Морис Леблан

Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète)


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Prasville, secrétaire général de la Préfecture. »

      Puis il sonna de nouveau.

      – Clémence, dit-il à la concierge, est-ce que vous avez été à l’école dans votre jeune âge ?

      – Dame, oui ! Monsieur.

      – Et l’on vous a enseigné le calcul ?

      – Mais, monsieur…

      – C’est que vous n’êtes pas très forte en soustraction.

      – Pourquoi donc ?

      – Parce que vous ignorez que neuf moins huit égale un, et cela, vous voyez, c’est d’une importance capitale. Pas d’existence possible si vous ignorez cette vérité première.

      Tout en parlant, il s’était levé et faisait le tour de la pièce, les mains au dos, et en se balançant sur ses hanches. Il le fit encore une fois. Puis, s’arrêtant devant la salle à manger, il ouvrit la porte.

      – Le problème, d’ailleurs, peut s’énoncer autrement, dit-il. Qui de neuf ôte huit, reste un. Et celui qui reste, le voilà, hein ? L’opération est juste, et monsieur, n’est-il pas vrai ? Nous en fournit une preuve éclatante.

      Il tapotait le rideau de velours dans les plis duquel Lupin s’était vivement enveloppé.

      – En vérité, monsieur, vous devez étouffer là-dessous ? Sans compter que j’aurais pu me divertir à transpercer ce rideau à coups de dague… Rappelez-vous le délire d’Hamlet et la mort de Polonius… « C’est un rat, vous dis-je, un gros rat… » Allons, monsieur Polonius, sortez de votre trou.

      C’était là une de ces postures dont Lupin n’avait pas l’habitude et qu’il exécrait. Prendre les autres au piège et se payer leur tête, il l’admettait, mais non point qu’on se gaussât de lui et qu’on s’esclaffât à ses dépens. Pourtant pouvait-il riposter ?

      – Un peu pâle, monsieur Polonius… Tiens, mais, c’est le bon bourgeois qui fait le pied de grue dans le square depuis quelques jours ! De la police aussi, monsieur Polonius ? Allons, remettez-vous, je ne vous veux aucun mal… Mais vous voyez, Clémence, la justesse de mon calcul. Il est entré ici, selon vous, neuf mouchards. Moi, en revenant, j’en ai compté, de loin, sur l’avenue, une bande de huit. Huit ôtés de neuf reste un, lequel évidemment était resté ici en observation. Ecce Homo.

      – Et après ? dit Lupin, qui avait une envie folle de sauter sur le personnage et de le réduire au silence.

      – Après ? Mais rien du tout, mon brave. Que voulezvous de plus ? La comédie est finie. Je vous demanderai seulement de porter au sieur Prasville, votre maître, cette petite missive que je viens de lui écrire. Clémence, veuillez montrer le chemin à M. Polonius. Et, si jamais il se présente, ouvrez-lui les portes toutes grandes. Vous êtes ici chez vous, monsieur Polonius. Votre serviteur…

      Lupin hésita. Il eût voulu le prendre de haut, et lancer une phrase d’adieu, un mot de la fin, comme on en lance au théâtre du fond de la scène, pour se ménager d’une belle sortie et disparaître tout au moins avec les honneurs de la guerre. Mais sa défaite était si pitoyable qu’il ne trouva rien de mieux que d’enfoncer son chapeau sur la tête, d’un coup de poing, et de suivre la concierge en frappant des pieds. La revanche était maigre.

      – Bougre de coquin ! cria-t-il une fois dehors et en se retournant vers les fenêtres de Daubrecq. Misérable ! Canaille ! Député ! Tu me la paieras, celle-là !… Ah ! Monsieur se permet… Ah ! Monsieur a le culot… Eh bien, je te jure Dieu, monsieur, qu’un jour ou l’autre…

      Il écumait de rage, d’autant que, au fond de lui, il reconnaissait la force de cet ennemi nouveau, et qu’il ne pouvait nier la maîtrise déployée en cette affaire.

