de la femme il avait appris à lire et à calculer rapidement.
«Tu sais que ces trucs-là sont interdits. Ça devrait être brûlé sur le bûcher.»
L'enfant saisit le livre avec force et le tenait bien serré sur sa poitrine. Il le défiait à donner suite à sa menace, tout en sachant qu'il ne le ferait pas.
«Il n'y a rien d'interdit, j'ai lu suffisamment pour savoir que ce ne sont pas de trucs dangereux. C'est la magie qui a été bannie du Royaume, et pas son histoire.»
Loreana était de cet avis: elle aimait collectionner des livres anciens qui contaient du passé et de l'Ancienne Religion. Son mari considérait ça une habitude inoffensive.
Sa tante n'avait jamais réussi à toucher à ses choses: il lui était interdit d'entrer dans le grenier. Une décision où père et fils étaient d'accord.
Dalain se renferma à nouveau dans son silence, en observant des garçons qui les dépassaient en courant. Beaucoup d'enfants des serviteurs habitaient dans le domaine: ils étaient en chemin vers les pâturages, en riant à haute voix. Il arrivât à comprendre qu'il s'agissait d'une compétition.
Nephelim observa son air devenant triste. Il n'avait pas l'habitude de se plaindre: ce n'étaient que ses yeux sombres qui laissaient deviner sa mélancolie.
Il se leva, en lui tendant sa main. «Viens avec moi.» Il continua à le fixer du regard, en remarquent qu'il avait repris à serrer le livre. «Donne-le moi, je vais le cacher sur l'arbre. Ta mère ne grimpe pas comme un écureuil d'habitude: la seule idée de découvrir ses chevilles causerait son évanouissement pour la honte.»
Il prit le livre et monta rapidement vers les branches les plus hautes. Il trouva un enchevêtrement de jeune feuillage et il y cacha le livre aux yeux des passants.
Une fois revenu à terre, il lui fit signe à nouveau de le rejoindre. Dalain se leva hésitant, en sentant le poids de son regard: les yeux de Nephelim étaient de la couleur du fer, gris et déterminés.
Différemment des autres il n’avait pas peur de son cousin. Il savait que pour lui il donnerait sa main droite, celle avec laquelle il empoignait son épée. C’avait toujours été comme ça.
Ils partageaient la même chambre dès sa naissance. Nephelim dormait en face à lui, ainsi que son souffle arrivait jusqu’à son visage. Il avait appris à connaître chaque haleine au point qu’il s’endormait seulement s’il était bercé de l’haleine qu’il connaissait comme son rythme naturel. Chaque murmure brisé suffisait pour le réveiller rapidement.
Dalain hésitait. «Pourquoi m’aimes-tu? Je suis complètement inutile.»
Le garçon savait qu’il avait saisi ce murmure-là sur les lèvres de beaucoup de monde: domestiques et membres de la famille. Sa fragilité amenait beaucoup de personnes à ignorer que son esprit était prêt à mémoriser chacun de ces murmures. Cet air-là le faisait ressembler à l’autre plus qu’il eût voulu. Leurs traits, leurs couleurs n’étaient pas tellement différents: tous les deux de teint et de cheveux clairs, tous les deux avec des traits allongés et le nez fin.
«Parce que j’admire ton courage: tu combats pour ta vie dès ton premier souffle. Je ne sais pas si je pouvais supporter le poids qui t’opprime. Il est facile d’être fort quand on n'a rien à craindre. Tu n’es pas inutile: je n’arriverai jamais à être aussi intelligent que toi. Les Henders ont posé leurs yeux sur toi depuis longtemps.»
Il lui tourna le dos en s’agenouillant à terre. En attendant.
«Est-ce que tu veux que...je monte sur ton dos?» Il s’approcha de quelques pas, inquiété.
Nephelim dit oui d’un signe de tête, en lui jetant un coup d’œil de derrière son épaule. «Tu sais comment tu dois faire, ce n’est pas différent de quand nous montons les escaliers. Tiens-toi avec une prise forte.»
