du langage, il faudra en plus un vocable général, un nom précis et distinct englobant ces quatre départements.
Je propose de les appeler la France rhénane. Ce vocable s'inspire du même principe que les vocables allemands usités jusqu'ici, mais en tenant compte des conditions nouvelles où se trouveront ces provinces. Par le mot «rhénane», il désignera, comme toujours, leur position géographique; par le mot «France», il exprimera leur attribution politique actuelle, en même temps que leur vraie et ancienne nationalité. En effet les autochtones de la rive gauche n'ont jamais été ni bavarois, ni hessois, ni prussiens; ils sont de vieille souche gauloise, et leur race n'a pas été noyée sous le flot des immigrés, quel qu'ait été le nombre de ces tard-venus depuis un demi-siècle.
Nous aurons ainsi trois belles provinces aux noms clairs, sonores, populaires, aussi doux à nos oreilles qu'à nos cœurs: l'Alsace, la Lorraine et la France rhénane; trois provinces qui monteront la garde sur le Rhin.
J'avais aussi songé à un autre nom, celui d'Austrasie. C'était celui qui, à l'époque mérovingienne, désignait la France de l'Est et la région rhénane en particulier: il aurait l'avantage d'affirmer notre vieux droit historique. Lorsque Henri II fit, en 1552, la campagne rhénane où il reprit Metz, Toul et Verdun, son intention était de reconquérir non seulement l'Alsace et la Lorraine, mais les autres provinces cisrhénanes. Ce projet, nous le verrons, fut très populaire en France. Or le nom que l'on se proposait de donner à la région conquise était justement celui d'Austrasie.
Cependant ce nom aurait peut-être des inconvénients: les savants pourraient lui reprocher de restreindre à une portion de son territoire l'antique Austrasie qui était plus vaste; le public le trouverait sans doute trop archaïque, trop mérovingien, pas assez populaire. Aussi je ne le suggère que pour mémoire.
Également pour mémoire, je signale l'appellation de France ripuaire, qui serait très justifiée historiquement, car il s'agit de la contrée qu'habitaient les Francs Ripuaires ou riverains du Rhin: mais ce nom paraîtrait sans doute aussi un peu archaïque.
Je ne tiens d'ailleurs pas plus que de raison à celui de France rhénane: et j'applaudirai à toute autre dénomination plus juste que l'on pourra proposer.
Quoi qu'il en soit des noms, et bien qu'ils aient leur importance, l'essentiel est que la France enlève la rive gauche du Rhin à l'Allemagne et qu'elle y établisse son influence. Nous allons voir qu'elle y a un intérêt vital et un droit incontestable.
#II#
#NOTRE INTÉRÊT NATIONAL#
Intérêt d'ordre militaire.
La France a besoin pour la défense de son territoire de commander toute la rive gauche du Rhin, soit par elle-même, soit par des alliés dont elle soit très sûre. La possession de l'Alsace et de la Lorraine est évidemment la mesure la plus urgente et la plus essentielle; mais elle ne suffit pas. Les autres provinces cisrhénanes ne doivent pas être laissées à l'Allemagne, car elles lui fournissent un tremplin d'où elle peut s'élancer facilement sur la France, par-dessus la Belgique et le Luxembourg, l'Alsace et la Lorraine. En violant ces contrées, elle est immédiatement en Franche-Comté, en Bourgogne, en Champagne ou dans le Nord, et, de là, elle peut gagner Paris en quelques jours.
Maîtres de Paris, les ennemis peuvent, soit par les moyens de communication que donne sa centralité, soit par la menace de le saccager ou de le détruire, écraser la France ou la forcer à capituler.
Et alors même qu'ils n'arriveraient pas à prendre la capitale, ils occuperaient, comme en 1870, comme en 1914, un grand nombre de départements et recommenceraient les horreurs que nous connaissons.
