Морис Леблан

LUPIN: Les aventures complètes


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y est. Les ennemis sont à l’eau. Plus d’obstacles entre le but et moi. La place est libre, bâtissons ! J’ai les matériaux sous la main, j’ai les ouvriers, bâtissons, Lupin ! Et que le palais soit digne de toi !

      Il se fit arrêter à quelques centaines de mètres du château pour que son arrivée fût plus discrète, et il dit à Octave :

      – Tu entreras d’ici vingt minutes, à quatre heures, et tu iras déposer mes valises dans le petit chalet qui est au bout du parc. C’est là que j’habiterai.

      Au premier détour du chemin, le château lui apparut, à l’extrémité d’une sombre allée de tilleuls. De loin, sur le perron, il aperçut Geneviève qui passait.

      Son cœur s’émut doucement.

      – Geneviève, Geneviève, dit-il avec tendresse… Geneviève, le vœu que j’ai fait à ta mère mourante se réalise également… Geneviève, grande-duchesse… Et moi, dans l’ombre, près d’elle, veillant à son bonheur et poursuivant les grandes combinaisons de Lupin.

      Il éclata de rire, sauta derrière un groupe d’arbres qui se dressaient à gauche de l’allée, et fila le long d’épais massifs. De la sorte il parvenait au château sans qu’on eût pu le surprendre des fenêtres du salon ou des chambres principales.

      Son désir était de voir Dolorès avant qu’elle ne le vît, et, comme il avait fait pour Geneviève, il prononça son nom plusieurs fois, mais avec une émotion qui l’étonnait lui-même :

      – Dolorès… Dolorès…

      Furtivement il suivit les couloirs et gagna la salle à manger. De cette pièce, par une glace sans tain, il pouvait apercevoir la moitié du salon.

      Il s’approcha.

      Dolorès était allongée sur une chaise longue, et Pierre Leduc, à genoux devant elle, la regardait d’un air extasié.

       La carte de l’Europe

      Table des matières

      – 1 –

      Pierre Leduc aimait Dolorès !

      Ce fut en Lupin une douleur profonde, aiguë, comme s’il avait été blessé dans le principe même de sa vie, une douleur si forte qu’il eut – et c’était la première fois – la vision nette de ce que Dolorès était devenue pour lui, peu à peu, sans qu’il en prît conscience.

      Pierre Leduc aimait Dolorès, et il la regardait comme on regarde celle qu’on aime.

      Lupin sentit en lui, aveugle et forcené, l’instinct du meurtre. Ce regard, ce regard d’amour qui se posait sur la jeune femme, ce regard l’affolait. Il avait l’impression du grand silence qui enveloppait la jeune femme et le jeune homme, et, dans ce silence, dans l’immobilité des attitudes, il n’y avait plus de vivant que ce regard d’amour, que cet hymne muet et voluptueux par lequel les yeux disaient toute la passion, tout le désir, tout l’enthousiasme, tout l’emportement d’un être pour un autre.

      Et il voyait Mme Kesselbach aussi. Les yeux de Dolorès étaient invisibles sous ses paupières baissées, ses paupières soyeuses aux longs cils noirs. Mais comme elle sentait le regard d’amour qui cherchait son regard ! Comme elle frémissait sous la caresse impalpable !

      « Elle l’aime… elle l’aime », se dit Lupin, brûlé de jalousie.

      Et, comme Pierre faisait un geste : « Oh ! Le misérable, s’il ose la toucher, je le tue. »

      Et il songeait, tout en constatant la déroute de sa raison, et en s’efforçant de la combattre :

      « Suis-je bête ! Comment, toi, Lupin, tu te laisses aller ! Voyons, c’est tout naturel si elle l’aime… Oui, évidemment, tu avais cru deviner en elle une certaine émotion à ton approche, un certain trouble… Triple idiot, mais tu n’es qu’un bandit, toi, un voleur tandis que lui, il est duc, il est jeune. »

      Pierre n’avait pas bougé davantage. Mais ses lèvres remuèrent, et il sembla que Dolorès s’éveillait. Doucement, lentement, elle leva les paupières, tourna un peu la tête, et ses yeux se donnèrent à ceux du jeune homme, de ce même regard qui s’offre, et qui se livre, et qui est plus profond que le plus profond des baisers.

