Морис Леблан

LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur


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      Le nouveau venu tira de sa poche une carte et la tendit. Victor lut :

      « Grimaudan, ex-inspecteur de la Sûreté. Renseignements confidentiels. » Il tressaillit.

      – Vous êtes de la police ?

      – Je n’en suis plus, mais le métier me plaisait, et je continue d’une façon plus… lucrative. On déniche de temps en temps des affaires d’or… comme la vôtre ?

      – La mienne ?

      – Oui, la vôtre, c’est une affaire exceptionnelle, si toutefois vous voulez bien y mettre un peu de complaisance.

      – Et si je n’en mets pas ?

      – Il le faudra. Vous êtes dans une situation où vous ne pouvez rien me refuser.

      Une appréhension sourde envahissait Victor Danègre. Il demanda :

      – Qu’y a-t-il ?… parlez.

      – Soit, répondit l’autre, finissons-en. En deux mots, voici : je suis envoyé par Mlle de Sinclèves.

      – Sinclèves ?

      L’héritière de la comtesse d’Andillot.

      – Eh bien ?

      – Eh bien, Mlle de Sinclèves me charge de vous réclamer la perle noire.

      – La perle noire ?

      – Celle que vous avez volée.

      – Mais je ne l’ai pas !

      – Vous l’avez.

      – Si je l’avais, ce serait moi l’assassin.

      – C’est vous l’assassin.

      Danègre s’efforça de rire.

      – Heureusement, mon bon monsieur, que la Cour d’assises n’a pas été du même avis. Tous les jurés, vous entendez, m’ont reconnu innocent. Et quand on a sa conscience pour soi et l’estime de douze braves gens…

      L’ex-inspecteur lui saisit le bras :

      – Pas de phrases, mon petit. Écoutez-moi bien attentivement et pesez mes paroles, elles en valent la peine. Danègre, trois semaines avant le crime, vous avez dérobé à la cuisinière la clef qui ouvre la porte de service, et vous avez fait faire une clef semblable chez Outard, serrurier, 244, rue Oberkampf.

      – Pas vrai, pas vrai, gronda Victor, personne n’a vu cette clef… elle n’existe pas.

      – La voici.

      Après un silence, Grimaudan reprit :

      – Vous avez tué la comtesse à l’aide d’un couteau à virole acheté au bazar de la République, le jour même où vous commandiez votre clef. La lame est triangulaire et creusée d’une cannelure.

      – De la blague, tout cela, vous parlez au hasard. Personne n’a vu le couteau.

      – Le voici.

      Victor Danègre eut un geste de recul. L’ex-inspecteur continua :

      – Il y a dessus des taches de rouille. Est-il besoin de vous en expliquer la provenance ?

      – Et après ?… vous avez une clef et un couteau… Qui peut affirmer qu’ils m’appartenaient ?

      – Le serrurier d’abord, et ensuite l’employé auquel vous avez acheté le couteau. J’ai déjà rafraîchi leur mémoire. En face de vous, ils ne manqueront pas de vous reconnaître.

      Il parlait sèchement et durement, avec une précision terrifiante. Danègre était convulsé de peur. Ni le juge, ni le président des assises, ni l’avocat général ne l’avaient serré d’aussi près, n’avaient vu aussi clair dans des choses que lui-même ne discernait plus très nettement.

      Cependant, il essaya encore de jouer l’indifférence.

      – Si c’est là toutes vos preuves !

      – Il me reste celle-ci. Vous êtes reparti, après le crime, par le même chemin. Mais, au milieu du cabinet aux robes, pris d’effroi, vous avez dû vous appuyer contre le mur pour garder votre équilibre.

      – Comment le savez-vous ? bégaya Victor… personne ne peut le savoir.

      – La justice, non, il ne pouvait venir à l’idée d’aucun de ces messieurs du parquet d’allumer une bougie et d’examiner les murs. Mais si on le faisait, on verrait sur le plâtre blanc une marque rouge très légère, assez nette cependant pour qu’on y retrouve l’empreinte de la face antérieure de votre pouce, de votre pouce tout humide de sang et que vous avez posé contre le mur. Or vous n’ignorez pas qu’en anthropométrie, c’est là un des principaux moyens d’identification.

      Victor Danègre était blême. Des gouttes de sueur coulaient de son front. Il considérait avec des yeux de fou cet homme étrange qui évoquait son crime comme s’il en avait été le témoin invisible.

      Il baissa la tête, vaincu, impuissant. Depuis des mois il luttait contre tout le monde. Contre cet homme-là, il avait l’impression qu’il n’y avait rien à faire.

      – Si je vous rends la perle, balbutia-t-il, combien me donnerez-vous ?

      – Rien.

      – Comment ! Vous vous moquez ! Je vous donnerais une chose qui vaut des mille et des centaines de mille, et je n’aurais rien ?

      – Si, la vie.

      Le misérable frissonna. Grimaudan ajouta, d’un ton presque doux :

      – Voyons, Danègre, cette perle n’a aucune valeur pour vous. Il vous est impossible de la vendre. À quoi bon la garder ?

      – Il y a des receleurs… et un jour ou l’autre, à n’importe quel prix…

      – Un jour ou l’autre il sera trop tard.

      – Pourquoi ?

      – Pourquoi ? Mais parce que la justice aura remis la main sur vous, et, cette fois, avec les preuves que je lui fournirai, le couteau, la clef, l’indication de votre pouce, vous êtes fichu, mon bonhomme. Victor s’étreignit la tête de ses deux mains et réfléchit. Il se sentait perdu, en effet, irrémédiablement perdu, et, en même temps, une grande fatigue l’envahissait, un immense besoin de repos et d’abandon. Il murmura :

      – Quand vous la faut-il ?

      – Ce soir, avant une heure.

      – Sinon ?

      – Sinon, je mets à la poste cette lettre où Mlle de Sinclèves vous dénonce au procureur de la République. Danègre se versa deux verres de vin qu’il but coup sur coup, puis se levant :

      – Payez l’addition, et allons-y… j’en ai assez de cette maudite affaire.

      La nuit était venue. Les deux hommes descendirent la rue Lepic et suivirent les boulevards extérieurs en se dirigeant vers l’Étoile. Ils marchaient silencieusement, Victor, très las et le dos voûté.

      Au parc Monceau, il dit :

      – C’est du côté de la maison…

      – Parbleu ! Vous n’en êtes sorti, avant votre arrestation, que pour aller au bureau de tabac.

      – Nous y sommes, fit Danègre, d’une voix sourde.

      Ils longèrent la grille du jardin, et traversèrent une rue dont le bureau de tabac faisait l’encoignure. Danègre s’arrêta quelques pas plus loin. Ses jambes vacillaient. Il tomba sur un banc.

      – Eh bien ? demanda son compagnon.

      – C’est là.

      – C’est là ! Qu’est-ce que vous me chantez ?

      – Oui là, devant nous.

      –