Морис Леблан

Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète)


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sur le coup de cinq heures.

      Une surprise encore attendait Lupin. Le soir, sa vieille bonne lui annonça que, ayant ouvert par curiosité le tiroir de la table de nuit, elle y avait retrouvé le bouchon de cristal.

      Lupin n’en était plus à s’émouvoir de ces incidents miraculeux. Il se dit simplement :

      « Donc, on l’y a rapporté. Et la personne qui l’y a rapporté et qui s’introduit dans cet hôtel par des moyens inexplicables, cette personne a jugé comme moi que le bouchon ne devait pas disparaître. Et cependant Daubrecq, lui, qui se sait traqué jusqu’au fond de sa chambre, a de nouveau laissé ce bouchon dans un tiroir, comme s’il n’y attachait aucune importance ! Allez donc vous faire une opinion… »

      Si Lupin ne se faisait pas d’opinion, il ne pouvait tout de même pas se soustraire à certains raisonnements, à certaines associations d’idées, qui lui donnaient ce pressentiment confus de lumière que l’on éprouve à l’issue d’un tunnel.

      « En l’espèce, il est inévitable, se disait-il, qu’une rencontre prochaine ait lieu entre moi et “les autres”. Dès lors je serai maître de la situation. »

      Cinq jours s’écoulèrent sans que Lupin relevât le moindre détail. Le sixième jour, Daubrecq eut la visite matinale d’un monsieur, le député Laybach, qui, comme ses collègues, se traîna désespérément à ses pieds, et, en fin de compte, lui remit vingt mille francs.

      Deux jours encore, puis une nuit, vers deux heures, Lupin posté sur le palier du second étage, perçut le grincement d’une porte, la porte, il s’en rendit compte, qui faisait communiquer le vestibule avec le jardin. Dans l’ombre, il distingua, ou plutôt il devina la présence de deux personnes qui montèrent l’escalier et s’arrêtèrent au premier devant la chambre de Daubrecq.

      Là que firent-elles ? On ne pouvait s’introduire dans cette chambre, puisque Daubrecq chaque soir mettait ses verrous. Alors qu’espérait-on ?

      Évidemment un travail se pratiquait que Lupin discernait à des bruits sourds de frottement contre la porte. Puis des mots lui parvinrent, à peine chuchotés.

      – Ça marche ?

      – Oui, parfaitement, mais il vaut mieux remettre à demain, puisque…

      Lupin n’entendit pas la fin de la phrase. Déjà les individus redescendaient à tâtons. La porte se referma, très doucement, puis la grille.

      «Tout de même curieux, pensa Lupin. Dans cette maison où Daubrecq dissimule soigneusement ses turpitudes, et se méfie, non sans raison, des espionnages, tout le monde pénètre comme dans un moulin. Que Victoire me fasse entrer, que la concierge introduise les émissaires de la Préfecture… soit, mais, ces gens-là, qui trahit donc en leur faveur ? Doit-on supposer qu’ils agissent seuls ? Mais quelle hardiesse ! Quelle connaissance des lieux ! »

      L’après-midi, pendant l’absence de Daubrecq, il examina la porte de la chambre au premier étage. Du premier coup d’œil il comprit : un des panneaux du bas, habilement découpé, ne tenait plus que par des pointes invisibles. Les gens qui avaient effectué ce travail étaient donc les mêmes qui avaient opéré chez lui, rue Matignon et rue Chateaubriand.

      Il constata également que le travail remontait à une époque antérieure et que, comme chez lui, l’ouverture avait été préparée d’avance en prévision de circonstances favorables ou de nécessité immédiate.

      La journée fut courte pour Lupin. Il allait savoir. Non seulement il saurait la façon dont ses adversaires utilisaient ces petites ouvertures, en apparence inutilisables, puisqu’on ne pouvait par là atteindre aux verrous supérieurs, mais il saurait qui étaient ces adversaires si ingénieux, si actifs, en face desquels il se retrouvait de manière inévitable.

      Un incident le contraria. Le soir, Daubrecq, qui déjà au dîner s’était plaint de fatigue, revint à dix heures et, par extraordinaire, poussa, dans le vestibule, les verrous de la porte du jardin. En ce cas, comment « les autres » pourraient-ils mettre leurs projets à exécution et parvenir à la chambre de Daubrecq ?

