qui ne prononçait même pas le nom de son maître: elle avait été séduite par l'enfant, c'était après tout bien naturel.
Il parlait donc de l'enfant, de ce qu'il ferait d'elle, de ses espérances, de son avenir, de ses parents, d'un de ses cousins Lorenzo Picconi, qui était aide de chambre au Vatican.
A ce mot, madame Prétavoine ouvrit les oreilles. Un valet de chambre du Saint-Père! quelle heureuse fortune! Décidément ce Baldassare était précieux.
Et tous les deux ou trois jours elle était revenue pour voir «la petite Cecilia», et toujours ses poches comme ses mains étaient pleines.
Avec mademoiselle Emma, la femme de chambre de madame de la Roche-Odon, elle avait procédé à peu près de la même façon; seulement, comme mademoiselle Emma n'avait pas d'enfant, elle s'était adressée à elle directement, et à la place de la tendresse et de l'affection, elle avait employé la flatterie.
Sachant par Aurélien l'heure à laquelle madame de la Roche-Odon allait faire sa promenade quotidienne à la villa Borghèse et au Pincio, elle s'était présentée un jour rue Gregoriana au moment où elle était bien certaine de ne pas rencontrer la vicomtesse chez elle; puis elle s'était retirée.
Deux jours après elle était revenue à la même heure, et bien entendu elle n'avait pas trouvé madame de la Roche-Odon.
Alors elle avait manifesté l'intention de l'attendre.
Puis elle avait demandé à mademoiselle Emma la permission de lui adresser une question relativement à la charmante robe que celle-ci portait deux jours auparavant.
—Est-ce que cette robe avait été faite à Rome?
Mademoiselle Emma éprouvait peu de sympathie pour madame Prétavoine, mais elle était sensible aux compliments, surtout à ceux qui s'adressaient à ses grâces, qui commençaient, hélas! à se faner, car elle n'avait pas dérobé à sa maîtresse le secret de celle-ci pour ne pas vieillir.
Elle avait donc répondu que cette robe avait été faite à Rome.
Madame Prétavoine avait paru très-satisfaite de cette réponse, car elle avait besoin de se commander deux robes et elle ne savait à qui s'adresser; elle serait heureuse que mademoiselle Emma voulût bien lui donner l'adresse de sa couturière.
Mademoiselle Emma avait volontiers donné cette adresse.
Ce n'était pas tout: madame Prétavoine avait encore un service à réclamer d'elle, c'était de vouloir bien la recommander tout particulièrement, car s'il était facile d'habiller une personne qui portait la toilette aussi bien que mademoiselle Emma, ce n'était plus même chose d'habiller une vieille femme.
Mademoiselle Emma avait promis cette recommandation; elle irait le lendemain chez la couturière.
—A quelle heure, chère demoiselle? Si cela ne vous gênait pas, je m'y trouverais en même temps que vous, et alors vous pourriez me présenter.
A tant de politesse, mademoiselle Emma avait dû répondre elle-même poliment, et elle avait proposé à madame Prétavoine d'aller la prendre à son hôtel. Madame Prétavoine s'était défendue, mais elle avait fini par céder.
Le lendemain, quand mademoiselle Emma était arrivée à la Minerve, elle avait trouvé madame Prétavoine, qui ne goûtait jamais, sur le point de s'asseoir devant une table sur laquelle était servie une collation de gâteaux avec une bouteille de Marsala.
—Êtes-vous bien pressée, chère demoiselle?
—Je suis tout à votre disposition, madame.
—Alors, chère demoiselle, faites-moi l'amitié de partager mon goûter; un gâteau seulement et un doigt de Marsala; oh! je vous en prie; asseyez-vous donc. A la crème, le gâteau? Non, sec. Très-bien.
XI
Un matin, comme madame Prétavoine se préparait à sortir pour se rendre à l'église, on frappa à sa porte quelques petits coups discrets qui ne ressemblaient en rien à ceux par lesquels les gens de l'hôtel s'annonçaient ordinairement.
Elle alla ouvrir et se trouva en face du domestique de Mgr de la Hotoie.
—Comment c'est vous, monsieur Baldassare!
Dans la bouche de madame Prétavoine, le «Monsieur» prit une importance considérable, qui montrait bien en quelle estime elle tenait la personne à laquelle elle s'adressait.
—Je viens pour vous dire...
—Avant tout entrez, je vous prie, et dites-moi comment se trouve ce matin votre charmante petite fille.
—Mais bien, je vous remercie: je viens pour vous dire...
—Vous me direz ce qui vous amène tout à l'heure: présentement je ne veux qu'une chose, des nouvelles de votre chère, de ma chère Cécilia.
—Mais bien, très-bien comme à l'ordinaire.
—Quel bonheur! figurez-vous que j'ai rêvé d'elle toute la nuit; cela n'est pas étonnant, je pense si souvent à elle, je l'aime tant la mignonne enfant, car elle est mignonne comme il n'est pas possible de l'être, j'ai donc rêvé d'elle; un rêve affreux; elle était malade.
—Ah! sainte Vierge, s'écria Baldassare, superstitieux comme un vrai Romain et voyant dans ces paroles un funeste présage.
—Alors je sortais ce matin pour aller chez vous prendre de ses nouvelles; mais vous voilà, vous me dites qu'elle est bien, cela me rassure.
Si madame Prétavoine était rassurée, Baldassare était inquiet; on ne rêve pas ainsi qu'une enfant est malade sans que ce rêve ait une signification; il avait hâte de rentrer près de Cécilia, il se dépêcha donc de dire à madame Prétavoine ce qui l'amenait à la Minerve; Monseigneur venait d'arriver; il resterait chez lui toute la journée.
Puis il se sauva pour courir auprès de Cécilia, qui malgré le rêve de madame Prétavoine, était en bonne santé comme à l'ordinaire et ne pensait qu'à jouer, inquiète seulement de l'arrivée de monseigneur, parce qu'il allait la reprendre lorsqu'elle oublierait qu'en français l'u ne se prononce pas ou.
Madame Prétavoine avait longuement agité la question de savoir si elle se ferait accompagner par Aurélien pour se présenter chez Mgr de la Hotoie, ou bien si elle irait seule, et tout bien examiné elle s'était arrêtée à ce dernier parti, la présence d'Aurélien pouvant rendre l'entretien plus difficile.
Quand Baldassare ouvrit la porte à l'amie de sa fille, il commença par rassurer celle-ci sur la santé de Cécilia.
—Décidément le rêve était faux, l'enfant était en bonne santé.
Puis cela dit, à la grande joie de madame Prétavoine qui montra sa satisfaction d'une façon démonstrative, il la conduisit dans la pièce où Mgr de la Hotoie donnait ses audiences.
Ne voulant pas exciter la jalousie, ce qui à Rome est très grave, ni s'exposer à la réputation de savant, ce qui ne l'est pas moins, Mgr de la Hotoie avait trouvé une manière ingénieuse de faire entrevoir à ses visiteurs sa belle collection, malgré lui et malgré eux. Pour cela il avait établi son cabinet de travail dans la pièce située à l'extrémité du palais, de sorte que pour arriver jusqu'à lui, il fallait traverser une enfilade de neuf grandes salles dans lesquelles cette collection était exposée: salle des monnaies et des médailles, salle des antiquités étrusques, salle des ustensiles de ménage en terre et en bronze analogues aux petits bronzes du musée de Naples, salle des antiquités chrétiennes provenant des catacombes, salle des inscriptions, salle des tableaux, salle des livres, etc., etc. S'il n'avait obéi qu'à ses goûts il eût habité cette salle des livres. Mais voulant