Loreley. J'ai besoin de te demander une faveur: tu pourrais confier un pli à Mike Gambit, le réalisateur, quand tu iras à Los Angeles?
Comment avait-il su qu'elle partait? se demanda-t-elle surprise. Elle ne l'avait dit qu'à son patron, à Ethan et à Sarah, personnes qui n'avaient aucun rapport avec son frère.
–Tu ne peux pas lui envoyer par coursier ou par la poste?
–Si je te le demande, c'est parce que je me fie plus à cette façon de faire, tu ne penses pas? Je sais que tu as d'autres choses à penser, mais tu dois juste aller à Hollywood et demander après lui. Mike t'attend. Ça te prendra peu de temps et tu m'éviteras un voyage.
–D'accord, je lui donnerai. Je partirai un peu plus tôt demain, comme ça je pourrai passer à ton bureau prendre l'enveloppe. Elle ne lui demanda pas qui l'avait informé: cela n'avait aucune importance.
–Tu es un ange! À demain, alors… Et bonne chance avec John. S'il se comporte comme un con, tu l'étends!»
Un sourire lui échappa. C'était Ester qui lui avait dit qu'elle irait peut-être à Los Angeles, pensa-t-elle
Les six heures de voyage lui parurent plus longues que celles passées pour arriver à Paris. L'angoisse de devoir chercher Johnny et de le voir avait comme dilué le temps.
À la sortie de l'aéroport LAX, Loreley jeta un regard vers le ciel: le soleil semblait régner dans le bleu infini et clair, impossible à comparer avec celui qu'elle avait laissé à New York des heures plus tôt, couvert de gros nuages gris. La température était agréable et le manteau qu'elle portait finit posé sur son bras.
Elle rejoignit le “Beverly Wilshire Hotel” sur le boulevard du même nom à Los Angeles en taxi et, après une douche rapide et une petite heure de repos, se promena le long de Rodeo Drive d'un peu meilleure humeur. Elle observa les nombreux magasins de grandes marques qui longeaient la rue ornée de longues rangées de palmiers; le shopping ne l'avait jamais beaucoup enthousiasmée et elle ne s'arrêta donc que pour acheter le nécessaire.
Loreley ne s'était amusée qu'une seule fois en courant les boutiques: l'année précédente, avec Ester, quand elles avaient acheté une robe élégante que sa belle-soeur avait ensuite portée le soir où Leen… Non! Elle ne devait pas repenser à cet évènement tragique.
Elle ralentit le pas, pensive: elle ne savait plus quoi faire. Elle pouvait aller voir la famille Austin et résoudre de suite la question avec Johnny, mais elle voulait être au calme au moins une journée avant de l'affronter. Elle décida alors de penser d'abord à la faveur que Hans lui avait demandée.
Des filles trop minces, aux jambes kilométriques, défilaient sur la passerelle en hauteur, disposée pour le set du film. Loreley les observa d'un endroit à l'écart, se demandant pourquoi il était nécessaire de marcher de façon aussi artificielle et, surtout, pourquoi on devait montrer une robe en la faisant porter par des filles anorexiques ou sur le point de le devenir.
Bien sûr, une silhouette svelte possédait plus d'élan qu'une plus pleine et curviligne, mais l'exacerber à ce point signifiait envoyer un message erroné au monde féminin, au risque de manipuler les esprits les plus jeunes. En outre, certaines des robes qu'elle venait de voir auraient été plus belles, surtout aux yeux des hommes, si elles avaient été remplies de façon adéquate aux endroits stratégiques.
Elle sourit. Bah, oui, au fond l'exténuante recherche de la beauté extérieure n'a-t-elle pas pour but de séduire, enchanter et plaire au sexe opposé, en plus de satisfaire cette pointe de narcissisme présente en chacun de nous?
Elle avait pensé que ce serait amusant d'assister à plusieurs “ciak” de cinéma, mais elle se sentit presque ennuyée et fatiguée de rester debout à observer ce défilé continuellement interrompu: une fois pour ajuster le cadrage des caméras, une autre pour modifier la séquence de sortie des mannequins.
Dans d'autres cas, il fallait de nouveau répéter la scène, à cause d'erreurs dans les dialogues ou de mouvements effectués avec peu d'efforts.
