George Sand

Teverino


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l'avenir? Vous seriez dans l'idéal.

      —Tenez, artiste, regardez! lui dit Sabina en attirant son attention sur une figure agenouillée sur le pavé, dans la profondeur sombre d'une chapelle funéraire.

      C'était une jeune fille, presque un enfant, pauvrement vêtue, quoique avec propreté. Elle n'était pas jolie, mais sa figure avait une expression saisissante, et son attitude une noblesse singulière. Un rayon de soleil, égaré dans cette cave humide où elle priait, tombait sur sa nuque rosée et sur une magnifique tresse de cheveux d'un blond pâle, presque blanchâtre, roulée et serrée autour d'un petit béguin de velours rouge brodé d'or fané, et garni de dentelle noire, à la mode du pays. Elle était haute en couleur, malgré le ton fade de sa chevelure. Le bleu tranché de ses yeux paraissait plus brillant sous ses longs cils d'or mat tirant sur l'argent. Son profil trop court avait des courbes d'une finesse et d'une énergie extraordinaires.

      —Allons, Léonce, ne vous oubliez pas trop à la regarder, dit Sabina à son compagnon, qui était comme pétrifié devant la villageoise, c'est de moi seule qu'il faut être occupé aujourd'hui; si vous avez une distraction, je suis perdue, je m'ennuie.

      —Je ne pense qu'à vous en la regardant. Regardez-la aussi. Il faut que vous compreniez cela.

      —Cela? c'est la foi aveugle et stupide, c'est le passé qui vit encore, c'est le peuple. C'est curieux pour l'artiste, mais moi je suis poëte, et il me faut plus que l'étrange, il me faut le beau... Cette petite est laide.

      —C'est que vous n'y comprenez rien. Elle est belle selon le type rare auquel elle appartient.

      —Type d'Albinos.

      —Non! c'est la couleur de Rubens, avec l'expression austère des vierges du Bas-Empire. Et l'attitude?

      —Est raide comme le dessin des maîtres primitifs. Vous aimez cela?

      —Cela a sa grâce, parce que c'est naïf et imprévu. La Madeleine de Canova pose, les vierges de la Renaissance savent qu'elles sont belles; les modèles primitifs sont tout d'un jet, tout d'une pièce, on pourrait dire tout d'une venue, comme la pensée qui les fit éclore.

      —Et qui les pétrifia... Tenez, elle a fini sa prière; parlez-lui, vous verrez qu'elle est bête malgré l'expression de ses traits.

      —Mon enfant, dit Léonce à la jeune fille, vous paraissez très-pieuse. Y a-t-il quelque dévotion particulière attachée à cette chapelle?

      —Non, Monseigneur, répondit la jeune fille en faisant la révérence; mais je me cache ici pour prier, afin que M. le curé ne me voie point.

      —Et que craignez-vous des regards de M. le curé? demanda lady G...

      —Je crains qu'il ne me chasse, reprit la montagnarde; il ne veut plus que je rentre dans l'église, sous prétexte que je suis en état de péché mortel.

      Elle fit cette réponse avec tant d'aplomb et d'un air à la fois si ingénu et si décidé, que Sabina ne put s'empêcher de rire.

      —Est-ce que cela est vrai? lui demanda-t-elle.

      —Je crois que M. le curé se trompe, répondit la jeune fille, et que Dieu voit plus clair que lui dans mon coeur.

      Là-dessus elle fit une nouvelle révérence et s'éloigna rapidement, car le curé, qui avait fini de se dépouiller de ses habits sacerdotaux, paraissait au fond de la nef.

      Interrogé par nos deux voyageurs, le curé jeta un regard sur la pécheresse qui fuyait, haussa les épaules, et dit d'un ton courroucé:

      —Ne faites pas attention à cette vagabonde, c'est une âme perdue.

      —Cela est fort étrange, dit Sabina; sa figure n'annonce rien de semblable.

      —Maintenant, dit le curé, je suis aux ordres de Vos Seigneuries.

