Морис Леблан

Arsène Lupin contre Herlock Sholmès


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pas de doute, et une évasion incompréhensible, impressionnante, où le public, de même que la justice, sentait l’effort d’une longue préparation, un ensemble d’actes merveilleusement enchevêtrés les uns dans les autres, et dont le dénouement justifiait l’orgueilleuse prédiction d’Arsène Lupin : « Je n’assisterai pas à mon procès. »

      Au bout d’un mois de recherches minutieuses, l’énigme se présentait avec le même caractère indéchiffrable. On ne pouvait cependant pas garder indéfiniment ce pauvre diable de Baudru. Son procès eût été ridicule : quelles charges avait-on contre lui ? Sa mise en liberté fut signée par le juge d’instruction. Mais le chef de la Sûreté résolut d’établir autour de lui une surveillance active.

      L’idée provenait de Ganimard. À son point de vue, il n’y avait ni complicité ni hasard. Baudru était un instrument dont Arsène Lupin avait joué avec son extraordinaire habileté. Baudru libre, par lui on remonterait jusqu’à Arsène Lupin ou du moins jusqu’à quelqu’un de sa bande.

      On adjoignit à Ganimard les deux inspecteurs Folenfant et Dieuzy, et, un matin de janvier, par un temps brumeux, les portes de la prison s’ouvrirent devant Baudru Désiré.

      Il parut d’abord embarrassé, et marcha comme un homme qui n’a pas d’idées bien précises sur l’emploi de son temps. Il suivit la rue de la Santé et la rue Saint-Jacques. Devant la boutique d’un fripier, il enleva sa veste et son gilet, vendit son gilet moyennant quelques sous, et, remettant sa veste, s’en alla.

      Il traversa la Seine. Au Châtelet un omnibus le dépassa. Il voulut y monter. Il n’y avait pas de place. Le contrôleur lui conseillant de prendre un numéro, il entra dans la salle d’attente.

      À ce moment, Ganimard appela ses deux hommes près de lui, et, sans quitter de vue le bureau, il leur dit en hâte :

      – Arrêtez une voiture… non, deux, c’est plus prudent. J’irai avec l’un de vous et nous le suivrons.

      Les hommes obéirent. Baudru cependant ne paraissait pas. Ganimard s’avança : il n’y avait personne dans la salle.

      – Idiot que je suis, murmura-t-il, j’oubliais la seconde issue.

      Le bureau communique, en effet, par un couloir intérieur, avec celui de la rue Saint-Martin. Ganimard s’élança. Il arriva juste à temps pour apercevoir Baudru sur l’impériale du Batignolles-Jardin des Plantes qui tournait au coin de la rue de Rivoli. Il courut et rattrapa l’omnibus. Mais il avait perdu ses deux agents. Il était seul à continuer la poursuite.

      Dans sa fureur, il fut sur le point de le prendre au collet sans plus de formalité. N’était-ce pas avec préméditation et par une ruse ingénieuse que ce soi-disant imbécile l’avait séparé de ses auxiliaires ?

      Il regarda Baudru. Il somnolait sur la banquette et sa tête ballottait de droite et de gauche. La bouche un peu entrouverte, son visage avait une incroyable expression de bêtise. Non, ce n’était pas là un adversaire capable de rouler le vieux Ganimard. Le hasard l’avait servi, voilà tout.

      Au carrefour des Galeries Lafayette l’homme sauta de l’omnibus dans le tramway de la Muette. On suivit le boulevard Haussmann, l’avenue Victor-Hugo. Baudru ne descendit que devant la station de la Muette. Et d’un pas nonchalant, il s’enfonça dans le bois de Boulogne.

      Il passait d’une allée à l’autre, revenait sur ses pas, s’éloignait. Que cherchait-il ? Avait-il un but ?

      Après une heure de ce manège, il semblait harassé de fatigue. De fait, avisant un banc, il s’assit. L’endroit, situé non loin d’Auteuil, au bord d’un petit lac caché parmi les arbres, était absolument désert. Une demi-heure s’écoula. Impatienté, Ganimard résolut d’entrer en conversation.

      Il s’approcha donc et prit place aux côtés de Baudru. Il alluma une cigarette, traça des ronds sur le sable du bout de sa canne, et dit :

      – Il ne fait pas chaud.