Elle se faufila hors de son coin en soupirant. Elle avait très soif. Lorsqu'elle vit un distributeur automatique de boissons au fond du couloir, elle s'y rendit, inséra de la monnaie et composa le numéro mentionné sous la petite bouteille d'eau. Un bourdonnement l'informa que la machine s'était mise en route; mais la bouteille avait à peine bougé et restait en équilibre, sans tomber dans le collecteur en dessous.
En pensant que cet énorme engin ne bougerait pas d'un millimètre, même à force de coups de pied, comme elle aurait voulu le faire, elle ouvrit à nouveau son portefeuille pour en sortir de la monnaie et réessayer.
«Attendez, je m'en occupe, dit une voix qui la prit par surprise. Parfois, ces pompes à fric ne fonctionnent pas comme elles devraient.»
Loreley fit un pas en arrière pour laisser la place au type qui avait parlé; elle ne regarda son visage de profil que lorsqu'il donna un coup violent au distributeur.
Elle écarquilla les yeux de stupeur. Sonny!
La bouteille tomba avec un bruit sourd et il se baissa pour ouvrir la trappe et la prendre. Quand il se releva et se retourna, Loreley rencontra ses iris ambrés.
«Bon sang! s'exclama-t-il. Toi… Ici?
Elle observa la fine mèche de cheveux lisse et sombre qui était retombée devant ses yeux, donnant à son visage un air presque sauvage.
–Mon frère m'a demandé une faveur. Je dois confier un courrier à Mike Gambit.» Elle dévissa le bouchon de la bouteille, la porta à ses lèvres et but une gorgée d'eau.
Il lui sourit. Sa dentition blanche et régulière ressortait sur sa peau bronzée. «Je compose la bande sonore d'un film, l'informa-t-il en dégageant les cheveux de son front d'un rapide mouvement des doigts. Je ne me serais jamais attendu à te trouver à mille miles de distance de la maison!
–Moi non plus. C'est mieux que j'y aille maintenant, lui dit-elle avant qu'il ne puisse lui poser d'autres questions. Bon travail, Sonny.»
Elle regagnait son point de départ quand elle se retrouva au milieu d'un groupe de personnes qui papotaient entre eux. Ils portaient des costumes de carnaval. Le chef du groupe écarta un grand rideau rouge et fit signe aux autres de le suivre.
Peut-être par pure curiosité, ou juste parce qu'elle devait occuper le temps d'attente d'une façon ou l'autre, elle se laissa entraîner à l'intérieur. Elle fut catapultée dans un salon de style Belle Époque, avec de grands chandeliers qui pendaient du plafond; des canapés et des fauteuils entouraient les côtés de la pièce, qui comportait en son centre une surprenante piste de danse
Elle avait toujours aimé les masques de carnaval, mais n'en avait jamais porté.
«Allez, remuez-vous. On a peu de temps! ordonna une voix féminine. Vous êtes tous là?»
Loreley se tourna vers la femme aux vaporeux cheveux roux qui avait parlé.
«Il nous faut deux autres figurants femmes, dit la rousse. Elle la montra. Toi! Va te préparer, qu'est-ce que tu attends?
–Je n'ai rien à voir: je suis ici pour d'autres raisons» expliqua Loreley embarrassée.
La rousse jeta un oeil au pass que Loreley avait épinglé sur la poche de sa chemise: Hans le lui avait procuré avant qu'elle ne parte.
«Vu que vous êtes ici maintenant, vous pourriez nous aider. Ça ne prendra qu'une petite heure, deux au maximum. Vous verrez que vous vous amuserez, en plus de gagner un petit quelque chose!» Sur ces mots, elle la poussa jusqu'à arriver devant un homme, quelques mètres plus loin, qui n'avait de masculin que les hanches étroites et une ombre de barbe rasée.
«Allez avec Fabian: il vous trouvera un costume à votre taille. On pensera plus tard à s'occuper des formalités administratives.»
Elle n'eut pas le temps de répliquer: Fabian la prit par le bras et l'emmena dans une pièce toute proche.
Mais qu'est-ce qu'elle faisait? se demanda-t-elle comme étourdie.
Avant