George Sand

Contes d'une grand-mère


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      —Merci, répondit l'enfant; je ne veux pas mendier.

      —Eh bien, soit, tu voleras pour moi.

      Emmi eut envie de se fâcher, mais la vieille avait parlé de le conduire le lendemain à Mauvert, où se tenait une grande foire, et, comme il avait envie de voir du pays et de connaître les endroits où on peut gagner sa vie honnêtement, il répondit sans montrer de colère:

      —Je ne saurais pas voler, je n'ai jamais appris.

      —Tu mens, reprit Catiche, tu voles très-habilement à la forêt de Cernas son gibier et ses fruits. Crois-tu donc que ces choses-là n'appartiennent à personne? Ne sais-tu pas que celui qui ne travaille pas ne peut vivre qu'aux dépens d'autrui? Il y a longtemps que cette forêt est quasi abandonnée. Le propriétaire était un vieux riche qui ne s'occupait plus de rien et ne la faisait pas seulement garder. A présent qu'il est mort, tout ça va changer et tu auras beau te cacher comme un rat dans des trous d'arbres, on te mettra la main sur le collet et on te conduira en prison.

      —Eh bien, alors, reprit Emmi, pourquoi voulez-vous m'enseigner à voler pour vous?

      —Parce que, quand on sait, on n'est jamais pris. Tu réfléchiras, il se fait tard, et il faut nous lever demain avec le jour pour aller à la foire. Je vais t'arranger un lit sur mon coffre, un bon lit avec une couette et une couverture. Pour la première fois de ta vie, tu dormiras comme un prince.

      Emmi n'osa résister. Quand la vieille Catiche ne faisait plus l'idiote, elle avait quelque chose d'effrayant dans le regard et dans la voix. Il se coucha et s'étonna d'abord de se trouver si bien; mais, au bout d'un instant, il s'étonna de se trouver si mal. Ce gros coussin de plumes l'étouffait, la couverture, le manque d'air libre, la mauvaise odeur de la cuisine et le vin qu'il avait bu, lui donnaient la fièvre. Il se leva tout effaré en disant qu'il voulait dormir dehors, et qu'il mourrait s'il lui fallait passer la nuit enfermé.

      La Catiche ronflait, et la porte était barricadée. Emmi se résigna à dormir étendu sur la table, regrettant fort son lit de mousse dans le chêne.

      Le lendemain, la Catiche lui confia un panier d'oeufs et six poules à vendre, en lui ordonnant de la suivre à distance et de n'avoir pas l'air de la connaître.

      —Si on savait que je vends, lui dit-elle, on ne me donnerait plus rien.

      Elle lui fixa le prix qu'il devait atteindre avant de livrer sa marchandise, tout en ajoutant qu'elle ne le perdrait pas de vue, et que, s'il ne lui rapportait pas fidèlement l'argent, elle saurait bien le forcer à le lui rendre.

      —Si vous vous défiez de moi, répondit Emmi offensé, portez votre marchandise vous-même et laissez-moi m'en aller.

      —N'essaye pas de fuir, dit la vieille, je saurai te retrouver n'importe où; ne réplique pas et obéis.

      Il la suivit à distance comme elle l'exigeait, et vit bientôt le chemin couvert de mendiants plus affreux les uns que les autres. C'étaient les habitants d'Oursines, qui, ce jour-là, allaient tous ensemble se faire guérir à une fontaine miraculeuse. Tous étaient estropiés ou couverts de plaies hideuses. Tous sortaient de la fontaine sains et allègres. Le miracle n'était pas difficile à expliquer, tous leurs maux étant simulés et les reprenant au bout de quelques semaines, pour être guéris le jour de la fête suivante.

      Emmi vendit ses oeufs et ses poules, en reporta vite l'argent à la vieille, et, lui tournant le dos, s'en fut à travers la foule, les yeux écarquillés, admirant tout et s'étonnant de tout. Il vit des saltimbanques faire des tours surprenants, et il s'était même un peu attardé à contempler leurs maillots pailletés et leurs bandeaux dorés, lorsqu'il entendit à côté de lui un singulier dialogue. C'était la voix de la Catiche qui s'entretenait avec la voix rauque du chef des saltimbanques. Ils n'étaient séparés de lui que par la toile de la baraque.

