémité de la barre sur le gouvernail et cala l’autre extrémité dans une fente en métal pratiquée dans le sol.
C’était une méthode classique, mais elle fonctionnerait. Elle permettrait au bateau d’aller plus ou moins droit.
Il leva le regard. L’Andropov était gros, maintenant.
Il semblait être juste sous son nez.
— Bon, faut y aller.
Il se précipita vers le côté droit du bateau, loin des tirs. Il s’accroupit, mit toute sa force dans ses jambes et bondit vers la droite, par-dessus le plat-bord. Il se mit en boule, comme un enfant qui fait une bombe à la piscine du coin.
Le bateau s’éloigna pendant qu’il était en l’air.
Il eut vaguement la sensation de tomber, de tomber dans le ciel. Un long moment passa. Il tomba dans l’eau et, pendant un moment, l’obscurité l’enveloppa. Il la traversa comme une tornade et sa seule sensation fut de vitesse et de ténèbres.
D’abord, il y eut un fort rugissement, puis les sons étouffés des profondeurs.
Pendant un moment, il s’imagina qu’il flottait dans le ventre de sa mère, maintenant baigné d’une lumière chaude. Il se rendit compte que la balise lumineuse de son gilet de sauvetage venait de s’allumer. Le gilet le ramena à la surface, au rugissement et aux embruns du sillage du bateau.
Il inspira brusquement puis replongea. Pendant quelques autres secondes, les tireurs allaient le chercher.
Après ça …
Il remonta à la surface une fois de plus. Tout était sombre : la nuit, l’eau, tout.
Pendant un moment, il ne vit plus le bateau, puis il le repéra. Il avançait vite et devenait de plus en plus petit. Il était minuscule dans l’ombre portée du cargo.
Ed replongea sous la surface, vers la sécurité de l’obscurité.
* * *
Appuyé contre la Lada, Luke faisait mine de fumer une cigarette. Par ici, tout le monde fumait, donc, il faisait de même parce qu’il pensait que cela pourrait l’aider à améliorer son déguisement.