d’écouter leur conversation plus longtemps. Elle devrait courir dans sa chambre et attraper sa valise — celle qu’elle avait déjà préparée, et fuir la maison de son père à jamais. Se marier avec le Comte serait la pire des choses qu’elle pourrait faire. Mais son père… Il était beaucoup plus odieux que ce qu’elle n’aurait jamais pu imaginer.
Le Vicomte haussa les épaules avec indifférence.
« Sa mère ne se gênait pas pour écarter ses jambes pour moi. Je doute que ma fille soit si différente d’elle. Elle ira volontiers dans votre lit. »
Son père était aussi mauvais que le Comte. Elle avait essayé de trouver quelque chose de bon en lui durant toutes ces années, mais cette fois c’était bel et bien finit. Certes, il avait pris soin d’elle, mais visiblement il ne l’avait jamais aimée. Elle méritait beaucoup mieux que ce qu’il ne lui avait jamais offert. Il était temps pour elle de prendre le contrôle de sa vie et de quitter cette maison.
« Êtes-vous vraiment sûr de ça ? répondit le Comte sur un ton dubitatif. Certaines Dames ne trouvent pas que se faire prendre par un homme soit… Agréable.
— Et bien vous devez probablement vous y prendre mal, s’exclama son père en se servant un verre. Ce cognac que vous m’avez apporté est parfait. Aussi longtemps qu’elle sera à vous, je me fous de savoir ce que vous ferez d’elle. Elle sera officiellement votre problème après le mariage. »
Natalia en avait assez entendu. Son père pouvait aller bruler en enfer et le Comte se joindre à lui. Elle ne voulait rien avoir à faire avec aucun de ces deux hommes. Une larme coula le long de sa joue. Elle l’essuya d’un revers de la main et se précipita dans sa chambre. Au moins, sa chambre n’était pas loin. Elle se trouvait à côté du quartier des domestiques. Compte tenu de son illégitimité, elle ne méritait pas d’être à l’étage avec la famille. Sa chambre était petite, elle ne contenait qu’un lit étroit et une armoire minuscule. Son père lui avait fourni une belle robe pour les grands diners où il exigeait sa présence, ainsi qu’une tenue de jour et une autre pour les promenades. Ses objets personnels étant limités, les deux robes avaient été faciles à glisser dans sa valise. Son argent de poche se trouvait dans une bourse cousu à sa robe de jour qu’elle portait.
Elle se rua dans sa chambre, empoigna sa valise, et se dirigea vers la porte d’entrée arrière. Natalia saisit son manteau du crochet à proximité et le revêtit en sortant. Son père ne la chercherait pas tout de suite. Il était bien trop occupé à boire et à converser avec le français dans son bureau. Le Vicomte n’était même pas loyal envers son propre pays. Il ne pensait qu’à sa petite personne. Natalia était profondément écœurée par lui. Elle aurait souhaité pouvoir prétendre être la fille d’un autre homme que son père.
La neige tombait encore et le vent soufflait. Elle s’en moquait. Tant qu’elle arrivait à temps au village de Faversham pour monter à bord de la diligence avant son départ, tout irait pour le mieux. Autrement, son évasion serait bien plus compliquée. Le froid s’infiltrait en elle, mais elle ne le laisserait pas l’arrêter. Natalia continuait d’avancer aussi vite que ses jambes le pouvaient. Après un quart d’heure, elle arriva enfin aux abords de la ville. La diligence était déjà chargée devant l’auberge. Elle ne pouvait pas la laisser partir sans elle. Natalia serra sa valise contre sa poitrine et s’engagea dans une course folle. Lorsqu’elle atteignit la diligence, son souffle était irrégulier.
« Attendez ! cria-t-elle entre deux souffles. S’il vous plait… Attendez.
— Vous souhaitez acheter une place ? » demanda le cocher. Il avait les cheveux aussi blancs que la neige qui tombait du ciel, avec quelques mèches grises au niveau des tempes. Son visage était rougi par le vent hivernal et ses joues ainsi que son nez étaient plus rosés que le reste.
