prochain, si j’arrivais à convaincre à nouveau mes amis; et sinon, le nord de l’Italie n’est pas mal non plus.
Un grand bruit, comme une explosion, suivi d’un mouvement très brusque de l’avion m’arracha à mon monde de fantaisies. L’appareil commença à faire des soubresauts dans les airs et j’eus bientôt l’impression d’être monté sur une montagne russe. Je me retrouvai par terre, au milieu du couloir, projeté sur une dame. Je me levai tant bien que mal et me rassis, essayant de ne pas tomber à nouveau. Des cris de panique résonnaient partout. La confusion était totale.
– Au feu, au feu! L’aile a été touchée! – cria quelqu’un assis du côté du couloir opposé au mien.
– A droite! – signala un autre passager.
Au début, je ne savais pas à quoi tout cela faisait référence, mais lorsque je regardai par le hublot de son côté, je vis une grande fumée épaisse. Comme si l’appareil était plongé dans la nuit, une nuit tragique. L’avion décrivait des mouvements chaque fois plus brusques. Certaines personnes commencèrent à crier. L’on entendit dans les haut-parleurs la voix fébrile et à peine audible du pilote nous disant que la guérilla du Congo, que nous survolions à présent, nous avait lancé un missile et que nous allions devoir réaliser un atterrissage d’urgence. Une femme eût une attaque d’hystérie et deux hôtesses et un homme qui proposa son aide durent la faire asseoir et l’attacher. Nous nous sommes assis rapidement, tous les trois, avons resserré nos ceintures et avons adopté la position que nous avait indiquée l’hôtesse après être montés dans l’avion, la tête entre les genoux, le regard rivé sur le sol en métal, peu rassurant. Nous étions terrorisés. Tandis que je me trouvai dans cette posture incommode, je me rappelai qu’une fois, au journal télévisé, j’avais entendu parler de ces rebelles qui s’autofinançaient puisqu’ils contrôlaient l’une des mines du pays. Une mine de diamants ou de coltan, minerai de prix contenant un métal indispensable à la fabrication des puces des téléphones portables, des puces électroniques ou des composants de centrales nucléaires. C’était une sorte de guerre civile sanglante, dans laquelle les pays limitrophes avaient des intérêts économiques et militaires. Elle durait depuis plus de vingt ans et ne semblait pas près de cesser.
Les secousses étaient si fortes qu’elles me projetaient en avant, encore et encore, avec un tel élan que la ceinture de sécurité me comprimait l’estomac, me laissant le souffle coupé, et que ma tête s’en venait frapper le siège de devant. Je me rendis compte que le nez de l’avion pointait vers le sol, amorçant une descente vertigineuse. Le bruit était infernal, comme si des milliers de moteurs tournaient à plein régime en même temps. Juste avant de toucher le sol, le pilote fit une dernière annonce par les haut-parleurs : il allait tenter un atterrissage d’urgence dans une clairière qu’il avait localisée. Ma dernière pensée fut que le choc allait tous nous tuer. Après, tout fut confusion, de grands bruits, des chocs, l’obscurité…
Lorsque je repris connaissance, j’avais un très fort mal de tête. Je portai la main à mon front et vis que je saignais un peu. J’avais, de plus, des contusions et des griffures sur tout le corps; surtout une grosse éraflure, la peau rougie par le frottement de la ceinture. Je passai mes doigts dessus et sentis une forte brûlure qui me fit serrer violemment les dents. Je regardai mes amis, Juan paraissait commotionné, il émettait une sorte de grognement de plainte et remuait un peu, Alex… Alex ne bougeait pas du tout, son visage, auparavant toujours joyeux et animé, était complètement pâle, l’air figé. Du sang jaillissait en abondance de sa nuque. Je l’appelai désespérément, à plusieurs reprises. Je touchai son visage sans vie, je le pris entre mes mains et l’agitai doucement, appelant, implorant. Alex était mort. Mort. Ce mot résonna plusieurs fois dans ma tête, comme répondant à son propre écho. Mort.
Affligé, dépassé par la situation, j’essayais de réagir. Un bruit martelait ma tête : boum–boum–boum, probablement à cause du choc. Attendez, ce n’était pas dans ma tête, on entendait au loin le son de tambours jouant toujours le même rythme. On aurait dit que quelqu’un communiquait à distance.