      Un silence. Et soudain, dans ce silence, un éclat de rire retentit, mais un rire joyeux, heureux, le rire d’un enfant pris de fou rire et qui ne peut pas s’empêcher de rire. Nettement, réellement, Ganimard sentit ses cheveux se hérisser sur le cuir soulevé de son crâne. Ce rire, ce rire infernal qu’il connaissait si bien !…

      D’un geste brusque, il saisit l’homme par les parements de sa veste et le regarda, profondément, violemment, mieux encore qu’il ne l’avait regardé aux assises, et en vérité ce ne fut plus l’homme qu’il vit. C’était l’homme, mais c’était en même temps l’autre, le vrai.

      Aidé par une volonté complice, il retrouvait la vie ardente des yeux, il complétait le masque amaigri, il apercevait la chair réelle sous l’épiderme abîmé, la bouche réelle à travers le rictus qui la déformait. Et c’étaient les yeux de l’autre, la bouche de l’autre, c’était surtout son expression aiguë, vivante, moqueuse, spirituelle, si claire et si jeune.

      – Arsène Lupin, Arsène Lupin, balbutia-t-il.

      Et subitement, pris de rage, lui serrant la gorge, il tenta de le renverser. Malgré ses cinquante ans, il était encore d’une vigueur peu commune, tandis que son adversaire semblait en assez mauvaise condition. Et puis, quel coup de maître s’il parvenait à le ramener !

      La lutte fut courte. Arsène Lupin se défendit à peine, et, aussi promptement qu’il avait attaqué, Ganimard lâcha prise. Son bras droit pendait, inerte, engourdi.

      – Si l’on vous apprenait le jiu-jitsu au quai des Orfèvres, déclara Lupin, tu saurais que ce coup s’appelle udi-shi-ghi en japonais.

      Et il ajouta froidement :

      « Une seconde de plus, je te cassais le bras, et tu n’aurais eu que ce que tu mérites. Comment, toi, un vieil ami que j’estime, devant qui je dévoile spontanément mon incognito, tu abuses de ma confiance ! C’est mal… Eh bien ! Quoi, qu’as-tu ? »

      Ganimard se taisait. Cette évasion dont il se jugeait responsable n’était-ce pas lui qui, par sa déposition sensationnelle, avait induit la justice en erreur ? – cette évasion lui semblait la honte de sa carrière. Une larme roula vers sa moustache grise.

      – Eh ! Mon Dieu, Ganimard, ne te fais pas de bile : si tu n’avais pas parlé, je me serais arrangé pour qu’un autre parlât. Voyons, pouvais-je admettre que l’on condamnât Baudru Désiré ?

      – Alors, murmura Ganimard, c’était toi qui étais là-bas ? C’est toi qui es ici !

      – Moi, toujours moi, uniquement moi.

      – Est-ce possible ?

      – Oh ! Point n’est besoin d’être sorcier. Il suffit, comme l’a dit ce brave président, de se préparer pendant une dizaine d’années pour être prêt à toutes les éventualités.

      – Mais ton visage ? Tes yeux ?

      – Tu comprends bien que, si j’ai travaillé dix-huit mois à Saint-Louis avec le docteur Altier, ce n’est pas par amour de l’art. J’ai pensé que celui qui aurait un jour l’honneur de s’appeler Arsène Lupin devait se soustraire aux lois ordinaires de l’apparence et de l’identité. L’apparence ? Mais on la modifie à son gré. Telle injection hypodermique de paraffine vous boursoufle la peau, juste à l’endroit choisi. L’acide pyrogallique vous transforme en mohican. Le suc de la grande chélidoine vous orne de dartres et de tumeurs du plus heureux effet. Tel procédé chimique agit sur la pousse de votre barbe et de vos cheveux, tel autre sur le son de votre voix. Joins à cela deux mois de diète dans la cellule n°24, des exercices mille fois répétés pour ouvrir ma bouche selon ce rictus, pour porter ma tête selon cette inclinaison et mon dos selon cette courbe. Enfin cinq gouttes d’atropine dans les yeux pour les rendre hagards et fuyants, et le tour est joué.

      – Je ne conçois pas que les gardiens…

      – La métamorphose a été progressive. Ils n’ont