      Daubrecq ayant éteint la lumière, Lupin patiente encore une heure, puis, à tout hasard, il installa son échelle de corde, et ensuite il prit son poste au palier du deuxième.

      Il n’eut pas à se morfondre. Une heure plus tôt que la veille, on essaya d’ouvrir la porte du vestibule. La tentative ayant échoué, il s’écoula quelques minutes de silence absolu. Et Lupin croyait que l’on avait renoncé quand il tressaillit. Sans que le moindre grincement eût effleuré le silence, quelqu’un avait passé. Il ne l’eût pas su, tellement le pas de cet être était assourdi par le tapis de l’escalier, si la rampe que, lui-même, il tenait en main, n’avait pas frémi. On montait.

      Et, à mesure que l’on montait, une impression de malaise envahissait Lupin : il n’entendait pas davantage. À cause de la rampe, il était sûr qu’un être s’avançait, et il pouvait compter par chacune des trépidations le nombre des marches escaladées, mais aucun autre indice ne lui donnait cette sensation obscure de la présence que l’on éprouve à distinguer des gestes qu’on ne voit pas, à percevoir des bruits que l’on n’entend point. Dans l’ombre pourtant, une ombre plus noire aurait dû se former, et quelque chose eût dû, tout au moins, modifier la qualité du silence. Non, c’est à croire qu’il n’y avait personne.

      Et Lupin, malgré lui et contre le témoignage même de sa raison, en arrivait à le croire, car la rampe ne bougeait plus, et il se pouvait qu’il eût été le jouet d’une illusion.

      Et cela dura longtemps. Il hésitait, ne sachant que faire, ne sachant que supposer. Mais un détail bizarre le frappa. Une pendule venait de sonner deux heures. À son tintement, il avait reconnu la pendule de Daubrecq. Or, ce tintement avait été celui d’une pendule dont on n’est pas séparé par l’obstacle d’une porte.

      Vivement Lupin descendit et s’approcha de la porte. Elle était fermée, mais il y avait un vide à gauche, en bas, un vide laissé par l’enlèvement du petit panneau.

      Il écouta. Daubrecq se retournait à ce moment dans son lit, et sa respiration reprit, un peu rauque. Et Lupin, très nettement, entendit que l’on froissait des vêtements. Sans aucun doute l’être était là, qui cherchait, qui fouillait les habits déposés par Daubrecq auprès de son lit.

      « Cette fois, pensa Lupin, je crois que l’affaire va s’éclaircir un peu. Mais fichtre ! Comment le bougre a-t-il pu s’introduire ? A-t-il réussi à retirer les verrous et à entrouvrir la porte ?… Mais alors pourquoi aurait-il commis l’imprudence de la refermer ? »

      Pas une seconde, anomalie curieuse chez un homme comme Lupin et qui ne s’explique que par la sorte de malaise que provoquait en lui cette aventure, pas une seconde il ne soupçonna la vérité fort simple qui allait se révéler à lui. Ayant continué de descendre, il s’accroupit sur une des premières marches au bas de l’escalier et se plaça ainsi entre la porte de Daubrecq et celle du vestibule, chemin inévitable que devait suivre l’ennemi de Daubrecq pour rejoindre ses complices.

      Avec quelle anxiété interrogeait-il les ténèbres ! Cet ennemi de Daubrecq, qui se trouvait également son adversaire à lui, il était sur le point de le démasquer ! Il se mettait en travers de ses projets ! Et, le butin dérobé à Daubrecq, il le reprenait à son tour tandis que Daubrecq dormait, et que les complices tapis derrière la porte du vestibule ou derrière la grille du jardin, attendaient vainement le retour de leur chef.

      Et ce retour se produisit. Lupin en fut informé à nouveau par l’ébranlement de la rampe. Et de nouveau, les nerfs tendus, les sens exaspérés, il tâcha de discerner l’être mystérieux qui venait vers lui. Il l’avisa soudain à quelques mètres de distance. Lui-même, caché dans un renfoncement plus ténébreux, ne pouvait être découvert. Et ce qu’il voyait – de quelle façon confuse ! – avançait de marche en marche avec des précautions infinies et en s’accrochant aux barreaux de la rampe.

      «