vibra… une, deux, trois, quatre, cinq…
– Waldemar, tire les poids de la vieille horloge.
Un moment de stupeur. C’était Lupin qui avait parlé, très calme.
Waldemar haussa les épaules, indigné du tutoiement.
– Obéis, Waldemar, dit l’Empereur.
– Mais oui, obéis, mon cher comte, insista Lupin qui retrouvait son ironie, c’est dans tes cordes, et tu n’as qu’à tirer sur celles de l’horloge… alternativement… une, deux… À merveille… Voilà comment ça se remontait dans l’ancien temps.
De fait le balancier fut mis en train, et l’on en perçut le tic-tac régulier.
– Les aiguilles, maintenant, dit Lupin. Mets-les un peu avant midi… Ne bouge plus… laisse-moi faire…
Il se leva et s’avança vers le cadran, à un pas de distance tout au plus, les yeux fixes, tout son être attentif.
Les douze coups retentirent, douze coups lourds, profonds.
Un long silence. Rien ne se produisit. Pourtant l’Empereur attendait, comme s’il était certain que quelque chose allait se produire. Et Waldemar ne bougeait pas, les yeux écarquillés.
Lupin, qui s’était penché sur le cadran, se redressa et murmura :
– C’est parfait… j’y suis…
Il retourna vers sa chaise et commanda :
– Waldemar, remets les aiguilles à midi moins deux minutes. Ah ! Non, mon vieux, pas à rebrousse-poil… dans le sens de la marche… Eh ! Oui, ce sera un peu long… mais que veux-tu ?
Toutes les heures et toutes les demies sonnèrent jusqu’à la demie de onze heures.
– écoute, Waldemar, dit Lupin…
Et il parlait, gravement, sans moquerie, comme ému lui-même et anxieux.
– écoute, Waldemar, tu vois sur le cadran une petite pointe arrondie qui marque la première heure ? Cette pointe branle, n’est-ce pas ? Pose dessus l’index de la main gauche et appuie. Bien. Fais de même avec ton pouce sur la pointe qui marque la troisième heure. Bien… Avec ta main droite enfonce la pointe de la huitième heure. Bien. Je te remercie. Va t’asseoir, mon cher.
Un instant, puis la grande aiguille se déplaça, effleura la douzième pointe… Et midi sonna de nouveau.
Lupin se taisait, très pâle. Dans le silence, chacun des douze coups retentit.
Au douzième coup, il y eut un bruit de déclenchement. L’horloge s’arrêta net. Le balancier s’immobilisa.
Et soudain le motif de bronze qui dominait le cadran et qui figurait une tête de bélier, s’abattit, découvrant une sorte de petite niche taillée en pleine pierre.
Dans cette niche, il y avait une cassette d’argent, ornée de ciselures.
– Ah ! fit l’Empereur… vous aviez raison.
– Vous en doutiez, Sire ? dit Lupin.
Il prit la cassette et la lui présenta.
– Que Sa Majesté veuille bien ouvrir elle-même. Les lettres qu’elle m’a donné mission de chercher sont là.
L’Empereur souleva le couvercle, et parut très étonné…
La cassette était vide.
– 3 –
La cassette était vide !
Ce fut un coup de théâtre, énorme, imprévu. Après le succès des calculs effectués par Lupin, après la découverte si ingénieuse du secret de l’horloge, l’Empereur, pour qui la réussite finale ne faisait plus de doute, semblait confondu.
En face de lui, Lupin, blême, les mâchoires contractées, l’œil injecté de sang, grinçait de rage et de haine impuissante. Il essuya son front couvert de sueur, puis saisit vivement la cassette, la retourna, l’examina, comme s’il espérait trouver un double fond. Enfin, pour plus de certitude, dans un accès de fureur, il l’écrasa, d’une étreinte irrésistible.
Cela le soulagea. Il respira plus à l’aise.
L’Empereur lui dit :
– Qui a fait cela ?
– Toujours le même. Sire, celui qui poursuit la même route que moi et qui marche vers le même but, l’assassin de M. Kesselbach.
– Quand ?
– Cette nuit. Ah ! Sire, que ne m’avez-vous laissé libre au sortir de prison ! Libre, j’arrivais ici sans perdre une heure. J’arrivais avant lui ! Avant lui je donnais de l’or à Isilda !… Avant lui je lisais le journal de Malreich, le vieux domestique français !
– Vous croyez donc que c’est par les révélations de ce journal ?…
– Eh ! Oui, Sire, il a eu le temps de les lire, lui. Et, dans l’ombre, je ne sais où, renseigné sur tous nos gestes, je ne sais par qui ! Il m’a fait endormir, afin de se débarrasser de moi, cette nuit.
– Mais le palais était gardé.
– Gardé par vos soldats, Sire. Est-ce que ça compte pour des hommes comme lui ? Je ne doute pas d’ailleurs que Waldemar ait concentré ses recherches sur les communs, dégarnissant ainsi les portes du palais.
– Mais le bruit de l’horloge ? Ces douze coups dans la nuit ?
– Un jeu, Sire ! Un jeu d’empêcher une horloge de sonner !
– Tout cela me paraît bien invraisemblable.
– Tout cela me paraît rudement clair, à moi, Sire. S’il était possible de fouiller dès maintenant les poches de tous vos hommes, ou de connaître toutes les dépenses qu’ils feront pendant l’année qui va suivre, on en trouverait bien deux ou trois qui sont, à l’heure actuelle, possesseurs de quelques billets de banque, billets de banque français, bien entendu.
– Oh ! protesta Waldemar.
– Mais oui, mon cher comte, c’est une question de prix, et celui-là n’y regarde pas. S’il le voulait, je suis sûr que vous-même…
L’Empereur n’écoutait pas, absorbé dans ses réflexions. Il se promena de droite et de gauche à travers la chambre, puis fit un signe à l’un des officiers qui se tenaient dans la galerie.
– Mon auto… et qu’on s’apprête… nous partons.
Il s’arrêta, observa Lupin un instant, et, s’approchant du comte :
– Toi aussi, Waldemar, en route… Droit sur Paris, d’une étape…
Lupin dressa l’oreille. Il entendit Waldemar qui répondait :
– J’aimerais mieux une douzaine de gardes en plus, avec ce diable d’homme !…
– Prends-les. Et fais vite, il faut que tu arrives cette nuit.
Lupin haussa les épaules et murmura :
– Absurde !
L’Empereur se retourna vers lui, et Lupin reprit :
– Eh ! Oui, Sire, car Waldemar est incapable de me garder. Mon évasion est certaine, et alors…
Il frappa du pied violemment.
– Et alors, croyez-vous, Sire, que je vais perdre encore une fois mon temps ? Si vous renoncez à la lutte, je n’y renonce pas, moi. J’ai commencé, je finirai.
L’Empereur objecta :
–