divin qu'enfanta Thoosa, fille de Phorcys. Cependant il renoncera à sa colère, ne pouvant lutter seul contre notre volonté.
Minerve répondit alors:
—Si tel est ton désir, père des dieux, envoie Mercure ordonner à la Nymphe aux belles tresses de laisser Ulysse quitter son rivage. Moi j'irai à Ithaque exciter Télémaque à chasser du palais de son père les prétendants arrogants, et à partir pour Sparte et Pylos la sablonneuse, retrouver les traces de son père chéri.
Elle dit et attachant ses belles sandales d'or et d'ambroisie, elle partit sur le souffle des vents et s'arrêta devant la porte du palais d'Ulysse, prenant la figure de Mentès, chef des Taphiens. Là, sont les fiers prétendants réjouissant leur cœur; les serviteurs empressés versent le vin dans les cratères et découpent des viandes en abondance.
Au milieu d'eux, Télémaque, songeur, aperçoit la déesse, et venant la prendre par la main, il lui dit:
—Salut, ô étranger aimé de nous; repose-toi, mange et bois et dis-nous tes désirs?
Et lui prenant des mains sa lance il la dépose auprès de celles de son père; puis il fait asseoir Minerve sur un siège artistement travaillé, loin du bruit, voulant la questionner sur l'absence de son père. Un serviteur apporte des viandes et met près d'eux des coupes d'or; un héraut leur verse du vin.
Alors entrèrent les prétendants superbes; les hérauts leur versèrent l'eau sur les mains; des servantes servirent le pain et des serviteurs remplirent les cratères.—La faim et la soif apaisées, un héraut mit une lyre aux mains de Phémios et tandis qu'il préludait, par contrainte, devant les prétendants, Télémaque dit bas à Minerve:
—Cher hôte, vois ce qui occupe ces hommes: la lyre et le chant. Ils n'ont d'autres soucis que de dévorer impunément le bien d'un homme dont les os blanchis gisent sur terre ou roulent au sein de l'onde amère. Certes, s'il apparaissait, tous se déroberaient par une course rapide. Hélas! Ulysse a péri et le jour du retour ne luira plus pour lui. Mais dis-moi, ami, qui es-tu? Dis-moi le nom de ton peuple, de ta ville, de tes parents? Où est ton vaisseau, où sont tes matelots? Parle avec franchise, es-tu un hôte de mon père?
La déesse à l'iris bleu lui dit ces paroles:
—Je suis Mentès, fils d'Anchialos roi des Taphiens habiles à la rame. Je vais à Témésé chercher du cuivre, j'y mène du bronze étincelant. Mon navire est dans le port Rheithron au pied du vert Néïon.—Depuis longtemps l'hospitalité nous unit, ton père et moi; interroge le sage Laërte. Ce vieillard, dit-on, vit retiré au milieu des vignes dans son fertile enclos. Je croyais ton père de retour; les dieux sans doute ne l'ont pas voulu, mais il n'est pas mort et je te prédis son retour prochain, car je connais son esprit fertile en expédients. Mais toi, réponds à ton tour, es-tu le fils d'Ulysse, tu lui ressembles et tu as ses beaux yeux? Nos relations étaient fréquentes avant son départ pour Troie sur ses vaisseaux creux, mais depuis lors je ne l'ai pas revu.
Télémaque prudemment lui dit:
—Ma mère dit que je suis le fils d'Ulysse. Ah! que ne suis-je plutôt le fils d'un homme heureux.
La déesse Athéné lui répondit:
—Les dieux protègeront la postérité d'Ulysse et de Pénélope; mais réponds sincèrement, pourquoi ce repas? qui sont ces convives dont l'insolence passe la mesure?
Télémaque tristement dit:
—Cette maison était jadis opulente et magnifique, alors que le héros était au milieu des siens; je ne m'affligerais point autant s'il avait péri sous les murs de Troie; les Grecs lui eussent alors élevé un tombeau et j'aurais hérité de sa gloire. Mais il a disparu, ne me laissant que douleurs et gémissements à la pensée de ses malheurs et des miens. Aujourd'hui les princes qui règnent sur Dalichion, sur Samé, sur Zacynthe verdissante, et ceux qui commandent dans la pierreuse Ithaque, tous recherchent ma mère vénérée et gaspillent mon bien. Pénélope ne peut se résigner à un hymen odieux et ma vie même est menacée.
