?… Est-ce aujourd’hui ? Parle !… Réponds !
Il haussa les épaules.
– Imbécile que je suis ! Comme si elle pouvait me répondre ! Mon cher comte, veuillez me prêter quarante marks… Merci… Tiens Isilda, c’est pour toi…
Elle prit les deux pièces, les fit sonner avec les deux autres dans le creux de sa main, puis, tendant le bras, elle montra les ruines du palais Renaissance, d’un geste qui semblait désigner plus spécialement l’aile gauche et le sommet de cette aile.
était-ce un mouvement machinal ? Ou fallait-il le considérer comme un remerciement pour les deux pièces d’or ?
Il observa le comte. Celui-ci ne cessait de sourire.
– Qu’est-ce qu’il a donc à rigoler, cet animal-là ? se dit Lupin. On croirait qu’il se paye ma tête.
À tout hasard, il se dirigea vers le palais, suivi de son escorte.
Le rez-de-chaussée se composait d’immenses salles de réception, qui se commandaient les unes les autres, et où l’on avait réuni les quelques meubles échappés à l’incendie.
Au premier étage, c’était, du côté nord, une longue galerie sur laquelle s’ouvraient douze belles salles exactement pareilles.
La même galerie se répétait au second étage, mais avec vingt-quatre chambres, également semblables les unes aux autres. Tout cela vide, délabré, lamentable.
En haut, rien. Les mansardes avaient été brûlées.
Durant une heure, Lupin marcha, trotta, galopa, infatigable, l’œil aux aguets.
Au soir tombant, il courut vers l’une des douze salles du premier étage, comme s’il la choisissait pour des raisons particulières connues de lui seul.
Il fut assez surpris d’y trouver l’Empereur qui fumait, assis dans un fauteuil qu’il s’était fait apporter.
Sans se soucier de sa présence, Lupin commença l’inspection de la salle, selon les procédés qu’il avait coutume d’employer en pareil cas, divisant la pièce en secteurs qu’il examinait tour à tour. Au bout de vingt minutes, il dit :
– Je vous demanderai, Sire, de bien vouloir vous déranger. Il y a là une cheminée…
L’Empereur hocha la tête.
– Est-il bien nécessaire que je me dérange ?
– Oui, Sire, cette cheminée…
– Cette cheminée est comme toutes les autres, et cette salle ne diffère pas de ses voisines.
Lupin regarda l’Empereur sans comprendre. Celui-ci se leva et dit en riant :
– Je crois, monsieur Lupin, que vous vous êtes quelque peu moqué de moi.
– En quoi donc, Sire ?
– Oh ! Mon Dieu, ce n’est pas grand-chose ! Vous avez obtenu la liberté sous condition de me remettre des papiers qui m’intéressent, et vous n’avez pas la moindre notion de l’endroit où ils se trouvent. Je suis bel et bien… comment dites-vous en français ? Roulé ?
– Vous croyez, Sire ?
– Dame ! Ce que l’on connaît, on ne le cherche pas et voilà dix bonnes heures que vous cherchez. N’êtes-vous pas d’avis qu’un retour immédiat vers la prison s’impose ?
Lupin parut stupéfait :
– Sa Majesté n’a-t-elle pas fixé demain midi, comme limite suprême ?
– Pourquoi attendre ?
– Pourquoi ? Mais pour me permettre d’achever mon œuvre.
– Votre œuvre ? Mais elle n’est même pas commencée, monsieur Lupin.
– En cela, Votre Majesté se trompe.
– Prouvez-le et j’attendrai demain midi.
Lupin réfléchit et prononça gravement :
– Puisque Sa Majesté a besoin de preuves pour avoir confiance en moi, voici. Les douze salles qui donnent sur cette galerie portent chacune un nom différent, dont l’initiale est marquée à la porte de chacune. L’une de ces inscriptions, moins effacée que les autres par les flammes, m’a frappé lorsque je traversai la galerie. J’examinai les autres portes : je découvris, à peine distinctes, autant d’initiales, toutes gravées dans la galerie au-dessus des frontons.
« Or, une de ces initiales était un D, première lettre de Diane. Une autre était un A, première lettre d’Apollon. Et ces deux noms sont des noms de divinités mythologiques. Les autres initiales offriraient-elles le même caractère ? Je découvris un J, initiale de Jupiter ; un V, initiale de Vénus, un M, initiale de Mercure ; un S, initiale de Saturne, etc. Cette partie du problème était résolue : chacune des douze salles porte le nom d’une divinité de l’Olympe, et la combinaison Apoon, complétée par Isilda, désigne la salle d’Apollon.
« C’est donc ici, dans la salle où nous sommes, que sont cachées les lettres. Il suffit peut-être de quelques minutes maintenant pour les découvrir. »
– De quelques minutes ou de quelques années… et encore ! dit l’Empereur en riant.
Il semblait s’amuser beaucoup, et le comte aussi affectait une grosse gaieté.
Lupin demanda :
– Sa Majesté veut-elle m’expliquer ?
– Monsieur Lupin, la passionnante enquête que vous avez menée aujourd’hui et dont vous nous donnez les brillants résultats, je l’ai déjà faite. Oui, il y a deux semaines, en compagnie de votre ami Herlock Sholmès. Ensemble nous avons interrogé la petite Isilda ; ensemble nous avons employé à son égard la même méthode que vous, et c’est ensemble que nous avons relevé les initiales de la galerie et que nous sommes venus ici, dans la salle d’Apollon.
Lupin était livide. Il balbutia :
– Ah ! Sholmès… est parvenu… jusqu’ici ?…
– Oui, après quatre jours de recherches. Il est vrai que cela ne nous a guère avancés, puisque nous n’avons rien découvert. Mais tout de même, je sais que les lettres n’y sont pas.
Tremblant de rage, atteint au plus profond de son orgueil. Lupin se cabrait sous l’ironie, comme s’il avait reçu des coups de cravache. Jamais il ne s’était senti humilié à ce point. Dans sa fureur il aurait étranglé le gros Waldemar dont le rire l’exaspérait.
Se contenant, il dit :
– Il a fallu quatre jours à Sholmès, Sire. À moi, il m’a fallu quelques heures. Et j’aurais mis encore moins, si je n’avais été contrarié dans mes recherches.
– Et par qui, mon Dieu ? Par mon fidèle comte ? J’espère bien qu’il n’aura pas osé…
– Non, Sire, mais par le plus terrible et le plus puissant de mes ennemis, par cet être infernal qui a tué son complice Altenheim.
– Il est là ? Vous croyez ? s’écria l’Empereur avec une agitation qui montrait qu’aucun détail de cette dramatique histoire ne lui était étranger.
– Il est partout où je suis. Il me menace de sa haine constante. C’est lui qui m’a deviné sous M. Lenormand, chef de la Sûreté, c’est lui qui m’a fait jeter en prison, c’est encore lui qui me poursuit, le jour où j’en sors. Hier, pensant m’atteindre dans l’automobile, il blessait le comte de Waldemar.
– Mais qui vous assure, qui vous dit qu’il soit à Veldenz ?
– Isilda a reçu deux pièces d’or, deux pièces françaises !
–