Alexandre Dumas

Le capitaine Pamphile


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et que, la tirant de son réfectoire, je la portai directement au lieu de sa destination.

      Je remontai bien vite et m'endormis, persuadé que j'étais l'homme de France le plus ingénieux en expédients.

      Le lendemain, Joseph me réveilla dès le matin.

      —Oh! monsieur, en voilà une farce! me dit-il en se plantant devant mon lit.

      —Quelle farce?

      —Celle que votre tortue a faite.

      —Comment?

      —Eh bien, croiriez-vous qu'elle est sortie de votre appartement, ça, je ne sais pas comment... qu'elle a descendu les trois étages, et qu'elle a été se mettre au frais dans le vivier du restaurateur?

      —Imbécile! tu n'as pas deviné que c'était moi qui l'y avais portée?

      —Ah bon!... Vous avez fait là un beau coup, alors!

      —Pourquoi cela?

      —Pourquoi? Parce qu'elle a mangé la tanche, une tanche superbe qui pesait trois livres.

      —Allez me chercher Gazelle, et apportez-moi des balances.

      Pendant que Joseph exécutait cet ordre, j'allai à ma bibliothèque, j'ouvris mon Buffon à l'article tortue; car je tenais à m'assurer si ce chélonien était ichtyophage, et je lus ce qui suit:

      «Cette tortue d'eau douce, testudo aquarum dulcium c'était bien cela, aime surtout les marais et les eaux dormantes; lorsqu'elle est dans une rivière ou dans un étang, alors elle attaque tous les poissons indistinctement, même les plus gros: elle les mord sous le ventre, les y blesse fortement, et, lorsqu'ils sont épuisés par la perte du sang, elle les dévore avec la plus grande avidité et ne laisse guère que les arêtes, la tête des poissons, et même leur vessie natatoire, qui remonte quelquefois à la surface de l'eau.»

      —Diable! diable! dis-je; le restaurateur a pour lui M. de Buffon: ce qu'il dit pourrait bien être vrai.

      J'étais en train de méditer sur la probabilité de l'accident, lorsque Joseph rentra, tenant l'accusée d'une main et les balances de l'autre.

      —Voyez-vous, me dit Joseph, ça mange beaucoup, ces sortes d'animaux, pour entretenir leurs forces, et du poisson surtout, parce que c'est très nourrissant; est-ce que vous croyez que, sans cela, ça pourrait porter une voiture?... Voyez, dans les ports de mer, comme les matelots sont robustes; c'est parce qu'ils ne mangent que du poisson.

      J'interrompis Joseph.

      —Combien pesait la tanche?

      —Trois livres: c'est neuf francs que le garçon réclame.

      —Et Gazelle l'a mangée tout entière?

      —Oh! elle n'a laissé que l'arête, la tête et la vessie.

      —C'est bien cela! M. de Buffon est un grand naturaliste. Cependant, continuai-je à demi-voix, trois livres... cela me parait fort.

      Je mis Gazelle dans la balance; elle ne pesait que deux livres et demie avec sa carapace.

      Il résultait de cette expérience, non point que Gazelle fût innocente du fait dont elle était accusée, mais qu'elle devait avoir commis le crime sur un cétacé d'un plus médiocre volume.

      Il paraît que ce fut aussi l'avis du garçon; car il parut fort content de l'indemnité de cinq francs que je lui donnai.

      L'aventure des limaçons et l'accident de la tanche me rendirent moins enthousiaste de ma nouvelle acquisition; et, comme le hasard fit que je rencontrai, le même jour, un de mes amis, homme original et peintre de génie, qui faisait à cette époque une ménagerie de son atelier, je le prévins que j'augmenterais le lendemain sa collection d'un nouveau sujet, appartenant à l'estimable catégorie des chéloniens, ce qui parut le réjouir beaucoup.

      Gazelle coucha cette nuit dans ma chambre, où tout se passa fort tranquillement, vu l'absence des escargots.

      Le lendemain, Joseph entra chez moi, comme d'habitude, roula le tapis de pied de mon lit, ouvrit la fenêtre, et se mit à le secouer pour en extraire la poussière; mais tout à coup il poussa un grand cri et se pencha hors de la fenêtre comme s'il eût voulu se précipiter.

      —Qu'y a-t-il donc, Joseph? dis-je à moitié éveillé.

      —Ah! monsieur, il y a que votre tortue était couchée sur le tapis, je ne l'ai pas vue...

      —Et...?

      —Et, ma foi! sans le faire exprès, je l'ai secouée par la fenêtre.

      —Imbécile!...

      Je sautai à bas de mon lit.

      —Tiens! dit Joseph, dont la figure et la voix reprenaient une expression de sérénité tout à fait rassurante, tiens! elle mange un chou!

      En effet, la bête, qui avait rentré par instinct tout son corps dans sa cuirasse, était tombée par hasard sur un tas d'écailles d'huîtres, dont la mobilité avait amorti le coup, et, trouvant à sa portée un légume à sa convenance, elle avait sorti tout doucement la tête hors de sa carapace, et s'occupait de son déjeuner aussi tranquillement que si elle ne venait pas de tomber d'un troisième étage.

      —Je vous le disais bien, monsieur! répétait Joseph dans la joie de son âme, je vous le disais bien, qu'à ces animaux rien ne leur faisait. Eh bien, pendant qu'elle mange, voyez-vous, une voiture passerait dessus...

      —N'importe, descendez vite et allez me la chercher.

      Joseph obéit. Pendant ce temps, je m'habillai, occupation que j'eus terminée avant que Joseph reparût; je descendis donc à sa rencontre et le trouvai pérorant au milieu d'un cercle de curieux, auxquels il expliquait l'événement qui venait d'arriver.

      Je lui pris Gazelle des mains, sautai dans un cabriolet, qui me descendit faubourg Saint-Denis, n° 109; je montai cinq étages, et j'entrai dans l'atelier de mon ami, qui était en train de peindre.

      Il y avait autour de lui un ours couché sur le dos, et jouant avec une bûche; un singe assis sur une chaise et arrachant, les uns après les autres, les poils d'un pinceau; et, dans un bocal, une grenouille accroupie sur la troisième traverse d'une petite échelle, à l'aide de laquelle elle pouvait monter jusqu'à la surface de l'eau.

      Mon ami s'appelait Decamps, l'ours Tom, le singe Jacques Ier, et la grenouille mademoiselle Camargo.

       Table des matières

       Table des matières

      Mon entrée fit révolution.

      Decamps leva les yeux de dessus ce merveilleux petit tableau des Chiens savants que vous connaissez tous, et qu'il achevait alors.

      Tom se laissa tomber sur le nez la bûche avec laquelle il jouait, et s'enfuit en grognant dans sa niche, bâtie entre les deux fenêtres.

      Jacques Ier jeta vivement son pinceau derrière lui et ramassa une paille qu'il porta innocemment à sa bouche avec sa main droite, tandis qu'il se grattait la cuisse de la main gauche et levait béatement les yeux au ciel.

      Enfin, mademoiselle Camargo monta languissamment un degré de son échelle; ce qui, dans toute autre circonstance, aurait pu être considéré comme un signe de pluie.

      Et