George Sand

Nanon


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si, dans les environs, on avait quelques nouvelles et si on avait pris quelques dispositions contre le danger commun. Il repartit avec Jacques, tous deux pieds nus, et suivant l'ombre des buissons comme s'ils eussent été eux-mêmes des brigands méditant quelque mauvais coup.

      Nous restions seuls, Pierre et moi, avec l'injonction de nous tenir sur le pas de la porte, l'oreille au guet, prêts à fuir, si nous entendions quelque mauvais bruit.

      Il faisait un temps magnifique. Le ciel était plein de belles étoiles, l'air sentait bon, et nous avions beau écouter, on n'entendait pas le moindre bruit de bon ou de mauvais augure. Dans toutes les maisons éparses le long du ravin et presque toutes isolées, on avait fait comme nous; on avait fermé les portes, éteint les feux, et on s'y parlait à_ _voix basse. Il n'était que neuf heures et tout était muet comme en pleine nuit. Cependant personne ne dormait cette nuit-là, on était comme hébété par la crainte, on n'osait pas respirer. Le souvenir de cette panique est resté dans nos campagnes comme ce qui a le plus marqué pour nous dans la révolution. On l'appelle encore l'année de la grand'peur.

      Rien ne remuait dans les grands châtaigniers qui nous enveloppaient de leur ombre_. _Cette tranquillité du dehors passa en nous, et, à demi-voix, nous nous mîmes à babiller. Nous ne songions pas à avoir faim, mais le sommeil nous gagnait. Pierre s'étendit par terre, devisa quelque peu sur les étoiles, m'apprit qu'elles n'étaient pas à la même place aux mêmes heures durant le cours de l'année et finit par s'endormir profondément.

      Je me fis conscience de le réveiller. Je comptais bien faire le guet toute seule, mais je ne pense pas en être venue à bout plus d'un moment.

      Je fus réveillée par un pied qui me heurtait dans l'ombre, et, ouvrant les yeux, je vis comme un fantôme gris qui se penchait sur moi. Je n'eus guère le temps d'avoir peur, la voix du fantôme me rassura, c'était celle du petit frère.

      — Que fais-tu donc là, Nanon? me disait-il; pourquoi dors-tu dehors, sur la terre nue? J'ai été au moment de marcher sur toi.

      — Est-ce que les brigands arrivent? lui dis-je en me relevant.

      — Les brigands! il n'y a pas de brigands, ma pauvre Nanette! Toi aussi tu y as cru?

      — Mais oui. Comment savez-vous qu'il n'y en a pas?

      — Parce que les moines en rient et disent qu'on a bien fait d'inventer ça pour dégoûter les paysans de la révolution.

      — Alors c'est une attrape! Oh bien, en ce cas, je vais ranger

       Rosette et faire le souper pour quand mon grand-oncle rentrera.

      — Il est donc dehors?

      — Eh oui, il a été voir si le monde a décidé de se cacher ou de se défendre.

      — Il ne trouvera pas une porte ouverte et personne ne voudra lui ouvrir. C'est ce qui m'est arrivé aussi. Dès que j'ai compris qu'il n'y avait rien à craindre, je suis sorti du couvent par une brèche pour aller rassurer les amis de la paroisse; mais je n'ai trouvé encore à parler qu'à toi. Est-ce que tu es toute seule?

      — Non, voilà Pierre qui dort comme dans son lit. Ne le voyez-vous point?

      — Ah! si fait. Je le vois à présent. Eh bien, puisqu'il est si tranquille, laissons-le. Je vas t'aider à rentrer ton mouton et à rallumer ton feu,

      Il m'aida en effet, et, tout en agissant, nous causions.

      Je lui demandai à quelles maisons il avait frappé avant de venir chez nous. Il m'en désigna une demi-douzaine.

      — Et nous, lui dis-je, vous n'avez songé à nous qu'en dernier? Si quelqu'un vous eût ouvert ailleurs, vous y seriez resté à causer?

      — Non, j'aurais été avertir tout le monde. Mais tu me fais une mauvaise querelle, Nanon. Je comptais bien venir ici, et je songe à toi plus que tu ne crois. J'y ai beaucoup songé depuis l'autre jour où tu m'as dit des choses dures.

