Paul Feval

Le dernier chevalier


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      —Ce sont de bonnes gens, monsieur le marquis, et qui m'aiment bien, mais je vous ai dit: «Pas tout à fait.» Mlle de Vandes sait que je vous admire comme l'un des plus grands citoyens que notre France ait produits et que je vous aime avec la respectueuse tendresse d'un fils; elle m'a dit: «Les hostilités sont suspendues, ici sur la frontière; mon oncle est tout seul là-bas, et puisqu'il se cache de nous, c'est qu'il doit tenter quelque suprême bataille. Allez vers lui. Vous êtes brave, vous êtes prudent...»

      —Elle ne te fait pas de méchants compliments, sais-tu, chevalier, notre Jeanneton! By Jove! elle a raison! Ce que c'est que l'âge, Nicolas! j'ai vécu entre vous deux pendant plus de six mois et je ne me suis aperçu de rien! Quand le corps de ton jeune maréchal M. de Castries arriva de Lorraine pour couvrir le bas Rhin et que le régiment d'Auvergne prit ses cantonnements dans mon parc, je fermai mes portes. Notre deuil n'avait rien à faire avec la gaieté de ces brillants et joyeux officiers français qui riaient sous nos grands arbres du matin au soir en attendant la fête de la bataille. Jeanne, mon admirable femme, a beau être forte comme une Romaine, elle regrette un peu son diadème de princesse, tout en pleurant sur l'abaissement de la France en ces pays d'outre-mer où nous avions fait, elle surtout, la France si glorieuse! Jeannette, Mme de Bussy, se concentre dans sa douleur et suit par la pensée le héros malheureux que Dieu lui a donné pour époux. Le brave Bussy donne peu de ses nouvelles; il a trop souvent l'épée à la main pour trouver le loisir de prendre la plume. Le rêve de Jeannette serait de le rejoindre et de partager sa vie de périls. Lui ne veut pas. Dans sa dernière lettre, il disait: «Je n'ai plus de place pour toi, bien-aimée, je couche avec la mort...»

      —Que Dieu le veille! murmura le chevalier: celui-là est un saint!

      Et Madeleine Homayras elle-même, de l'autre côté de la cloison, sentait battre son cœur.

      —Ma Jeanneton aussi, poursuivit Dupleix, qui domptait à grand'peine sa douloureuse émotion, avait perdu les sourires de son âge. Elle est l'âme de notre famille, et quand nous souffrons, c'est dans son cher petit cœur que vont toutes nos larmes. Ah! certes non, notre pauvre maison n'était pas bonne pour MM. les officiers; et les soldats disaient, jouant sur le nom de mon ermitage: «Ce n'est pas un cloître, ici, c'est un tombeau!» L'idée me vint pourtant d'aller trouver ton colonel, M. de Soleyrac, parce que mon secrétaire était tombé malade et que je n'avais plus personne pour écrire, sous ma dictée, les requêtes et mémoires nécessités par mon procès. Je lui demandai s'il voulait bien me prêter une belle main de sergent pour remplacer mon copiste... Ah! vive Dieu! c'est un galant homme! Il me parla de Madras et sollicita la permission de baiser la joue d'un héros... Ce furent ses propres paroles... Ah! vive Dieu! vive Dieu! mes paupières se mouillèrent et ce ne fut pas ma faute. J'ai été maltraité par les paperassiers, c'est vrai, à partir du ministre jusqu'au dernier maraud portant sa plume derrière l'oreille, mais les mains qui tiennent l'épée ont toujours cherché la mienne, et qu'elles soient bénies ces miséricordieuses et vaillantes mains de nos soldats! Elles refont sans cesse l'honneur de la France, à mesure que les rats de l'écritoire nous trahissent et nous déshonorent!

      Madeleine approuva du bonnet et lampa un verre de vin d'Arbois dans son coin, tant elle trouvait cela juste et bien dit. Nicolas écoutait, comme s'il eût entendu pour la première fois cette histoire qui était pourtant la sienne propre.

      —Au lieu du sergent que je voulais, continua Dupleix, ce fut toi qui vins, le lendemain, peut-être le soir même.

      —Le soir, dit Nicolas. Je n'aurais pas pu attendre au lendemain!

      —Et maintenant que j'y pense, mon drôle, tu avais déjà ton idée.

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