Dalain serra ses bras autour de son cou et quand l’autre le souleva il sentit qu’il pouvait toucher au ciel avec ses doigts. Il s’accrocha par ses jambes aux hanches de l’autre garçon avec toute la force dont il était capable, en lui permettant de les serrer dans ses bras. Il était habitué à se faire amener par lui quand son souffle était tellement court qu’il lui empêchait de marcher.
Il percevait l’assurance de Nephelim à travers le mouvement fluide des muscles du dos sur sa poitrine maigre. Il leva la tête pour observer la prairie et quand l’autre commença à courir un sourire spontané ouvrit ses lèvres.
Pendant que les jambes longues de son cousin fendaient la mer d’herbe qu’ils avaient devant, il comprit qu’il avait fait semblant de ne pas donner d’importance aux jeux comme celui-ci. Il s’était fermé dans sa chambre en s’isolant de n’importe quel bruit provenant de la cour et en laissant que son esprit coure et se batte pour lui.
Ils atteignirent la grange rapidement, en dépassant le groupe de garçons qui s’était rassemblé à ce lieu. Certains d’entre eux les indiquèrent aux camarades, avec surprise.
Dalain sentit son cœur qui battait fort: émotion.
Nephelim était habitué à courir pour un bon bout de chemin de terre. Son allure s’était faite régulière: il réussissait à lui transmettre la vigueur des muscles en mouvement. Il lui semblait que ses propres muscles répondaient d’une quelque façon et qu’ils se mouvaient au même temps que ceux de Nephelim. Les sensations qui l’enveloppèrent n’avaient rien à voir avec celles créées par son imagination.
Il s’aperçut qu’il était en train de rire seulement quand sa propre voix lui arriva aux oreilles avec un cri euphorique.
Nephelim décida de revenir sur le chemin de retour à la maison dès le moment où il l’entendit reprendre à respirer après le rire qui l’avait comblé. Même si dans cette période-là Dalain réagissait bien aux médicaments, il ne voulait pas baisser la garde. Il savait qu’il s’était gagné une tape sur la main de la part d’Alissa et il n’avait aucune intention de mettre en danger la santé du petit.
Il trouva la nourrice sur le seuil de leur demeure, les bras croisés. Un des fils devait lui avoir raconté qu’il les avait vus courir au-delà de la grange.
La femme vérifia le visage rougi du petit sur les épaules de Nephelim, en clignant les yeux comme une mégère. Elle le prit dans ses bras sans donner le temps à Nephelim de faire des objections, en le serrant dans ses bras comme une couveuse furieuse. «J’espère que tu sais ce que tu es en train de faire, petit malin!»
C’était la seule qui l’appelait de cette façon-là: la seule à laquelle il le permettrait. «Il va bien, ne vois-tu pas comment il est content?»
Alissa observa Dalain d’un œil critique: il semblait ivre. Il continuait à rire de manière étouffée, en se tenant accroché à son cou. Elle adressa son regard indigné au plus âgé. «Avec tout l’argent que tu dépenses pour lui procurer des médicaments dignes d’un roi, tu devrais le traiter comme un pot de cristal!» Elle reprit à se concentrer sur l’enfant, en observant son visage. «Il est complètement trempé...il a besoin d’un bain chaud. Rends-toi donc utile et demande à Glinee d’amener quelques seaux dans sa chambre.»
Nephelim lui rendit hommage par une demie révérence. «C’est déjà fait, Madame.»
Le grondement d’un rire, ressemblant à la pluie au printemps. Fine, intense. Une magie.
La mer de couleur indigo, caressée par des nuages d’écume blanche.
L’Œil de Zephirot brillait depuis trente ans, aussi lumineux que la première étoile du matin. La magie franchissait à nouveau les frontières des Terres de l’Ouest.
Les Henders avaient renforcé leurs rangs, en consacrant des nouveaux Lecteurs et Défenseurs. Leurs symboles, verge et épée, étaient forgés dans le même feu: remplis de la bénédiction de Dieu à l’instant même où ils étaient