Морис Леблан

Les aventures complètes d'Arsène Lupin


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ce mystérieux Pierre Leduc que Kesselbach voulait trouver à tout prix ?

      – Personne. Il occupait une chambre à part. En outre, j’avais enveloppé sa main gauche d’un pansement pour qu’on ne pût voir la blessure du petit doigt. Quant à la cicatrice de la joue, elle est invisible sous la barbe.

      – Et tu l’as surveillé toi-même ?

      – Moi-même. Et, selon vos instructions, j’ai profité, pour l’interroger, de tous les instants où il semblait plus lucide. Mais je n’ai pu obtenir que des balbutiements indistincts.

      Le prince murmura pensivement :

      – Mort… Pierre Leduc est mort… Toute l’affaire Kesselbach reposait évidemment sur lui, et voilà… voilà qu’il disparaît sans une révélation, sans un seul mot sur lui, sur son passé… Faut-il m’embarquer dans cette aventure à laquelle je ne comprends encore rien ? C’est dangereux… Je peux sombrer…

      Il réfléchit un moment et s’écria :

      – Ah ! Tant pis ! Je marche quand même. Ce n’est pas une raison parce que Pierre Leduc est mort pour que j’abandonne la partie. Au contraire ! Et l’occasion est trop tentante. Pierre Leduc est mort. Vive Pierre Leduc ! Va, docteur. Rentre chez toi. Ce soir je te téléphonerai.

      Le docteur sortit.

      – À nous deux, Philippe, dit Sernine au dernier visiteur, un petit homme aux cheveux gris, habillé comme un garçon d’hôtel, mais d’hôtel de dixième ordre.

      – Patron, commença Philippe, je vous rappellerai que, la semaine dernière, vous m’avez fait entrer comme valet de chambre à l’hôtel des Deux-Empereurs, à Versailles, pour surveiller un jeune homme.

      – Eh oui, je sais… Gérard Baupré. Où en est-il ?

      – À bout de ressources.

      – Toujours des idées noires ?

      – Toujours. Il veut se tuer.

      – Est-ce sérieux ?

      – Très sérieux. J’ai trouvé dans ses papiers cette petite note au crayon.

      – Ah ! Ah ! fit Sernine, en lisant la note, il annonce sa mort et ce serait pour ce soir !

      – Oui, patron, la corde est achetée et le crochet fixé au plafond. Alors, selon vos ordres, je suis entré en relation avec lui, il m’a raconté sa détresse, et je lui ai conseillé de s’adresser à vous. « Le prince Sernine est riche, lui ai-je dit, il est généreux, peut-être vous aidera-t-il. »

      – Tout cela est parfait. De sorte qu’il va venir ?

      – Il est là.

      – Comment le sais-tu ?

      – Je l’ai suivi. Il a pris le train de Paris, et maintenant il se promène de long en large sur le boulevard. D’un moment à l’autre il se décidera.

      À cet instant un domestique apporta une carte. Le prince lut et dit :

      – Introduisez M. Gérard Baupré. Et s’adressant à Philippe :

      – Passe dans ce cabinet, écoute et ne bouge pas.

      Resté seul, le prince murmura :

      – Comment hésiterais-je ? C’est le destin qui l’envoie, celui-là…

      Quelques minutes après, entrait un grand jeune homme blond, mince, au visage amaigri, au regard fiévreux, et qui se tint sur le seuil, embarrassé, hésitant, dans l’attitude d’un mendiant qui voudrait tendre la main et qui n’oserait pas.

      La conversation fut courte.

      – C’est vous, M. Gérard Baupré ?

      – Oui… oui… c’est moi.

      – Je n’ai pas l’honneur…

      – Voilà monsieur… voilà… on m’a dit…

      – Qui, on ?

      – Un garçon d’hôtel qui prétend avoir servi chez vous…

      – Enfin, bref ?

      – Eh bien…

      Le jeune homme s’arrêta, intimidé, bouleversé par l’attitude hautaine du prince. Celui-ci s’écria :

      – Cependant, monsieur, il serait peut-être nécessaire…

      – Voilà, monsieur, on m’a dit que vous étiez très riche et généreux… Et j’ai pensé qu’il vous serait possible…

      Il s’interrompit, incapable de prononcer la parole de prière et d’humiliation.

      Sernine s’approcha de lui.

      – Monsieur Gérard Baupré, n’avez-vous pas publié un volume de vers intitulé : Le Sourire du printemps ?

      – Oui, oui, s’écria le jeune homme dont le visage s’éclaira… vous avez lu ?

      – Oui… Très jolis, vos vers… très jolis… seulement, est-ce que vous comptez vivre avec ce qu’ils vous rapporteront ?

      – Certes… un jour ou l’autre…

      – Un jour ou l’autre… plutôt l’autre, n’est-ce pas ? Et, en attendant, vous venez me demander de quoi vivre ?

      – De quoi manger, monsieur.

      Sernine lui mit la main sur l’épaule, et froidement :

      – Les poètes ne mangent pas, monsieur. Ils se nourrissent de rimes et de rêves. Faites ainsi. Cela vaut mieux que de tendre la main.

      Le jeune homme frissonna sous l’insulte. Sans une parole il se dirigea vivement vers la porte.

      Sernine l’arrêta.

      – Un mot encore, monsieur. Vous n’avez plus la moindre ressource ?

      – Pas la moindre.

      – Et vous ne comptez sur rien ?

      – J’ai encore un espoir… J’ai écrit à un de mes parents, le suppliant de m’envoyer quelque chose. J’aurai sa réponse aujourd’hui. C’est la dernière limite.

      – Et, si vous n’avez pas de réponse, vous êtes décidé sans doute, ce soir même, à…

      – Oui, monsieur.

      Ceci fut dit simplement et nettement.

      Sernine éclata de rire.

      – Dieu ! Que vous êtes comique, brave jeune homme ! Et quelle conviction ingénue ! Revenez me voir l’année prochaine voulezvous ? Nous reparlerons de tout cela… C’est si curieux, si intéressant et si drôle surtout ! Ah ! Ah !

      Et, secoué de rires, avec des gestes affectés et des salutations, il le mit à la porte.

      – Philippe, dit-il en ouvrant au garçon d’hôtel, tu as entendu ?

      – Oui, patron.

      – Gérard Baupré attend cet après-midi un télégramme, une promesse de secours…

      – Oui, sa dernière cartouche.

      – Ce télégramme, il ne faut pas qu’il le reçoive. S’il arrive, cueille-le au passage et déchire-le.

      – Bien, patron.

      – Tu es seul dans ton hôtel ?

      – Oui, seul avec la cuisinière qui ne couche pas. Le patron est absent.

      – Bon. Nous sommes les maîtres. À ce soir, vers onze heures. File.

      –