Ponson du Terrail

Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris


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      Une violente émotion s'empara sans doute de mes trois rivaux, car je les vis pâlir.

      Gaston de Lavenay, surtout, devint livide.

      VI

      OU TONY VOIT LE MARQUIS ALLER A UN

       RENDEZ-VOUS

      Quant à moi, lut encore le commis à mame Toinon, j'éprouvai, pendant que la comtesse plongeait sa jolie main dans le chapeau de Maurevailles, un supplice qu'il me serait impossible de décrire.

      La jeune fille, souriante et calme, retira sa main et nous montra un des quatre rouleaux de papier.

      —Voici le nom du gagnant, dit-elle.

      Et elle s'apprêtait à dérouler le papier; mais Gaston de Lavenay l'arrêta d'un geste.

      —Pas encore! murmura-t-il.

      La jeune fille le regarda avec étonnement.

      —C'est pour la suite du pari, dit Marc de Lacy.

      —Comtesse, ajouta Maurevailles, veuillez garder un moment ce billet.

      Il s'approcha d'une cheminée et jeta les trois autres noms dans le feu.

      Puis il revint vers nous.

      —M'expliquerez-vous cette énigme? demanda la belle Hongroise en se tournant vers moi.

      Mais Maurevailles prit encore la parole et dit:

      —Comtesse, nous nous sommes fixé un but tous les quatre.

      —Ah!

      —Ce but doit être la récompense de celui dont le nom se trouve roulé entre vos jolis doigts.

      —Eh bien?

      —Mais chacun de nous doit le poursuivre.

      —Je ne comprends pas, dit naïvement la jeune fille.

      —C'est peut-être une énigme, ajouta Gaston de Lavenay, qui avait fini par sourire.

      —Et cette énigme?

      —Nous devons concourir à la déchiffrer tous les quatre.

      —Je comprends de moins en moins.

      —Eh bien, dit Maurevailles, voulez-vous nous donner huit jours pour vous l'expliquer!

      —Oh! de grand coeur...

      —Et, en attendant, gardez ce billet sans l'ouvrir.

      —Par sainte Haydée, ma patronne, je le jure, répondit la jeune fille.

      Une Hongroise mourrait plutôt que de trahir son serment.

      Nos trois amis s'inclinèrent, laissant le billet aux mains de la comtesse Haydée, et je demeurai seul avec elle une minute encore.

      —Qu'est-ce que cette nébuleuse plaisanterie?

      —Je ne sais...

      —Comment! fit-elle.

      —Ou plutôt, ajoutai-je me remettant tout à fait de mon trouble, je ne puis vous l'expliquer aujourd'hui.

      —C'est juste, me dit-elle; comme vos amis, vous êtes lié par un serment sans doute?

      —Oui, comtesse.

      Elle me sourit.

      —Soit, dit-elle, gardez votre secret, mais n'oubliez pas que je vous attends dans une heure. Adieu.

      Elle me tendit le bout de ses doigts à la façon orientale et me quitta pour rejoindre son père.

      Quant à moi, je voulais me perdre dans la foule et m'esquiver; mais Gaston de Lavenay me rejoignit.

      Il passa son bras sous le mien.

      —J'ai à te parler, marquis, me dit-il.

      —Que veux-tu?

      —Nous avons recueilli un nouveau renseignement.

      —Sur qui?

      —Sur elle, parbleu!

      —Voyons?

      —Elle va chaque dimanche, au matin, avant le jour, entendre la messe dans une petite chapelle située au milieu des bois. C'est un voeu qu'elle a fait.

      —Ah! fis-je avec une indifférence affectée.

      —Un seul serviteur l'accompagne.

      —Eh bien?

      —Tu comprends que le moment est propice.

      —Pourquoi?

      —Mais pour l'enlever.

      —C'est juste, balbutiai-je.

      —Ah ça! me dit Gaston, mais tu es idiot, mon cher, depuis une heure.

      —Tu trouves?

      —Tu es amoureux fou, stupide.

      —Toi aussi.

      —D'accord; mais je n'oublie pas nos conventions, tandis que toi...

      —Je ne parais pas m'en souvenir, veux-tu dire?

      —Précisément.

      Je fis un violent effort sur moi-même et je répondis:

      —Pardonne-moi, mais je viens d'éprouver une violente contrariété et j'ai l'esprit à tout autre chose qu'à nos amours.

      —Qu'as-tu donc?

      —J'ai aperçu dans le bal un officier autrichien que j'ai connu à Paris avant la guerre et je désire le trouver.

      —Une querelle?

      —Peut-être...

      —Mais, c'est jour de trêve...

      —Oh! pas pour des affaires particulières... j'ai mes raisons.

      —Veux-tu que je t'accompagne?

      —C'est inutile. Au revoir...

      Et grâce à ce prétexte, je me débarrassai de Gaston, m'élançai au plus épais de la foule et parvins à gagner la porte. Dix minutes après, j'étais assis sur le seuil extérieur de la petite maison isolée au bord du Danube, que la comtesse Haydée m'avait assignée comme lieu de rendez-vous.

      J'attendis environ une heure dans la plus vive anxiété.

      Pourquoi la jeune Hongroise m'avait-elle donné rendez-vous? Pourquoi avait-elle besoin de me voir et n'avait-elle foi qu'en moi?

      A l'émotion que de telles pensées devaient faire naître dans mon coeur, joignez le souvenir de ce serment infâme que j'avais prêté et de cette loterie étrange à laquelle j'avais consenti.

      Depuis une heure, mes amis m'étaient devenus odieux.

      Il me semblait que ces trois hommes formaient entre elle et moi une barrière infranchissable.

      Toutes ces réflexions tumultueuses torturaient mon esprit, lorsque je vis se mouvoir dans l'éloignement une forme humaine.

      La nuit était assez sombre, et je ne pus distinguer tout d'abord à qui j'avais affaire.

      Cependant j'entendis un pas léger résonner sur le sol glacé et bientôt je pus me convaincre que la personne qui venait à moi était une femme.

      Cette femme était enveloppée dans une mante épaisse qui lui cachait entièrement le visage.

      Je crus que c'était la comtesse elle-même et j'allai vers elle.

      Mais une voix qui m'était inconnue me dit, en mauvais français:

      —Qui êtes-vous?

      —Je