Pallas Athéné, courroucée, répondit:
—Dieux grands! combien dois-tu regretter qu'Ulysse n'apparaisse au seuil de ce palais, armé comme je le vis pour la première fois, revenant d'Ephyre, d'auprès d'Illos, fils de Merméros.—Il était allé sur ses rapides vaisseaux, chercher le poison mortel pour tremper l'airain de ses flèches; mais Illos craignant les dieux refusa. Ce fut mon père qui le lui donna. Si donc, tel que je le vis alors il apparaissait, ces prétendants rapaces auraient courte existence et tristes noces! mais des dieux seuls dépendent son retour et sa vengeance! Maintenant écoute mes paroles: Demain convoque les héros grecs, invite-les à retourner chez eux; que ta mère retourne dans le palais de son père, et, si son cœur la pousse à l'hymen, que ses parents lui préparent une dot nouvelle digne d'une fille chérie. Pour toi, pars sur un vaisseau rapide, va à la recherche de ton père.—A Pylos, interroge Nestor et à Sparte le blond Ménélas. Assure-toi qu'Ulysse est toujours vivant et attends encore un an son retour. Si au contraire il est mort, retourne dans ta patrie célébrer des funérailles magnifiques, puis donne un époux à ta mère. Ceci accompli, cherche par ruse et par force à te débarrasser des prétendants. Songe au divin Oreste, tuant l'artificieux Égisthe, l'époux de sa mère, l'assassin de son père.—Je te vois beau et grand, montre du cœur comme lui. Pour moi, je rejoins mon noir vaisseau, mes compagnons s'impatientent. Toi, songe à mes paroles.
Télémaque dit:
—Étranger, tes paroles bienveillantes sont celles d'un père à son fils, je suivrai tes conseils. Mais rien ne presse, prends un bain, réjouis ton cœur, et tu retourneras à ton vaisseau emportant le don magnifique que l'hôte offre à son hôte.
Minerve aux yeux étincelants dit alors:
—Ne me retiens pas, car je dois partir. Le présent que ton cœur m'offre, tu me le donneras à mon retour, et si beau qu'il soit, le mien l'égalera.
Elle dit et disparut, ayant mis au cœur de Télémaque le courage et l'audace, car il avait reconnu la déesse.
Télémaque, semblable à un dieu, rejoignit les prétendants; en ce moment l'aède illustre chantait le retour funeste des Achéens au sortir de Troie; tous l'écoutaient en silence. La prudente Pénélope entendait ce chant divin et son cœur se fondait de douleur; elle descendit le bel escalier de marbre, et du seuil de la salle, deux suivantes à ses côtés, la fille d'Icarios, tout en larmes sous son voile brillant, dit à l'aède divin:
—Phémios, tu connais d'autres récits enchanteurs, cesse donc ce chant lamentable qui toujours navre mon cœur et me rappelle le héros chéri, ravi à ma tendresse.
Télémaque prenant la parole dit:
—Ma mère, pourquoi ce reproche à l'aède charmeur, Zeus seul est coupable, car il fait à chacun sa part. Ulysse n'est pas le seul à qui le jour du retour ait été ravi devant Troie. Reprends la toile et le fuseau et ordonne à tes suivantes d'accomplir leur tâche. Parler est le partage des hommes; c'est le mien, je suis seul maître ici.
Pénélope, l'esprit pénétré de ces paroles remonta dans son appartement, pleurer Ulysse jusqu'à l'heure où Minerve lui versa le doux sommeil qui fait oublier.
Cependant les prétendants orgueilleux remplissaient de leur tumulte le sombre palais; tous brûlaient d'amour pour la chaste épouse d'Ulysse, et souhaitaient partager sa couche divine. Le sage Télémaque, outré de leur audace, leur dit ces paroles rapides:
—Prétendants de ma mère, hommes à l'insolence superbe, réjouissez-vous et faites bonne chère, écoutez l'aède à la voix incomparable, mais cessez vos clameurs, car je vous le déclare sans détours, ma volonté est que demain vous sortiez de ce palais; allez manger vos biens en festins dans vos propres demeures.
Il dit et tous s'étonnaient de ces paroles audacieuses. Antinoos, fils d'Euphithès lui répondit:
—Pourquoi ce langage menaçant, te crois-tu déjà roi d'Ithaque par ta naissance et par la volonté du fils de Saturne?