      Le flegme de Daubrecq, l’assurance avec laquelle il roulait les fonctionnaires de la Préfecture, le mépris avec lequel il se prêtait aux visites de son appartement, et, pardessus tout, son sang-froid admirable, sa désinvolture et l’impertinence de sa conduite en face du neuvième personnage qui l’espionnait, tout cela dénotait un homme de caractère, puissant, équilibré, lucide, audacieux, sûr de lui et des cartes qu’il avait en mains.

      Mais quelles étaient ces cartes ? Quelle partie jouait-il ? Qui tenait l’enjeu ? Et jusqu’à quel point se trouvait-on engagé de part et d’autre ? Lupin l’ignorait. Sans rien connaître, tête baissée il se jetait au plus fort de la bataille, entre des adversaires violemment engagés dont il ne savait ni la position, ni les armes, ni les ressources, ni les plans secrets. Car, enfin, il ne pouvait admettre que le but de tant d’efforts fût la possession d’un bouchon de cristal !

      Une seule chose le réjouissait Daubrecq ne l’avait pas démasqué. Daubrecq le croyait inféodé à la police. Ni Daubrecq, ni la police par conséquent, ne soupçonnaient l’intrusion dans l’affaire d’un troisième larron. C’était son unique atout, atout qui lui donnait une liberté d’action à laquelle il attachait une importance extrême.

      Sans plus tarder, il décacheta la lettre que Daubrecq lui avait remise pour le secrétaire général de la Préfecture. Elle contenait ces quelques lignes :

      « À portée de ta main, mon bon Prasville… Tu l’as touché. Un peu plus, et ça y était… mais tu es trop bête. Et dire qu’on n’a pas trouvé mieux que toi pour me faire mordre la poussière. Pauvre France ! Au revoir, Prasville. Mais si je te pince sur le fait, tant pis pour toi, je tire.

      « Signé : DAUBRECQ. »

      « À portée de la main… se répéta Lupin, après avoir lu. Ce drôle écrit peut-être la vérité. Les cachettes les plus élémentaires sont les plus sûres. Tout de même, tout de même, il faudra que nous voyions cela… Et il faudra voir aussi pourquoi ce Daubrecq est l’objet d’une surveillance si étroite, et de se documenter quelque peu sur l’individu. »

      Les renseignements que Lupin avait fait prendre, dans une agence spéciale, se résumaient ainsi :

      Alexis Daubrecq, député des Bouches-du-Rhône depuis deux ans, siège parmi les indépendants ; opinions assez mal définies, mais situation électorale très solide grâce aux énormes sommes qu’il dépense pour sa candidature. Aucune fortune. Cependant hôtel à Paris, villa à Enghien et à Nice, grosses pertes au jeu, sans qu’on sache d’où vient l’argent. Très influent, obtient ce qu’il veut, quoiqu’il ne fréquente pas les ministères, et ne paraisse avoir ni amitiés, ni relations dans les milieux politiques.

      « Fiche commerciale, se dit Lupin en relisant cette note. Ce qu’il me faudrait, c’est une fiche intime, une fiche policière, qui me renseigne sur la vie privée du monsieur, et qui me permette de manœuvrer plus à l’aise dans ces ténèbres et de savoir si je ne patauge pas en m’occupant du Daubrecq. Bigre ! C’est que le temps marche ! »

      Un des logis que Lupin habitait à cette époque, et où il revenait le plus souvent, était situé rue Chateaubriand, près de l’Arc de Triomphe. On l’y connaissait sous le nom de Michel Beaumont. Il y avait une installation assez confortable, et un domestique, Achille, qui lui était très dévoué, et dont la besogne consistait à centraliser les communications téléphoniques adressées à Lupin par ses affidés.

      Rentré chez lui, Lupin apprit avec un grand étonnement qu’une ouvrière l’attendait depuis une heure au moins.

      – Comment ? Mais personne ne vient jamais me voir ici ? Elle est jeune ?

      – Non… Je ne crois pas.

      – Tu ne crois pas !

      – Elle porte une mantille sur la tête, à la place du chapeau, et on ne voit pas sa figure… C’est plutôt une employée… une personne de magasin pas élégante…

      – Qui a-t-elle demandé ?

      – M. Michel Beaumont, répondit le domestique.

      – Bizarre. Et quel motif ?