l'un des premiers gouvernements au monde dont la figure dominante était une femme, Eugenia Bosh, Secrétaire aux Affaires intérieures74. Le conseil des commissaires du peuple de Kharkiv était présidé par Yukhym Medvedyev, qui venait de quitter le POSDU dans une scission de gauche pro-soviétique, le POSDU (Gauche), fin 1917.
Ce premier gouvernement soviétique ukrainien est souvent dépeint comme une pure création russe, minimisant ses traits ukrainiens et faisant des évènements qui se produisirent alors une invasion pure et simple. Le rôle des SD (Gauche) dans le fameux soulèvement de l'Arsenal à Kyiv le 29 janvier 1918 est méconnu dans l'histoire officielle soviétique ou nationale75. Pour l'UKP [les communistes indépendantistes, ndt], le premier gouvernement des soviets était bien une « avancée de la révolution prolétarienne ».76 Des « éléments opportunistes » ayant saboté la Rada Centrale, alors ce fut le prolétariat urbain russe ou russifié autour des bolcheviks [qui fit ce pas en avant], alors qu'il était « mal préparé à ce rôle »77.
L'implication des soviets russes et du pouvoir central russe en Ukraine nourrit un malaise ; avec la substitution d'éléments extérieurs aux forces autochtones, la révolution se dévorait elle-même. Leurrée par l'appel de l'Allemagne la Rada Centrale passa un accord avec elle à Brest-Litovsk le 9 février (27 janvier) 1918. Les Allemands déposèrent bientôt le gouvernement de l'UNR [Rada Centrale] ; pour le conseil des commissaires du peuple, il était définitivement formé de douteux « opportunistes de gauche »78. Vynnychenko jugea le coup d'Etat conservateur de l'hetman Skoropadskyi comme « ayant seulement complété et cristallisé de manière précise ce qui avait existé au temps de la Rada Centrale » ; à son retour à Kyviv son contenu révolutionnaire s'était dissipé. 79
Le nouveau régime de capitalistes compradores et de propriétaires fonciers fut un moment clef, accentuant les processus de différenciation dans la révolution ukrainienne. Ceci fut manifeste dans le Cinquième congrès du POSDU tenu clandestinement à Kyiv le 10 mai 1918. Sur la question nationale le parti rompit de manière décisive avec ses anciennes positions fédéralistes-autonomistes en faveur de l'indépendance de l'Ukraine, et bien que l'aile gauche fut démoralisée par les récents évènements, incluant la politique des bolcheviks russes, elle n'était pas sans influence. La résolution générale établit que :
« Comme le développement de la révolution ukrainienne appelle l'indépendance politique et de radicales réformes sociales, il pousse la révolution au delà des limites d'une révolution nationale et fait dépendre la résolution de ses taches des facteurs internationaux …
La réalisation finale des taches de la révolution ukrainienne est liée à la montée du mouvement révolutionnaire prolétarien à l'Ouest. »80
1 En russe Ukrainskaya Sovetskaya Sotsialisticheskaya Respublika (USSR), abrégé en RSS ukrainienne.
2 En opposition au Politbureau du PCUS une historiographie spécifique du PC (Bolchevique) en Ukraine (KP(b)U), a pris également forme. D'un côté elle a tendance à attribuer à ce parti le monopole « sur tous les mouvements révolutionnaires (ouvriers, paysans, etc.) », d'un autre côté elle aborde la question des « origines indépendantes et de l'évolution du KP(b)U et aussi de l'histoire spécifique des classes ouvrière et paysanne ukrainiennes, du mouvement révolutionnaire ukrainien et de la Révolution ukrainienne de 1917-1921 » (Jurij), 1953). L'impulsion venait de la composante ukrainienne du KP(b)U à travers le comité pan-ukrainien pour l'histoire du parti (Istpart) auprès du Comité central, fondé en janvier 1922 (Lawrynenko WIII).
3 Butsenko, Medvedev, Avdiyenko. Les travaux sur la social-démocratie ukrainienne les plus notables furent ceux de Yosyf Hermaize, ancien membre de celle-ci et secrétaire de la section historique de l'Académie pan-ukrainienne des Sciences, sous l'égide de M. Hruschevsky. Son oeuvre principale : Narizy z istorii'' revoliutsiinho rukhu na Ukraini, Kyviv, 1926. Il a souligné les traits distinctifs du mouvement ukrainien. Il ne fut pas en mesure de continuer ses travaux sur l'UKP et sur les origines de la social-démocratie ukrainienne. Hermaize fut l'objet d'une campagne de dénonciation par le dirigeant du KP(b)U, l'historien Matvi Yavorski contre son exclusivisme ukrainien et son refus d'admettre les influences russes.
4 Chyrko, V.A., « Krakh ideolohii ta polityky natsionalistychnoi partii ukapistiv », Ukrainskyi istorychnyi zhurnal (Kyiv), 12 (1968): 24–35.
5 Vynnychenko, Vidrodzhennia Natsii, Kyiv-Vienna, 1920; (repr. Kyiv 1990). Halahan, Mykola. “Likvidatsiya UKP”. Nova Ukraine (Prague), 1 (1925): 26–38.
6 Khrystiuk, Pavlo. Zamitky i materiialy do istoriı¨ ukraı¨ns’koı¨ revoliutsiı¨ 1917–1920. Prague,1921. Vydavnyitvo Chartoryiskykh, New York, 1969.
7 Maistrenko, Ivan. Borotbism: A Chapter in the History of Ukrainian Communism, New York: Research Program on the USSR, 1954. Republished Hannover: Ibidem-Verlaag, 2007.
8 Maistrenko, Istoriia Moho Pokolinnya Spohady Uchasnyka Revoliutsiinykh Podii v Ukraini. Edmonton: Canadian Institute of Ukrainian Studies, 1985, Chapitre IX.
9 Stachiw, Borys, Mace ; voir aussi Hunczack. En fait les Communistes ukrainiens ne se désignaient pas comme « nationaux-communistes » ; l'UKP comme les Groupes émigré de l'UKP ont expliqué qu'ils récusaient ce terme car il s'appliquait aux traits chauvins des communistes dans les Etats impérialistes russe et allemand. Voir Levynsky (« Sotsiialistychna revolutsiia i Ukraina ») et Andriy Richytsky et H. Lapchinsky dans une lettre du TsK UKP du 30 avril 1921 ( Richytsky et Lapchinsky).
10 Adams, Arthur. The Bolsheviks in the Ukraine: The Second Campaign, 1918–1919, New Haven, CT: Yale UP, 1963,