autant que je m’en souvienne… À merveille ! Et je m’explique comment Clotilde Destange va rejoindre son bien-aimé tout en gardant la réputation d’une personne qui ne sort jamais. Et je m’explique aussi comment Arsène Lupin a surgi près de moi, hier soir, sur la galerie : il doit y avoir une autre communication entre l’appartement voisin et cette bibliothèque… »
Et il concluait :
« Encore une maison truquée. Encore une fois, sans doute, Destange architecte ! Il s’agit maintenant de profiter de mon passage ici pour vérifier le contenu de l’armoire… et pour me documenter sur les autres maisons truquées. »
Sholmès monta sur la galerie et se dissimula derrière les étoffes de la rampe. Il y resta jusqu’à la fin de la soirée. Un domestique vint éteindre les lampes électriques. Une heure plus tard, l’Anglais fit fonctionner le ressort de sa lanterne et se dirigea vers l’armoire.
Comme il le savait, elle contenait les anciens papiers de l’architecte, dossiers, devis, livres de comptabilité. Au second plan, une série de registres, classés par ordre d’ancienneté, se dressait.
Il prit alternativement ceux des dernières années, et aussitôt il examinait la page de récapitulation, et, plus spécialement, la lettre H. Enfin, ayant découvert le mot Harmingeat, accompagné du chiffre 63, il se reporta à la page 63 et lut :
« Harmingeat, 40, rue Chalgrin. »
Suivait le détail de travaux exécutés pour ce client en vue de l’établissement d’un calorifère dans son immeuble. Et en marge, cette note : « Voir le dossier M. B. »
– Eh ! Je le sais bien, dit-il, le dossier M. B., c’est celui qu’il me faut. Par lui, je saurai le domicile actuel de M. Lupin.
Ce n’est qu’au matin que, sur la deuxième moitié d’un registre, il découvrit ce fameux dossier.
Il comportait quinze pages. L’une reproduisait la page consacrée à M. Harmingeat de la rue Chalgrin. Une autre détaillait les travaux exécutés pour M. Vatinel, propriétaire, 25, rue Clapeyron. Une autre était réservée au Baron d’Hautrec, 134, avenue Henri-Martin, une autre au château de Crozon, et les onze autres à différents propriétaires de Paris.
Sholmès copia cette liste de onze noms et de onze adresses, puis il remit les choses en place, ouvrit une fenêtre, et sauta sur la place déserte, en ayant soin de repousser les volets.
Dans sa chambre d’hôtel il alluma sa pipe avec la gravité qu’il apportait à cet acte, et, entouré de nuages de fumée, il étudia les conclusions que l’on pouvait tirer du dossier M. B., ou, pour mieux dire, du dossier Maxime Bermond, alias Arsène Lupin.
À huit heures, il envoyait à Ganimard ce pneumatique :
« Je passerai sans doute, ce matin, rue Pergolèse et vous confierai une personne dont la capture est de la plus haute importance. En tout cas, soyez chez vous cette nuit et demain mercredi jusqu’à midi, et arrangez-vous pour avoir une trentaine d’hommes à votre disposition… »
Puis il choisit sur le boulevard un fiacre automobile dont le chauffeur lui plut par sa bonne figure réjouie et peu intelligente, et se fit conduire sur la place Malesherbes, cinquante pas plus loin que l’hôtel Destange.
– Mon garçon, fermez votre voiture, dit-il au mécanicien, relevez le col de votre fourrure, car le vent est froid, et attendez patiemment. Dans une heure et demie, vous mettrez votre moteur en marche. Dès que je reviendrai, en route pour la rue Pergolèse.
Au moment de franchir le seuil de l’hôtel, il eut une dernière hésitation. N’était-ce pas une faute de s’occuper ainsi de la Dame blonde tandis que Lupin achevait ses préparatifs de départ ? Et n’aurait-il pas mieux fait, à l’aide de la liste des immeubles, de chercher tout d’abord le domicile de son adversaire ?
– Bah ? se dit-il, quand la Dame blonde sera ma prisonnière, je serai maître de la situation.
Et il sonna.
M. Destange se trouvait déjà dans la bibliothèque. Ils travaillèrent un moment et Sholmès cherchait un prétexte pour monter jusqu’à la chambre de Clotilde, lorsque la jeune fille entra, dit bonjour à son père, s’assit dans le petit salon et se mit à écrire.
De sa place, Sholmès la voyait, penchée sur la table, et qui, de temps à autre, méditait, la plume en l’air et le visage pensif. Il attendit, puis prenant un volume, il dit à M. Destange :
– Voici justement un livre que Mlle Destange m’a prié de lui apporter dès que je mettrais la main dessus.
Il se rendit dans le petit salon et se posta devant Clotilde de façon à ce que son père ne pût l’apercevoir, et il prononça :
– Je suis M. Stickmann, le nouveau secrétaire de M. Destange.
– Ah ! fit-elle sans se déranger. Mon père a donc changé de secrétaire ?
– Oui, Mademoiselle, et je désirerais vous parler.
– Veuillez vous asseoir, Monsieur, j’ai fini.
Elle ajouta quelques mots à sa lettre, la signa, cacheta l’enveloppe, repoussa ses papiers, appuya sur la sonnerie d’un téléphone, obtint la communication avec sa couturière, pria celle-ci de hâter l’achèvement d’un manteau de voyage dont elle avait un besoin urgent, et enfin se tournant vers Sholmès :
– Je suis à vous, Monsieur. Mais notre conversation ne peut-elle avoir lieu devant mon père ?
– Non, Mademoiselle, et je vous supplierai même de ne pas hausser la voix. Il est préférable que M. Destange ne nous entende point.
– Pour qui est-ce préférable ?
– Pour vous, