allons tâcher de les mettre d’accord tous les deux… Et, pour cela, j’emmène deux cents hommes.
7
La redingote Olive
– 1 –
Midi et quart. Un restaurant près de la Madeleine. Le prince déjeune. À la table voisine, deux jeunes gens s’assoient. Il les salue, et se met à leur parler comme à des amis de rencontre.
– Vous êtes de l’expédition, hein ?
– Oui.
– Combien d’hommes en tout ?
– Six, paraît-il. Chacun y va de son côté. Rendez-vous à une heure trois quarts avec M. Weber près de la maison de retraite.
– Bien, j’y serai.
– Quoi ?
– N’est-ce pas moi qui dirige l’expédition ? Et ne faut-il pas que ce soit moi qui retrouve M. Lenormand puisque je l’ai annoncé publiquement ?
– Vous croyez donc, patron, que M. Lenormand n’est pas mort ?
– J’en suis sûr. Oui, depuis hier, j’ai la certitude qu’Altenheim et sa bande ont conduit M. Lenormand et Gourel sur le pont de Bougival et qu’ils les ont jetés pardessus bord. Gourel a coulé, M. Lenormand s’en est tiré. Je fournirai toutes les preuves nécessaires quand le moment sera venu.
– Mais alors, s’il est vivant, pourquoi ne se montre-t-il pas ?
– Parce qu’il n’est pas libre.
– Ce serait donc vrai ce que vous avez dit ? Il se trouve dans les caves de la villa des Glycines ?
– J’ai tout lieu de le croire.
– Mais comment savez-vous ?… Quel indice ?…
– C’est mon secret. Ce que je puis vous annoncer, c’est que le coup de théâtre sera… comment dirais-je… sensationnel. Vous avez fini ?
– Oui.
– Mon auto est derrière la Madeleine. Rejoignez-moi. À Garches, Sernine renvoya la voiture, et ils marchèrent jusqu’au sentier qui conduisait à l’école de Geneviève. Là, il s’arrêta.
– écoutez-moi bien, les enfants. Voici qui est de la plus haute importance. Vous allez sonner à la maison de retraite. Comme inspecteurs, vous avez vos entrées, n’est-ce pas ? Vous irez au pavillon Hortense, celui qui est inoccupé. Là, vous descendrez dans le sous-sol, et vous trouverez un vieux volet qu’il suffit de soulever pour dégager l’orifice d’un tunnel que j’ai découvert ces jours-ci, et qui établit une communication directe avec la villa des Glycines. C’est par là que Gertrude et que le baron Altenheim se retrouvaient. Et c’est par là que M. Lenormand a passé pour, en fin de compte, tomber entre les mains de ses ennemis.
– Vous croyez, patron ?
– Oui, je le crois. Et maintenant, voilà de quoi il s’agit. Vous allez vous assurer que le tunnel est exactement dans l’état où je l’ai laissé cette nuit, que les deux portes qui le barrent sont ouvertes, et qu’il y a toujours, dans un trou situé près de la deuxième porte, un paquet enveloppé de serge noire que j’y ai déposé moi-même.
– Faudra-t-il défaire le paquet ?
– Inutile, ce sont des vêtements de rechange. Allez, et qu’on ne vous remarque pas trop. Je vous attends.
Dix minutes plus tard, ils étaient de retour.
– Les deux portes sont ouvertes, fit Doudeville.
– Le paquet de serge noire ?
– À sa place, près de la deuxième porte.
– Parfait ! Il est une heure vingt-cinq. Weber va débarquer avec ses champions. On surveille la villa. On la cerne dès qu’Altenheim y est entré. Moi, d’accord avec Weber, je sonne. Là, j’ai mon plan. Allons, j’ai idée qu’on ne s’ennuiera pas.
Et Sernine, les ayant congédiés, s’éloigna par le sentier de l’école, tout en monologuant.
« Tout est pour le mieux. La bataille va se livrer sur le terrain choisi par moi. Je la gagne fatalement, et je me débarrasse de mes deux adversaires, et je me trouve seul engagé dans l’affaire Kesselbach… seul, avec deux beaux atouts : Pierre Leduc et Steinweg… En plus, le roi… c’est-à-dire Bibi. Seulement, il y a un cheveu… Qu’est-ce que peut bien faire Altenheim ? évidemment, il a, lui aussi, son plan d’attaque. Par où m’attaque-t-il ? Et comment admettre qu’il ne m’ait pas encore attaqué ? C’est inquiétant. M’aurait-il dénoncé à la police ? »
Il longea le petit préau de l’école, dont les élèves étaient alors en classe, et il heurta la porte d’entrée.
– Tiens, te voilà ! dit Mme Ernemont, en ouvrant. Tu as donc laissé Geneviève à Paris ?
– Pour cela il eût fallu que Geneviève fût à Paris, répondit-il.
– Mais elle y a été, puisque tu l’as fait venir.
– Qu’est-ce que tu dis ? s’exclamat-il, en lui empoignant le bras.
– Comment ? Mais tu le sais mieux que moi !
– Je ne sais rien… je ne sais rien… Parle !…
– N’as-tu pas écrit à Geneviève de te rejoindre à la gare Saint-Lazare ?
– Et elle est partie ?
– Mais oui… Vous deviez déjeuner ensemble à l’hôtel Ritz…
– La lettre… fais voir la lettre.
Elle monta la chercher et la lui donna.
– Mais, malheureuse, tu n’as donc pas vu que c’était un faux ? L’écriture est bien imitée… mais c’est un faux… Cela saute aux yeux.
Il se colla les poings contre les tempes avec rage :
– Le voilà le coup que je demandais. Ah ! Le misérable ! C’est par elle qu’il m’attaque… Mais comment sait-il ? Eh ! Non, il ne sait pas… Voilà deux fois qu’il tente l’aventure… et c’est pour Geneviève, parce qu’il s’est pris de béguin pour elle… Oh ! Cela non, jamais ! écoute, Victoire… Tu es sûre qu’elle ne l’aime pas ?… Ah ça ! Mais je perds la tête ! Voyons… voyons… il faut que je réfléchisse… ce n’est pas le moment…
Il consulta sa montre.
– Une heure trente-cinq… j’ai le temps… Imbécile ! Le temps de quoi faire ? Est-ce que je sais où elle est ? Il allait et venait, comme un fou, et sa vieille nourrice semblait stupéfaite de le voir aussi agité, aussi peu maître de lui.
– Après tout, dit-elle, rien ne prouve qu’elle n’ait pas flairé le piège, au dernier instant…
– Où serait-elle ?
– Je l’ignore… peut-être chez Mme Kesselbach…
– C’est vrai… c’est vrai… tu as raison, s’écria-t-il, plein d’espoir soudain.
Et il partit en courant vers la maison de retraite.
Sur la route, près de la porte, il rencontra les frères Doudeville qui entraient chez la concierge, dont la loge avait vue sur la route, ce qui leur permettait de surveiller les abords des Glycines. Sans s’arrêter, il alla droit au pavillon de l’Impératrice, appela Suzanne, et se fit conduire chez Mme Kesselbach.
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