      —Si vous voulez lui faire boire du vin, disait la Catiche, vous lui persuaderez tout ce que vous voudrez. C'est un petit innocent qui ne peut me servir à rien et qui prétend vivre tout seul dans la forêt, où il perche depuis un an dans un vieux arbre. Il est aussi leste et aussi adroit qu'un singe, il ne pèse pas plus qu'un chevreau, et vous lui ferez faire les tours les plus difficiles.

      —Et vous dites qu'il n'est pas intéressé? reprit le saltimbanque.

      —Non, il ne se soucie pas de l'argent. Vous le nourrirez, et il n'aura pas l'esprit d'en demander davantage.

      —Mais il voudra se sauver?

      —Bah! avec des coups, vous lui en ferez passer l'envie.

      —Allez me le chercher, je veux le voir.

      —Et vous me donnerez vingt francs?

      —Oui, s'il me convient.

      La Catiche sortit de la baraque et se trouva face à face avec Emmi, à qui elle fit signe de la suivre.

      —Non pas, lui dit-il, j'ai entendu votre marché. Je ne suis pas si innocent que vous croyez. Je ne veux pas aller avec ces gens-là pour être battu.

      —Tu y viendras, pourtant, répondit la Catiche en lui prenant le poignet avec une main de fer et en l'attirant vers la baraque.

      —Je ne veux pas, je ne veux pas! cria l'enfant en se débattant et en s'accrochant de la main restée libre à la blouse d'un homme qui était près de lui et qui regardait le spectacle.

      L'homme se retourna, et, s'adressant à la Catiche, lui demanda si ce petit était à elle.

      —Non, non, s'écria Emmi. elle n'est pas ma mère, elle ne m'est rien, elle veut me vendre un louis d'or à ces comédiens!

      —Et toi, tu ne veux pas?

      —Non, je ne veux pas! sauvez-moi de ses griffes. Voyez! elle me met en sang.

      Qu'est-ce qu'il y a de cette femme et de cet enfant? dit le beau gendarme Érambert, attiré par les cris d'Emmi et les vociférations de la Catiche.

      —Bah! ça n'est rien, répondit le paysan qu'Emmi tenait toujours par sa blouse. C'est une pauvresse qui veut vendre un gars aux sauteurs de corde; mais on l'empêchera bien, gendarme, on n'a pas besoin de vous.

      —On a toujours besoin de la gendarmerie, mon ami. Je veux savoir ce qu'il y a de cette histoire-là.

      Et, s'adressant à Emmi:

      —Parle, jeune homme, explique-moi l'affaire.

      A la vue du gendarme, la vieille Catiche avait lâché Emmi et avait essayé de fuir; mais le majestueux Érambert l'avait saisie par le bras, et vite elle s'était mise à rire et à grimacer en reprenant sa figure d'idiote. Pourtant, au moment où Emmi allait répondre, elle lui lança un regard suppliant où se peignait un grand effroi. Emmi avait été élevé dans la crainte des gendarmes, et il s'imagina que, s'il accusait la vieille, Érambert allait lui trancher la tête avec son grand sabre. Il eut pitié d'elle et répondit:

      —Laissez-la, monsieur, c'est une femme folle et imbécile qui m'a fait peur, mais qui ne voulait pas me faire de mal.

      —La connaissez-vous? n'est-ce pas la Catiche? une femme qui fait semblant de ce qu'elle n'est pas? Dites la vérité.

      Un nouveau regard de la mendiante donna à Emmi le courage de mentir pour lui sauver la vie.

      —Je la connais, dit-il, c'est une innocente.

      —Je saurai de ce qui en est, répondit le beau gendarme en laissant aller la Catiche. Circulez, vieille femme, mais n'oubliez pas que depuis longtemps j'ai l'oeil sur vous.

      La Catiche s'enfuit, et le gendarme s'éloigna. Emmi, qui avait eu encore plus peur de lui que de la vieille, tenait toujours la blouse du père Vincent. C'était le nom du paysan qui s'était trouvé là pour le protéger, et qui avait une bonne figure douce et gaie.

      —Ah çà! petit, dit ce bonhomme à