Морис Леблан

LUPIN: Les aventures complètes


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on le saurait, Sire… Voilà trois heures que l’on fouille de tous côtés.

      – Cependant, ce n’est pas moi qui ai préparé le café, je te l’assure… Et à moins que ce ne soit toi…

      – Oh ! Sire !

      – Eh bien ! Cherche… perquisitionne… Tu as deux cents hommes à ta disposition, et les communs ne sont pas si grands ! Car enfin, le bandit rôde par là, autour de ces bâtiments… du côté de la cuisine… que sais-je ? Va ! Remue-toi !

      Toute la nuit, le gros Waldemar se remua consciencieusement, puisque c’était l’ordre du maître, mais sans conviction, puisqu’il était impossible qu’un étranger se dissimulât parmi des ruines aussi bien surveillées. Et de fait, l’événement lui donna raison : les investigations furent inutiles, et l’on ne put découvrir la main mystérieuse qui avait préparé le breuvage soporifique.

      Cette nuit, Lupin la passa sur son lit, inanimé. Au matin le docteur, qui ne l’avait pas quitté, répondit à un envoyé de l’Empereur que le malade dormait toujours.

      À neuf heures, cependant, il fit un premier geste, une sorte d’effort pour se réveiller.

      Un peu plus tard il balbutia :

      – Quelle heure est-il ?

      – Neuf heures trente-cinq.

      Il fit un nouvel effort, et l’on sentait que, dans son engourdissement, tout son être se tendait pour revenir à la vie. Une pendule sonna dix coups.

      Il tressaillit et prononça :

      – Qu’on me porte… qu’on me porte au palais.

      Avec l’approbation du médecin, Waldemar appela ses hommes et fit prévenir l’Empereur.

      On déposa Lupin sur un brancard et l’on se mit en marche vers le palais.

      – Au premier étage, murmura-t-il.

      On le monta.

      – Au bout du couloir, dit-il, la dernière chambre à gauche.

      On le porta dans la dernière chambre, qui était la douzième, et on lui donna une chaise sur laquelle il s’assit, épuisé.

      L’Empereur arriva : Lupin ne bougea pas, l’air inconscient, le regard sans expression.

      Puis, après quelques minutes, il sembla s’éveiller, regarda autour de lui les murs, le plafond, les gens, et dit :

      – Un narcotique, n’est-ce pas ?

      – Oui, déclara le docteur.

      – On a trouvé… l’homme ?

      – Non.

      Il parut méditer, et, plusieurs fois, il hocha la tête d’un air pensif, mais on s’aperçut bientôt qu’il dormait.

      L’Empereur s’approcha de Waldemar.

      – Donne les ordres pour qu’on fasse avancer ton auto.

      – Ah ? Mais alors, Sire ?…

      – Eh quoi ! Je commence à croire qu’il se moque de nous, et que tout cela n’est qu’une comédie pour gagner du temps.

      – Peut-être… en effet… approuva Waldemar.

      – évidemment ! Il exploite certaines coïncidences curieuses, mais il ne sait rien, et son histoire de pièces d’or, son narcotique, autant d’inventions ! Si nous nous prêtons davantage à ce petit jeu, il va nous filer entre les mains. Ton auto, Waldemar.

      Le comte donna les ordres et revint. Lupin ne s’était pas réveillé. L’Empereur qui inspectait la salle, dit à Waldemar :

      – C’est la salle de Minerve, ici, n’est-ce pas ?

      – Oui, Sire.

      – Mais alors, pourquoi ce N, à deux endroits ?

      Il y avait en effet, deux N, l’un au-dessus de la cheminée, l’autre au-dessus d’une vieille horloge encastrée dans le mur, toute démolie, et dont on voyait le mécanisme compliqué, les poids inertes au bout de leurs cordes.

      – Ces deux N, dit Waldemar…

      L’Empereur n’écouta pas la réponse. Lupin s’était encore agité, ouvrant les yeux et articulant des syllabes indistinctes. Il se leva, marcha à travers la salle, et retomba exténué.

      Ce fut alors la lutte, la lutte acharnée de son cerveau, de ses nerfs, de sa volonté, contre cette torpeur affreuse qui le paralysait, lutte de moribond contre la mort, lutte de la vie contre le néant.

      Et c’était un spectacle infiniment douloureux.

      – Il souffre, murmura Waldemar.

      – Ou du moins il joue la souffrance, déclara l’Empereur, et il la joue à merveille. Quel comédien !

      Lupin balbutia :

      – Une piqûre, docteur, une piqûre de caféine… tout de suite…

      – Vous permettez. Sire ? demanda le docteur.

      – Certes… Jusqu’à midi, tout ce qu’il veut, on doit le faire. Il a ma promesse.

      – Combien de minutes… jusqu’à midi ? reprit Lupin.

      – Quarante, lui dit-on.

      – Quarante ?… J’arriverai… il est certain que j’arriverai… Il le faut…

      Il empoigna sa tête à deux mains.

      – Ah ! Si j’avais mon cerveau, le vrai, mon bon cerveau qui pense ! Ce serait l’affaire d’une seconde ! Il n’y a plus qu’un point de ténèbres… Mais je ne peux pas… ma pensée me fuit… je ne peux pas la saisir… c’est atroce…

      Ses épaules sursautaient. Pleurait-il ?

      On l’entendit qui répétait :

      – 813… 813…

      Et, plus bas :

      – 813… un 8 un 1… un 3… oui, évidemment… mais pourquoi ?… ça ne suffit pas.

      L’Empereur murmura :

      – Il m’impressionne. J’ai peine à croire qu’un homme puisse ainsi jouer un rôle…

      La demie… les trois quarts…

      Lupin demeurait immobile, les poings plaqués aux tempes.

      L’Empereur attendait, les yeux fixés sur un chronomètre que tenait Waldemar.

      – Encore dix minutes… encore cinq…

      – Waldemar, l’auto est là ? Tes hommes sont prêts ?

      – Oui, Sire.

      – Ton chronomètre est à sonnerie ?

      – Oui, Sire.

      – Au dernier coup de midi alors…

      – Pourtant…

      – Au dernier coup de midi, Waldemar.

      Vraiment la scène avait quelque chose de tragique, cette sorte de grandeur et de solennité que prennent les heures à l’approche d’un miracle possible. Il semble que c’est la voix même du destin qui va s’exprimer.

      L’Empereur ne cachait pas son angoisse. Cet aventurier bizarre qui s’appelait Arsène Lupin, et dont il connaissait la vie prodigieuse, cet homme le troublait et, quoique résolu à en finir avec toute cette histoire équivoque, il ne pouvait s’empêcher d’attendre et d’espérer.

      Encore deux minutes… encore une minute. Puis ce fut par secondes que l’on compta.