Морис Леблан

Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète)


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fut, de nouveau et malgré tout, piquée au vif.

      Le pneumatique contenait ces mots :

      « Monsieur,

      « Le drame dont le premier acte s’est passé dans la nuit du 22 au 23 juin touche à son dénouement. La force même des choses exigeant que je mette en présence l’un de l’autre les deux principaux personnages de ce drame et que cette confrontation ait lieu chez vous, je vous serais infiniment reconnaissant de me prêter votre domicile pour la soirée d’aujourd’hui. Il serait bon que, de neuf heures à onze heures, votre domestique fût éloigné, et préférable que vous-même eussiez l’extrême obligeance de bien vouloir laisser le champ libre aux adversaires. Vous avez pu vous rendre compte, dans la nuit du 22 au 23 juin, que je poussais jusqu’au scrupule le respect de tout ce qui vous appartient. De mon côté, je croirais vous faire injure si je doutais un seul instant de votre absolue discrétion à l’égard de celui qui signe

      « Votre dévoué,

      « SALVATOR. »

      Il y avait dans cette missive un ton d’ironie courtoise, et, dans la demande qu’elle exprimait, une si jolie fantaisie, que je me délectai. C’était d’une désinvolture charmante, et mon correspondant semblait tellement sûr de mon acquiescement ! Pour rien au monde, je n’eusse voulu le décevoir ou répondre à sa confiance par l’ingratitude.

      À huit heures, mon domestique, à qui j’avais offert une place de théâtre, venait de sortir, quand Daspry arriva. Je lui montrai le petit bleu.

      – Eh bien ? me dit-il.

      – Eh bien ! Je laisse la grille du jardin ouverte, afin que l’on puisse entrer.

      – Et vous vous en allez ?

      – Jamais de la vie !

      – Mais puisqu’on vous demande…

      – On me demande la discrétion. Je serai discret. Mais je tiens furieusement à voir ce qui va se passer.

      Daspry se mit à rire.

      – Ma foi, vous avez raison, et je reste aussi. J’ai idée qu’on ne s’ennuiera pas.

      Un coup de timbre l’interrompit.

      – Eux déjà ? murmura-t-il, et vingt minutes en avance ! Impossible.

      Du vestibule, je tirai le cordon qui ouvrait la grille. Une silhouette de femme traversa le jardin : Mme Andermatt.

      Elle paraissait bouleversée, et c’est en suffoquant qu’elle balbutia :

      – Mon mari… il vient… il a rendez-vous… on doit lui donner les lettres…

      – Comment le savez-vous ? lui dis-je.

      – Un hasard. Un mot que mon mari a reçu pendant le dîner.

      – Un petit bleu ?

      – Un message téléphonique. Le domestique me l’a remis par erreur. Mon mari l’a pris aussitôt, mais il était trop tard… j’avais lu.

      – Vous aviez lu…

      – Ceci à peu près : « À neuf heures, ce soir, soyez au boulevard Maillot avec les documents qui concernent l’affaire. En échange, les lettres. »

      Après le dîner je suis remontée chez moi et je suis sortie.

      – À l’insu de M. Andermatt ?

      – Oui.

      Daspry me regarda.

      – Qu’en pensez-vous ?

      – Je pense ce que vous pensez, que M. Andermatt est un des adversaires convoqués.

      – Par qui ? Et dans quel but ?

      – C’est précisément ce que nous allons savoir.

      Je les conduisis dans la grande salle.

      Nous pouvions, à la rigueur, tenir tous les trois sous le manteau de la cheminée, et nous dissimuler derrière la tenture de velours. Nous nous installâmes. Mme Andermatt s’assit entre nous deux. Par les fentes du rideau la pièce entière nous apparaissait.

      Neuf heures sonnèrent. Quelques minutes plus tard la grille du jardin grinça sur ses gonds.

      J’avoue que je n’étais pas sans éprouver une certaine angoisse et qu’une fièvre nouvelle me surexcitait. J’étais sur le point de connaître le mot de l’énigme ! L’aventure déconcertante dont les péripéties se déroulaient devant moi depuis des semaines allait enfin prendre son véritable sens, et c’est sous mes yeux que la bataille allait se livrer.

      Daspry saisit la main de Mme Andermatt et murmura :

      – Surtout, pas un mouvement ! Quoi que vous entendiez ou voyiez, restez impassible.

      Quelqu’un entra. Et je reconnus tout de suite, à sa grande ressemblance avec Étienne Varin, son frère Alfred. Même démarche lourde, même visage terreux envahi par la barbe.

      Il entra de l’air inquiet d’un homme qui a l’habitude de craindre des embûches autour de lui, qui les flaire et les évite. D’un coup d’œil il embrassa la pièce et j’eus l’impression que cette cheminée masquée par une portière de velours lui était désagréable. Il fit trois pas de notre côté. Mais une idée, plus impérieuse sans doute, le détourna, car il obliqua vers le mur, s’arrêta devant le vieux roi en mosaïque, à la barbe fleurie, au glaive flamboyant, et l’examina longuement, montant sur une chaise, suivant du doigt le contour des épaules et de la figure, et palpant certaines parties de l’image.

      Mais brusquement il sauta de sa chaise et s’éloigna du mur. Un bruit de pas retentissait. Sur le seuil apparut M. Andermatt.

      Le banquier jeta un cri de surprise.

      – Vous ! Vous ! C’est vous qui m’avez appelé ?

      – Moi ? Mais du tout, protesta Varin d’une voix cassée qui me rappela celle de son frère, c’est votre lettre qui m’a fait venir.

      – Ma lettre !

      – Une lettre signée de vous, où vous m’offrez…

      – Je ne vous ai pas écrit.

      – Vous ne m’avez pas écrit ?

      Instinctivement, Varin se mit en garde, non point contre le banquier, mais contre l’ennemi inconnu qui l’avait attiré dans ce piège. Une seconde fois, ses yeux se tournèrent de notre côté, et, rapidement, il se dirigea vers la porte.

      M. Andermatt lui barra le passage.

      – Que faites-vous donc, Varin ?

      – Il y a là-dessous des machinations qui ne me plaisent pas. Je m’en vais. Bonsoir.

      – Un instant !

      – Voyons, monsieur Andermatt, n’insistez pas, nous n’avons rien à nous dire.

      – Nous avons beaucoup à nous dire et l’occasion est trop bonne…

      – Laissez-moi passer.

      – Non, non, non, vous ne passerez pas.

      Varin recula, intimidé par l’attitude résolue du banquier, et il mâchonna :

      – Alors, vite, causons, et que ce soit fini !

      Une chose m’étonnait, et je ne doutais pas que mes deux compagnons n’éprouvassent la même déception. Comment se pouvait-il que Salvator ne fût pas là ? N’entrait-il pas dans ses projets d’intervenir ? Et la seule confrontation du banquier et de Varin lui semblait-elle suffisante ? J’étais singulièrement troublé. Du fait de son absence, ce duel, combiné par lui, voulu par lui, prenait l’allure tragique des événements que suscite et commande l’ordre rigoureux du destin, et la force qui heurtait l’un à l’autre ces deux hommes impressionnait d’autant plus, qu’elle résidait en dehors