Alexandre Dumas

Le chevalier d'Harmental


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      —Mon cher génie! s'écria le chevalier en plongeant ses regards à travers les ouvertures du masque de l'inconnue, voici, permettez-moi de vous le dire, une citation tant soit peu masculine.

      —Ne savez-vous pas que les génies sont des deux sexes?

      —Oui, mais je n'avais pas entendu dire qu'ils citassent si couramment l' Énéide.

      —La citation n'est-elle pas juste? Vous me parlez de la sibylle de Cumes, je vous réponds dans sa langue; vous me demandez du positif, je vous en donne; mais vous autres mortels, vous n'êtes jamais satisfaits.

      —Non, car j'avoue que cette science du passé et du présent m'inspire une terrible envie de connaître l'avenir.

      —Il y a toujours deux avenirs, dit le masque; il y a l'avenir des cœurs faibles, et l'avenir des cœurs forts. Dieu a donné à l'homme le libre arbitre, afin qu'il pût choisir. Votre avenir dépend de vous.

      —Encore faut-il les connaître, ces deux avenirs, pour choisir le meilleur.

      —Eh bien! il y en a un qui vous attend quelque part, aux environs de Nevers, dans le fond d'une province, entre les lapins de votre garenne et les poules de votre basse-cour. Celui-là vous conduira droit au banc de marguillier de la paroisse. C'est d'une ambition facile, et il n'y a qu'à vous laisser faire pour l'atteindre: vous êtes sur la route.

      —Et l'autre? répliqua le chevalier, visiblement piqué que l'on pût supposer qu'en aucun cas un pareil avenir serait jamais le sien.

      —L'autre, dit l'inconnue en appuyant son bras sur le bras du jeune gentilhomme, et en fixant sur lui ses yeux à travers son masque; l'autre vous rejettera dans le bruit et dans la lumière; l'autre fera de vous un des acteurs de la scène qui se joue dans le monde; l'autre, que vous perdiez ou que vous gagniez, vous laissera du moins le renom d'un grand joueur.

      —Si je perds, que perdrai-je? demanda le chevalier.

      —La vie probablement.

      Le chevalier fit un geste de mépris.

      —Et si je gagne? ajouta-t-il.

      —Que dites-vous du grade de mestre de camp, du titre de grand d'Espagne, et du cordon du Saint-Esprit? Tout cela sans compter le bâton de maréchal en perspective.

      —Je dis que le gain vaut l'enjeu, beau masque, et que si tu me donnes la preuve que tu peux tenir ce que tu promets, je suis homme à faire ta partie.

      —Cette preuve, répondit le masque, ne peut vous être donnée que par une autre que moi, chevalier, et si vous voulez l'acquérir il faut me suivre.

      —Oh! oh! dit d'Harmental, me serais-je trompé, et ne serais-tu qu'un génie de second ordre, un esprit subalterne, une puissance intermédiaire? Diable!

      Voilà qui m'ôterait un peu de ma considération pour toi.

      —Qu'importe, si je suis soumis à quelque grande enchanteresse, et si c'est elle qui m'envoie!

      —Je te préviens que je ne traite rien par ambassadeur.

      —Aussi ai-je mission de vous conduire près d'elle.

      —Alors je la verrai?

      —Face à face, comme Moïse vit le Seigneur.

      —Partons, en ce cas!

      —Chevalier, vous allez vite en besogne! Oubliez-vous qu'avant toute initiation il y a certaines cérémonies indispensables pour s'assurer de la discrétion des initiés?

      —Que faut-il faire?

      —Il faut vous laisser bander les yeux, vous laisser conduire où l'on voudra vous mener; puis, arrivé à la porte du temple, faire le serment solennel que vous ne révélerez rien à qui que ce soit des choses qu'on vous aura dites ou des personnes que vous aurez vues.

      —Je suis prêt à jurer par le Styx, dit en riant d'Harmental.