« Oui, acquiesça-t-elle furieusement. Quelle est votre destination ? » Natalia n’avait pas pensé à prendre connaissance de la course habituelle de la diligence. Elle n’avait pas vraiment planifié son départ. Bien qu’une partie d’elle-même savait qu’elle aurait dû se douter que son père, d’une façon ou d’une autre, finirait par la trahir de la pire manière qu’il soit. Il n’avait jamais été vraiment bon pour elle et ne lui avait fourni que le strict nécessaire à sa survie. Même ses cadeaux n’avaient été rien de plus que des objets appartenant à sa mère. Elle ne lui accorderait plus une seule pensée. Natalia fit de son mieux pour se concentrer plutôt sur le cocher. Sa réponse était indispensable pour planifier le reste de son voyage.
« Nous avons plusieurs arrêts. Le cocher fit un signe de la tête en direction de la route. Nous allons traverser Canterbury et le dernier arrêt est à Dover. »
C’était très bien. Elle pourrait envisager de trouver quelqu’un sur place pour l’emmener en France. Peut-être un contrebandier… Un navire militaire n’emmènerait jamais une femme en France. Surtout avec la guerre…
« Merci, répondit-elle. J’aimerais acheter une place. »
Elle paya sa place et monta à bord de la diligence. Il n’y avait pas beaucoup de place à l’intérieur, mais elle était la seule à avoir acheté un billet. Si elle avait eu le choix, elle n’aurait pas voyagé par ce mauvais temps. Natalia posa sa tête sur le côté de la voiture et ferma les yeux. Peut-être qu’en faisant une sieste le voyage serait plus rapide et elle pourrait oublier le froid qui parcourait son corps.
Natalia se réveilla sous les étoiles. La voiture tremblait fortement et la secouait. La neige tombait plus fort que lorsqu’elle était montée à bord — des flocons s’étaient frayé un chemin à travers la fenêtre ouverte. Sa jupe était complètement trempée, à tel point que bientôt, elle ne pourrait plus sentir ses pieds. S’endormir n’avait peut-être pas été la meilleure décision qu’elle ait prise. Elle regarda autour d’elle et pu à peine distinguer quoi que ce soit autour d’elle. Ils étaient en plein milieu d’une tempête de neige.
Elle sortit sa tête par la fenêtre et jeta un coup d’œil au cocher. Il faisait des vas et vient sur la banquette. Natalia n’arrivait pas à voir s’il avait le contrôle ou non. Il n’avait pas l’air… Bien. Elle commença à s'inquiéter pour sa sécurité et sentit la panique la saisir. Si le cocher ne pouvait pas les conduire au moins jusqu’au prochain village, qu’allait-il lui arriver ?
« Monsieur ! » hurla-t-elle hors de la fenêtre, mais ça semblait futile. Il ne répondait pas du tout. Le vent s’était levé et elle pouvait à peine s’entendre crier, mais il fallait qu’elle essaie encore.
« Monsieur ! est-ce que ça va ? »
Le cocher prit une cravache et fouetta les chevaux pour les encourager à aller plus vite. Avait-il perdu la tête ? Au moins il était alerte… Si les chevaux allaient plus vite, il pourrait perdre le contrôle et ils pourraient avoir un accident. Elle devait trouver un moyen de se préparer à un possible impact. Vu la façon dont la neige tombait, c’était presque une certitude.
« Monsieur ! » s’écria-t-elle — son cœur s’emballa dans sa poitrine. Natalia saisit le bord de la fenêtre tandis qu’elle priait pour survivre à ce maudit voyage.
« Doucement… » Sa gorge était enrouée d’avoir crié contre ce vent violent.
Les chevaux continuaient de courir sous les encouragements du cocher. Une boule qu’elle n’arrivait pas à dégager s’était formée dans sa gorge. La neige volait à travers le vent et venait lui fouetter les joues en traversant la fenêtre. La calèche se balança à nouveau et zigzagua le long de la route. Le ciel, qui plus tôt dans la journée était d’un bleu lumineux, s’était assombri avec la tempête.
Soudain, le bruit d’une fissure résonna dans le vent et son cœur bondit. Natalia agrippa le coté de la calèche et se tint fermement, tandis que la diligence bascula en avant, puis roula sur le côté en glissant vers le bord de la route. Sa main lâcha prise,