Si, au contraire, nous sommes les maîtres de toute la rive gauche, de toutes ses forteresses, de tous les passages du fleuve, et, à plus forte raison, si nous empêchons, comme nous l'indiquerons plus loin, l'Allemagne de se fortifier sur la rive droite, il lui sera impossible de pénétrer, ou du moins de pénétrer bien avant, sur notre territoire et nous ne reverrons plus jamais les atrocités que les barbares ont si souvent commises chez nous dans les siècles passés.
On compte une trentaine de ces invasions dévastatrices sans parler des violations moins importantes de notre territoire. Depuis le commencement de la grande Révolution nous en avons eu six. Il s'agit de fermer pour toujours nos portes à ces cambrioleurs assassins.
Or, la guerre actuelle nous fournit, par la victoire que nous avons le droit d'escompter, une occasion merveilleuse de mettre fin à cette insécurité de nos frontières, de crever une fois pour toutes le nuage de sang qui déferle toujours vers nous du fond des Allemagnes.
Maurice Barrès a dit très justement dans l'Écho de Paris du 10 janvier 1915: «C'est la vingt-neuvième fois que les gens d'outre-Rhin viennent dévaster notre pays. C'est la quatrième fois depuis un siècle. Ils reviendront chaque fois qu'ils le pourront. Il faut que nous combattions pour qu'une pareille chose devienne impossible dans notre existence et dans l'existence de nos enfants et petits-enfants. Il s'agit de chasser les Allemands, de briser leur unité et de prendre nos sûretés sur le Rhin.»
C'est aussi l'opinion de M. J. Dontenville, professeur agrégé d'histoire: «Nos frontières (de l'Est) sont dangereusement défectueuses, ouvertes toutes grandes à l'ennemi, beaucoup trop rapprochées de Paris, tête et cœur de la France. Nous éprouvons le besoin irréductible de les rectifier, de les fermer, de les tracer loin de la capitale. Depuis quelque cent ans, guère plus, l'invasion allemande, accompagnée des pires horreurs, a débordé six fois sur notre malheureuse patrie, en 1792, 1793, 1814, 1815, 1870, 1914. Pourquoi? Parce que nous sommes hors d'état de protéger nos marches trop vulnérables du Nord-Est. Nous ne possédons pas nos limites normales, établies par la nature elle-même. Au contraire, l'ennemi tient les clefs de notre maison où il pénètre ainsi de prime abord. Une grande bataille par nous perdue, et voilà les armées qui, sans obstacle, foncent sur Paris. Situation vraiment douloureuse et effroyable! Ne sommes-nous pas irréprochables de tout point, si, pour la changer, nous utilisons l'occasion propice?
«Avec le vicomte de Bonald, nous jugeons que sans le Rhin» la France n'est pas finie et ne saurait être stable. Comme Vauban l'affirmait à Louis XIV, il faut, par une configuration régulière, rendre à l'avenir notre pré carré[1].»
M. Savarit écrit: «La capitale, trop rapprochée d'une frontière faible, reste à la merci «des convoitises éternelles des Germains», à la merci d'un coup de main audacieux et brutal paralysant sa légitime défense, comme celui que nous venons de voir échouer…
«L'ennemi qui tient Paris, s'il est assez féroce pour le piller et même le détruire—et l'on connaît la fureur teutonique!—tient la France à sa merci. Le monde même est intéressé, à cause des admirables monuments de Paris, de ses incomparables collections d'art et d'histoire, de toutes ses beautés qui sont le patrimoine commun de l'humanité, à la sécurité de la Grand'Ville.
«Or, cette sécurité ne peut être garantie, surtout du côté des Barbares, que par une frontière suffisamment éloignée, une frontière naturellement forte se prêtant à des travaux de défense efficaces[2].»
[Note 1: Après la guerre. Les Allemagnes, la France, la Belgique et la Hollande, par J. DONTENVILLE, page 31.—Floury, éditeur, Paris, I, boulevard des Capucines: fr. 60.]
[Note 2: La Frontière du Rhin, par C.-M. SAVARIT, p. 32.—Floury, éditeur.]
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Intérêt d'ordre économique.
Il nous est impossible de ne pas tenir compte de l'accroissement de prospérité matérielle qui découlerait de notre mainmise sur ces opulentes contrées.
L'arrondissement