      On remonta en voiture, et après quelques mots de conversation générale, le curé demanda la permission de lire son bréviaire, et bientôt il fut si absorbé par cette dévotion, que Léonce et Sabina se retrouvèrent comme en tête-à-tête. Par égard pour le bonhomme, qui ne paraissait pas entendre l'anglais, ils causèrent dans cette langue afin de ne lui point donner de distractions.

      —Ce prêtre intolérant, esclave de ses patenôtres, ne nous promet pas grand plaisir, dit Sabina. Je crois que vous l'avez recruté pour me punir d'avoir pris un peu d'humeur de la rencontre de la marquise.

      —J'ai peut-être eu un motif plus sérieux, répondit Léonce. Vous ne le devinez pas?

      —Nullement.

      —Je veux bien vous le dire; mais c'est à condition que vous l'écouterez très-sérieusement.

      —Vous m'inquiétez!

      —C'est déjà quelque chose. Sachez donc que j'ai mis ce tiers entre nous pour me préserver moi-même.

      —Et de quoi, s'il vous plaît?

      —Du danger caché au fond de toutes les conversations qui roulent sur l'amour entre jeunes gens.

      —Parlez pour vous, Léonce; je ne me suis pas aperçue de ce danger. Vous m'aviez promis de ne pas laisser l'ennui approcher de moi; je comptais sur votre parole, j'étais tranquille.

      —Vous raillez? C'est trop facile. Vous m'aviez promis plus de gravité.

      —Allons, je suis très-grave, grave comme ce curé. Que vouliez-vous dire?

      —Que, seul avec vous, j'aurais pu me sentir ému et perdre ce calme d'où dépend ma puissance sur vous aujourd'hui. Je fais ici l'office de magnétiseur pour endormir votre irritation habituelle. Or, vous savez que la première condition de la puissance magnétique c'est un flegme absolu, c'est une tension de la volonté vers l'idée de domination immatérielle; c'est l'absence de toute émotion étrangère au phénomène de l'influence mystérieuse. Je pouvais me laisser troubler, et arriver à être dominé par votre regard, par le son de votre voix, par votre fluide magnétique, en un mot, et alors les rôles eussent été intervertis.

      —Est-ce que c'est une déclaration, Léonce? dit Sabina avec une hauteur ironique.

      —Non, Madame; c'est tout le contraire, répondit-il tranquillement.

      —Une impertinence, peut-être?

      —Nullement. Je suis votre ami depuis longtemps, et un ami sérieux, vous le savez bien, quoique vous soyez une femme étrange et parfois injuste. Nous nous sommes connus enfants: notre affection fut toujours loyale et douce. Vous l'avez cultivée avec franchise, moi avec dévouement. Peu d'hommes sont autant mes amis que vous, et je ne recherche la société d'aucun d'eux avec autant d'attrait que la vôtre. Cependant vous me causez quelquefois une sorte de souffrance indéfinissable. Ce n'est pas le moment d'en rechercher la cause; c'est un problème intérieur que je n'ai pas encore cherché à résoudre. Ce qu'il y a de certain, c'est que je ne suis pas amoureux de vous et que je ne l'ai jamais été. Sans entrer dans des explications qui auraient peut-être quelque chose de trop libre après cette déclaration, je pense que vous comprenez pourquoi je ne veux pas être ému auprès d'une femme aussi belle que vous, et pourquoi la figure paisible et rebondie qui est là m'était nécessaire pour m'empêcher de vous trop regarder.

      —En voilà bien assez, Léonce, répondit Sabina, qui affectait d'arranger ses manchettes afin de baisser la tête et de cacher la rougeur qui brûlait ses joues. C'en est même trop. Il y a quelque chose de blessant pour moi dans vos pensées.

      —Je vous défie de me le prouver.

      —Je ne l'essaierai pas. Votre conscience doit vous le dire.

      —Nullement. Je ne puis vous donner une plus grande preuve de respect que de chasser l'amour de mes pensées.

      —L'amour! Il est bien loin de votre coeur! Ce que vous croyez devoir craindre me flatte peu; je ne suis pas une vieille coquette pour m'en enorgueillir.