      — Ça vous a fâché contre moi?

      — Non, c'est contre moi que j'ai été fâché. Je vois bien que je mérite ce qu'on pense de moi, et j'ai fait promesse à moi-même d'apprendre tout ce que les moines pourront m'enseigner.

      — À la bonne heure, et alors vous m'enseignerez aussi?

      — C'est convenu.

      Comme le feu flambait et éclairait la chambre, il vit nos bois de lit et nos paillasses en tas, dans le milieu:

      — Où donc coucherez-vous? me dit-il.

      — Oh! moi, répondis-je, j'irai dormir avec Rosette, puisque je ne crains plus rien. Mes cousins se moquent d'une nuit à la _franche étoile; _il n'y a que mon pauvre vieux oncle qui en sera fatigué. Je voudrais avoir la force de lui dresser son lit, car il dormira de bon coeur quand il saura que les brigands ne viennent point.

      — Si tu n'as pas la force, je l'ai, moi!

      Et il se mit à la besogne. En un tour de main il releva et remmancha le lit du père Jean et ma petite couchette. Je remis la vaisselle en place sur la table et la soupe aux raves fumait dans les écuelles quand mon oncle rentra avec Jacques. Ils n'avaient pu se faire entendre de personne et ils revenaient toujours courant, car ils avaient vu la fumée de mon feu et ils croyaient que la maison brûlait. Ils s'attendaient à nous trouver morts, Pierre, Rosette et moi.

      Ils furent contents de souper et de pouvoir dormir sans crainte, et, dans le premier moment, ils ne savaient comment remercier le petit frère. Mais, tout en mangeant, le grand-père redevenait soucieux. Le petit frère partit, il observa que c'était un enfant, qu'il avait bien pu ne pas comprendre ce que disaient les moines, et que, puisque tout le monde avait _la grand'peur, _il fallait bien qu'il y eût un grand danger. Il refusa de se coucher, et, pendant que nous dormions, il veilla, assis sur le banc de pierre de la cheminée.

      Le lendemain tout le monde fut étonné de se trouver sain et sauf. Les gars de la paroisse montèrent sur les plus grands arbres au faîte du ravin, et ils virent au loin des troupes de monde qui marchaient en ordre dans le brouillard du matin. Vitement chacun rentra chez soi et tout le monde parla d'abandonner ce qu'on avait et d'aller se cacher dans les bois et dans les creux de rochers. Mais il nous arriva bientôt des messagers qui eurent peine à se faire entendre, car, au premier moment, on les prenait pour des ennemis et on voulait les attaquer à coups de pierres. C'était pourtant des gens des environs, et, quand on les eût reconnus, on se pressa autour d'eux. Ils nous apprirent qu'à la nouvelle de l'approche des brigands, dont personne ne doutait dans le pays et dans tous les autres pays, on avait fait accord pour se défendre. On s'était armé comme on avait pu et on s'était mis en bandes pour battre la campagne et arrêter les mauvaises gens. On comptait que nous allions nous armer aussi et nous joindre aux autres paroisses.

      Personne de chez nous ne s'en souciait. On disait qu'on n'avait point d'armes et que, d'ailleurs, les moines ne croyaient point aux brigands, car le petit frère était là qui, sans trahir l'opinion des moines, tâchait de faire entendre la vérité. Mais le grand Repoussat de la Foudrasse et le borgne de Bajadoux, qui étaient des hommes très hardis, se moquèrent de nous et même nous firent honte d'être si patients.

      — On voit bien, disaient-ils, que vous êtes des enfants de moines, et que la peur vous tient en même temps que la malice. Vos cafards de maîtres veulent livrer le pays aux brigands et ils vous empêchent de le défendre; mais, si vous aviez un peu de coeur, vous seriez déjà armés. Il y a dans le moutier plus qu'il ne faut pour vous et pour les voisins. Il y a aussi des provisions en cas de siège. Or çà, nous allons rejoindre nos camarades et leur dire votre couardise; et alors, nous viendrons tous en bataille nous emparer du couvent et des armes, puisque vous n'en voulez point et ne sauriez vous en servir.

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