      —Non, chevalier, répondit le masque d'une voix grave; jurez tout bonnement par l'honneur, on vous connaît, et cela suffira.

      —Et ce serment fait, demanda le chevalier après un instant de silence et de réflexion, me sera-t-il permis de me retirer si les choses que l'on me proposera ne sont pas de celles que puisse accomplir un gentilhomme?

      —Vous n'aurez que votre conscience pour arbitre, et on ne vous demandera que votre parole pour gage.

      —Je suis prêt, dit le chevalier.

      —Allons donc, dit le masque.

      Le chevalier s'apprêta à traverser la foule en ligne droite pour gagner la porte de la salle; mais ayant aperçu Brancas, Broglie et Simiane qui se trouvaient sur sa route et qui l'eussent arrêté sans doute au passage il fit un détour et prit une ligne courbe, laquelle cependant devait le conduire au même but.

      —Que faites-vous? demanda le masque.

      —J'évite la rencontre de quelqu'un qui pourrait nous retarder.

      —Tant mieux! je commençais à craindre.

      —Que craigniez-vous? demanda d'Harmental.

      —Je craignais, répondit en riant le masque, que votre empressement ne fût diminué de la différence de la diagonale aux deux côtés du carré.

      —Pardieu! dit d'Harmental, voilà la première fois, je crois, qu'on donne rendez-vous à un gentilhomme, au bal de l'opéra, pour lui parler anatomie, littérature ancienne et mathématiques! Je suis fâché de vous le dire, beau masque, mais vous êtes bien le génie le plus pédant que j'aie connu de ma vie.

      La chauve-souris éclata de rire, mais ne répondit rien à cette boutade, dans laquelle éclatait le dépit du chevalier de ne pouvoir reconnaître une personne qui paraissait cependant si bien au fait de ses propres aventures; mais comme ce dépit ne faisait qu'ajouter à sa curiosité, au bout d'un instant, tous deux, étant descendus d'une hâte pareille, se trouvèrent dans le vestibule.

      —Quel chemin prenons-nous? dit le chevalier; nous en allons-nous par dessous terre ou dans un char attelé de deux griffons?

      —Si vous le permettez, chevalier, nous nous en irons tout bonnement dans une voiture. Au fond, et quoique vous ayez paru en douter plus d'une fois, je suis femme et j'ai peur des ténèbres.

      —Permettez-moi, en ce cas, de faire avancer mon carrosse, dit le chevalier.

      —Non pas, j'ai le mien, s'il vous plaît, répondit le masque.

      —Appelez-le donc alors.

      —Avec votre permission, chevalier, nous ne serons pas plus fiers que Mahomet à l'endroit de la montagne; et comme mon carrosse ne peut pas venir à nous, nous irons à mon carrosse.

      À ces mots, la chauve-souris entraîna le chevalier dans la rue Saint-Honoré. Une voiture sans armoiries, attelée de deux chevaux de couleur sombre, attendait au coin de la petite rue Pierre-Lescot. Le cocher était sur son siège, enveloppé d'une grande houppelande qui lui cachait tout le bas de la figure, tandis qu'un large chapeau à trois cornes couvrait son front et ses yeux. Un valet de pied tenait d'une main une portière ouverte, et de l'autre se masquait le visage avec son mouchoir.

      —Montez, dit le masque au chevalier.

      D'Harmental hésita un instant: ces deux domestiques inconnus sans livrée, qui paraissaient aussi désireux que leur maîtresse de conserver leur incognito; cette voiture sans aucun chiffre, sans aucun blason, l'endroit obscur où elle était retirée, l'heure avancée de la nuit, tout inspirait au chevalier un sentiment de défiance très naturel; mais bientôt, réfléchissant qu'il donnait le bras à une femme et qu'il avait une épée au côté, il monta hardiment dans le carrosse. La chauve-souris s'assit près de lui, et le valet de pied referma la portière avec un ressort qui tourna deux fois à la manière d'une clef.

      —Eh