      Ce fut soudain, brusque comme un coup de tonnerre. En trois bonds, Lupin se rua dans le salon, s’élança sur le jeune homme, le jeta par terre, et, le genou sur la poitrine de son rival, hors de lui, dressé vers Mme Kesselbach, il cria :

      – Mais vous ne savez donc pas ? Il ne vous a pas dit, le fourbe ? Et vous l’aimez, lui ? Il a donc une tête de grand-duc ? Ah ! Que c’est drôle !

      Il ricanait rageusement, tandis que Dolorès le considérait avec stupeur :

      – Un grand-duc, lui ! Hermann IV, duc de Deux-Ponts-Veldenz ! Prince régnant ! Grand électeur ! Mais c’est à mourir de rire. Lui ! Mais il s’appelle Baupré, Gérard Baupré, le dernier des vagabonds… un mendiant que j’ai ramassé dans la boue. Grand-duc ? Mais c’est moi qui l’ai fait grand-duc ! Ah ! Ah ! Que c’est drôle !… Si vous l’aviez vu se couper le petit doigt… trois fois il s’est évanoui… une poule mouillée… Ah ! Tu te permets de lever les yeux sur les dames… et de te révolter contre le maître… Attends un peu, grand-duc de Deux-Ponts-Veldenz.

      Il le prit dans ses bras, comme un paquet, le balança un instant et le jeta par la fenêtre ouverte.

      – Gare aux rosiers, grand-duc, il y a des épines.

      Quand il se retourna, Dolorès était contre lui, et elle le regardait avec des yeux qu’il ne lui connaissait pas, des yeux de femme qui hait et que la colère exaspère. était-ce possible que ce fût Dolorès, la faible et maladive Dolorès ?

      Elle balbutia :

      – Qu’est-ce que vous faites ?… Vous osez ?… Et lui ?… Alors, c’est vrai ?… Il m’a menti ?

      – S’il a menti ? s’écria Lupin, comprenant son humiliation de femme… S’il a menti ? Lui, grand-duc ! Un polichinelle tout simplement, un instrument que j’accordais pour y jouer des airs de ma fantaisie ! Ah ! L’imbécile ! L’imbécile !

      Repris de rage, il frappait du pied et montrait le poing vers la fenêtre ouverte. Et il se mit à marcher d’un bout à l’autre de la pièce, et il jetait des phrases où éclatait la violence de ses pensées secrètes.

      – L’imbécile ! Il n’a donc pas vu ce que j’attendais de lui ? Il n’a donc pas deviné la grandeur de son rôle ? Ah ! Ce rôle, je le lui entrerai de force dans le crâne. Haut la tête, crétin ! Tu seras grand-duc de par ma volonté ! Et prince régnant ! Avec une liste civile, et des sujets à tondre ! Et un palais que Charlemagne te rebâtira ! Et un maître qui sera moi, Lupin ! Comprends-tu, ganache ? Haut la tête, sacré nom, plus haut que ça ! Regarde le ciel, souviens-toi qu’un Deux-Ponts fut pendu pour vol avant même qu’il ne fût question des Hohenzollern. Et tu es un Deux-Ponts, nom de nom, pas un de moins, et je suis là, moi, moi. Lupin ! Et tu seras grand-duc, je te le dis, grand-duc de carton ? Soit, mais grand-duc quand même, animé par mon souffle et brûlé de ma fièvre. Fantoche ? Soit. Mais un fantoche qui dira mes paroles, qui fera mes gestes, qui exécutera mes volontés, qui réalisera mes rêves… oui… mes rêves.

      Il ne bougeait plus, comme ébloui par la magnificence de son rêve intérieur.

      Puis il s’approcha de Dolorès, et, la voix sourde, avec une sorte d’exaltation mystique, il proféra :

      – À ma gauche, l’Alsace-Lorraine… À ma droite, Bade, le Wurtemberg, la Bavière… l’Allemagne du Sud, tous ces états mal soudés, mécontents,