– Merde! – pensai-je.
Je me levai en titubant, une idée me vint à l’esprit. Si les guérilleros nous ont abattu, ils viendront ici et nous feront prisonniers ou peut-être même qu’ils nous tueront. Il fallait partir immédiatement. Ma première réaction fut d’alerter Alex, mais lorsque je tournai la tête et le vis à nouveau, je repris conscience de sa mort. Je restai immobile quelques secondes jusqu’à ce que je parvienne à réagir. Je m’approchai de Juan, qui était toujours sur son siège et s’était agité une ou deux fois, comme quelqu’un qui dort et qui fait un cauchemar.
– Juan – balbutiai-je– il faut que nous partions d’ici.
– Et Alex? – bredouilla-t-il sans ouvrir les yeux.
– Alex, Alex est mort, Juan – lui répondis-je en essayant de ne pas m’effondrer –. Allez, Alex est mort et nous le serons aussi si nous ne nous en allons pas. Il est mort.
Je cherchai, en chancelant, mon sac à dos parmi le chaos jusqu’à ce que je le trouve. Je le pris et me dirigeai vers l’arrière de l’avion. Là, un des côtés était en feu et il faisait très chaud. La cabine entière était remplie de personnes pêle-mêle, adoptant les postures les plus insolites, certains étaient blessés, d’autres cherchaient à réagir, d’autres étaient morts. De tous côtés provenaient des cris, des gémissements, des murmures. J’atteignis la partie cuisine et je mis dans mon sac tout ce que je trouvai: des canettes de rafraîchissements, des sandwichs, des boîtes de choses non identifiées, une fourchette. Quand le sac fut plein je revins auprès de Juan et pris son sac, qui se trouvait sur une dame ; je mis dedans des couvertures de l’avion. Alors je me souvins de la trousse à pharmacie et je retournai à la cuisine. Elle s’y trouvait, par terre, ouverte avec tous les produits éparpillés. Je recueillis du mieux possible ceux qui étaient le plus près et sortis chercher Juan.
– Allez, Juan, on file d’ici.
– Je ne peux pas – murmura-t-il – tout me fait mal.
– Allez, Juan, tu dois te lever ou ils nous tueront tous. Je vais laisser les sacs dehors et je reviens te chercher.
– D’accord, d’accord, je vais essayer – me répondit-il, en s’agitant légèrement sur son siège.
Je pris les deux sacs à dos et sortis, titubant encore un peu étant donné la violence de la secousse. Je dus faire un très gros effort pour ne pas m’arrêter en chemin pour aider les autres personnes, mais je ne savais pas de combien de temps je disposais. J’avais seulement envie de vivre. Vivre un jour de plus pour voir, une nouvelle fois, le soleil se lever. Nous nous trouvions dans la clairière du bois, sur un côté. Apparemment, le pilote essaya d’atterrir ici comme il n’y avait pas d’arbres mais dévia légèrement; l’aile gauche avait été perdue lors du choc contre les grands arbres. Une grande colonne de fumée s’échappait de l’avion et s’élevait jusqu’au ciel, permettant à quiconque de la voir à plusieurs kilomètres à la ronde. Je m’enfonçai un peu dans l’épaisseur feuillue et laissai les sacs au pied d’un grand arbre. Je fis ensuite demi-tour, voulant revenir à l’avion, mais, à ce moment-là, un groupe d’hommes noirs armés fit irruption dans la clairière par le côté opposé au mien. Je me baissai rapidement, me cachant derrière un tronc. Je sentis une pointe de douleur à l’estomac. Les guérilleros, certains habillés en camouflage et d’autres en civil, encerclèrent l’avion, pointant leurs armes et criant sans cesse. Je ne comprenais rien à ce qu’ils disaient, mais la zone où nous nous trouvions devait être swahilie ou allez donc savoir quoi.
– Nitoka! – Criaient-ils sans arrêt – enyi!, nitoka!, maarusi!1
Quelques passagers déconcertés et confus commencèrent à sortir de l’avion peu après. Ils furent étendus sur le sol sans ménagements et fouillés consciencieusement. Un plus