[30] sandales, car les chemins ne sont pas beaux de reste...
Voilà qui est bien... Maintenant, cheminez droit devant
vous. Voyez~vous là-bas, au fond, en tournant? Vous
trouverez une porte d'argent toute constellée de croix
noires... a main droite... Vous frapperez, on vous
ouvrira... Adessias! Tenez-vous sain et gaillardet.
...................................................
«Et je cheminai... je cheminai! Quelle battue! j'ai
[5] la chair de poule, rien que d'y songer. Un petit sentier,
plein de ronces, d'escarboucles qui luisaient et de serpents
qui sifflaient, m'amena jusqu'à la porte d'argent.
«--Pan! pan!
«--Qui frappe? me fait une voix rauque et dolente.
[10] «--Le curé de Cucugnan.
«--De...?
«--De Cucugnan.
«--Ah!... Entrez.
«J'entrai. Un grand bel ange, avec des ailes sombres
[15] comme la nuit, avec une robe resplendissante comme le
jour, avec une clef de diamant pendue a sa ceinture, écrivait,
cra-cra, dans un grand livre plus gros que celui de
saint Pierre...
«--Finalement, que voulez-vous et que demandez-vous?
[20] dit l'ange.
«--Bel ange de Dieu, je veux savoir,--je suis bien
curieux peut-être,--si vous avez ici les Cucugnanais.
«--Les...?
«--Les Cucugnanais, les gens de Cucugnan... que
[25] c'est moi qui suis leur prieur.
«--Ah! l'abbé Martin, n'est-ce pas?
«--Pour vous servir, monsieur l'ange.
«--Vous dites donc Cucugnan...
«Et l'ange ouvre et feuillette son grand livre,
mouillant son doigt de salive pour que le feuillet glisse
mieux...
«--Cucugnan, dit-il poussant un long soupir... Monsieur
Martin, nous n'avons en purgatoire personne de
[5] Cucugnan.
«--Jésus! Marie! Joseph! personne de Cucugnan en
purgatoire! O grand Dieu! où sont-ils donc?
«--Eh! saint homme, ils sont en paradis. Où diantre
voulez-vous qu'ils soient?
[10] «--Mais j'en viens, du paradis...
«--Vous en venez!!... Eh bien?
«--Eh bien! ils n'y sont pas!... Ah! bonne mère des
anges!...
«--Que voulez-vous, monsieur le curé? s'ils ne sont ni
[15] en paradis ni en purgatoire, il n'y a pas de milieu, ils
sont....
«--Sainte croix! Jésus, fils de David! Aï! aï! aï! est-il
possible?... Serait-ce un mensonge du grand saint Pierre?
...Pourtant je n'ai pas entendu chanter le coq!... Aï
[20] pauvres nous! comment irai-je en paradis si mes
Cucugnanais n'y sont pas?
«--Écoutez, mon pauvre monsieur Martin, puisque
vous voulez, coûte que coûte, être sûr de tout ceci, et voir
de vos yeux de quoi il retourne, prenez ce sentier, filez
[25] en courant, si vous savez courir... Vous trouverez, à
gauche, un grand portail. Là, vous vous renseignerez sur
tout. Dieu vous le donne!
«Et l'ange ferma la porte.
«C'était un long sentier tout pavé de braise rouge. Je
[30] chancelais comme si j'avais bu; à chaque pas, je
trébuchais; j'étais tout en eau, chaque poil de mon corps avait
sa goutte de sueur, et je haletais de soif... Mais, ma foi,
grâce aux sandales que le bon saint Pierre m'avait prêtées,
je ne me brûlai pas les pieds.
[5] «Quand j'eus fait assez de faux pas clopin-clopant, je
vis à ma main gauche une porte... non, un portail, un
énorme portail, tout bâillant, comme la porte d'un grand
four. Oh! mes enfants, quel spectacle! Là on ne demande
pas mon nom; là, point de registre. Par fournées et à
[10] pleine porte, on entra là, mes frères, comme le dimanche
vous entrez au cabaret.
«Je suais à grosses gouttes, et pourtant j'étais transi,
j'avais le frisson. Mes cheveux se dressaient. Je sentais
le brûlé, la chair rôtie, quelque chose comme l'odeur qui
[15] se répand dans notre Cucugnan quand Éloy, le maréchal,
brûle pour la ferrer la botte d'un vieil âne. Je perdais
haleine dans cet air puant et embrasé; j'entendais une
clameur horrible, des gémissements, des hurlements et des
jurements.
[20] «--Eh bien! entres-tu ou n'entres~tu pas, toi?
me fait, en me piquant de sa fourche, un démon
cornu.
«--Moi? Je n'entre pas. Je suis un ami de Dieu.
«--Tu es un ami de Dieu... Eh! b... de teigneux!
[25] que viens-tu faire ici?...
«--Je viens... Ah! ne m'en parlez pas, que je ne puis
plus me tenir sur mes jambes... Je viens... je viens de
loin... humblement vous demander... si... si, par
coup de hasard... vous n'auriez pas ici... quelqu'un
[30] ...quelqu'un de Cucugnan...
«--Ah! feu de Dieu! tu fais la bête, toi, comme si tu
ne savais pas que tout Cucugnan est ici. Tiens, laid
corbeau, regarde, et tu verras comme nous les arrangeons ici,
tes fameux Cucugnanais...
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«Et je vis, au milieu d'un épouvantable tourbillon de
flamme:
[5] «Le long Coq-Galine,--vous l'avez tous connu, mes
frères,--Coq-Galine, qui se grisait si souvent, et si souvent
secouait les puces à sa pauvre Clairon.