Морис Леблан

Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète)


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et tu lui diras : 1°de me donner des nouvelles du condamné à mort ; 2°de m’envoyer, dès l’ouverture des bureaux de poste, une dépêche ainsi conçue…

      Il libella la dépêche sur un bout de papier, et ajouta :

      – Ta commission aussitôt faite, tu reviendras, mais par ici, en longeant les murs du parc. Va, il ne faut pas qu’on se doute de ton absence.

      Lupin gagna sa chambre, fit jouer le ressort de sa lanterne, et commença une inspection minutieuse.

      – C’est bien cela, dit-il au bout d’un instant, on est venu cette nuit pendant que je faisais le guet sous la fenêtre. Et, si l’on est venu, je me doute de l’intention… Décidément, je ne me trompais pas, ça brûle… Cette fois, je puis être sûr de mon petit coup de poignard.

      Par prudence, il prit une couverture, choisit un endroit du parc bien isolé, et s’endormit à la belle étoile.

      Vers onze heures du matin, Octave se présentait à lui.

      – C’est fait, patron. Le télégramme est envoyé.

      – Bien. Et Louis de Malreich, il est toujours en prison ?

      – Toujours. Doudeville a passé devant sa cellule hier soir à la Santé. Le gardien en sortait. Ils ont causé. Malreich est toujours le même, paraît-il, muet comme une carpe. Il attend.

      – Il attend quoi ?

      – L’heure fatale, parbleu ! À la Préfecture, on dit que l’exécution aura lieu après-demain.

      – Tant mieux, tant mieux, dit Lupin. Ce qu’il y a de plus clair, c’est qu’il ne s’est pas évadé.

      Il renonçait à comprendre et même à chercher le mot de l’énigme, tellement il sentait que la vérité entière allait lui être révélée. Il n’avait plus qu’à préparer son plan, afin que l’ennemi tombât dans le piège.

      « Ou que j’y tombe moi-même », pensa-t-il en riant.

      Il était très gai, très libre d’esprit, et jamais bataille ne s’annonça pour lui avec des chances meilleures.

      Du château, un domestique lui apporta la dépêche qu’il avait dit à Doudeville de lui envoyer et que le facteur venait de déposer. Il l’ouvrit et la mit dans sa poche.

      Un peu avant midi, il rencontra Pierre Leduc dans une allée, et, sans préambule :

      – Je te cherchais, il y a des choses graves… Il faut que tu me répondes franchement. Depuis que tu es dans ce château, as-tu jamais aperçu un autre homme que les domestiques allemands que j’y ai placés ?

      – Non.

      – Réfléchis bien. Il ne s’agit pas d’un visiteur quelconque. Je parle d’un homme qui se cacherait, dont tu aurais constaté la présence, moins que cela, dont tu aurais soupçonné la présence, sur un indice, sur une impression ?

      – Non… Est-ce que vous auriez ?

      – Oui. Quelqu’un se cache ici, quelqu’un rôde par là… Où ? Et qui ? Et dans quel but ? Je ne sais pas mais je saurai. J’ai déjà des présomptions. De ton côté, ouvre l’œil veille et surtout, pas un mot à Mme Kesselbach… Inutile de l’inquiéter…

      Il s’en alla.

      Pierre Leduc, interdit, bouleversé, reprit le chemin du château.

      En route, sur la pelouse, il vit un papier bleu. Il le ramassa. C’était une dépêche, non point chiffonnée comme un papier que l’on jette, mais pliée avec soin – visiblement perdue.

      Elle était adressée à M. Meauny, nom que portait Lupin à Bruggen. Et elle contenait ces mots :

      « Connaissons toute la vérité. Révélations impossibles par lettre. Prendrai train ce soir. Rendez-vous demain matin huit heures gare Bruggen. »

      « Parfait ! se dit Lupin, qui, d’un taillis proche, surveillait le manège de Pierre Leduc parfait ! D’ici deux minutes, ce jeune idiot aura montré le télégramme à Dolorès, et lui aura fait part de toutes mes appréhensions. Ils en parleront toute la journée, et l’autre entendra, l’autre saura, puisqu’il sait tout, puisqu’il vit dans l’ombre même de Dolorès, et que Dolorès est entre ses mains comme une proie fascinée… Et ce soir il agira, par peur du secret qu’on doit me révéler »

      Il s’éloigna en chantonnant.

      – Ce soir… ce soi… r on dansera… Ce soir… Quelle valse, mes amis ! La valse du sang, sur l’air du petit poignard nickelé… Enfin ! Nous allons rire. »

      À la porte du pavillon, il appela Octave, monta dans sa chambre, se jeta sur son lit et dit au chauffeur :

      – Prends ce siège, Octave, et ne dors pas. Ton maître va se reposer. Veille sur lui, serviteur fidèle.

      Il dormit d’un bon sommeil.

      – Comme Napoléon au matin d’Austerlitz, dit-il en s’éveillant.

      C’était l’heure du dîner. Il mangea copieusement, puis, tout en fumant une cigarette, il visita ses armes, changea les balles de ses deux revolvers.

      – « La poudre sèche et l’épée aiguisée », comme dit mon copain le Kaiser… Octave !

      Octave accourut.

      – Va dîner au château avec les domestiques. Annonce que tu vas cette nuit à Paris, en auto.

      – Avec vous, patron ?

      – Non, seul. Et sitôt le repas fini, tu partiras en effet ostensiblement.

      – Mais je n’irai pas à Paris ?

      – Non, tu attendras hors du parc, sur la route, à un kilomètre de distance… jusqu’à ce que je vienne. Ce sera long.

      Il fuma une autre cigarette, se promena, passa devant le château, aperçut de la lumière dans les appartements de Dolorès, puis revint au chalet.

      Là, il prit un livre. C’était la Vie des hommes illustres.

      – Il en manque une et la plus illustre, dit-il. Mais l’avenir est là, qui remettra les choses en leur place. Et j’aurai mon Plutarque un jour ou l’autre.

      Il lut la Vie de César, et nota quelques réflexions en marge.

      À onze heures et demie, il montait.

      Par la fenêtre ouverte, il se pencha vers la vaste nuit, claire et sonore, toute frémissante de bruits indistincts. Des souvenirs lui vinrent aux lèvres, souvenirs de phrases d’amour qu’il avait lues ou prononcées, et il dit plusieurs fois le nom de Dolorès, avec une ferveur d’adolescent qui ose à peine confier au silence le nom de sa bien-aimée.

      – Allons, dit-il, préparons-nous.

      Il laissa la fenêtre entrebâillée, écarta un guéridon qui barrait le passage, et engagea ses armes sous son oreiller. Puis, paisiblement, sans la moindre émotion, il se mit au lit, tout habillé, et souffla sa bougie.

       Et la peur commença.

      Ce fut immédiat. Dès que l’ombre l’eût enveloppé, la peur commença !

      – Nom de D… ! s’écria-t-il.

      Il sauta du lit, prit ses armes et les jeta dans le couloir.

      – Mes mains, mes mains seules ! Rien ne vaut l’étreinte de mes mains !

      Il se coucha. L’ombre et le silence, de nouveau. Et de nouveau, la peur, la peur sournoise, lancinante, envahissante…

      À l’horloge du village, douze coups…

      Lupin songeait à l’être immonde qui, là-bas,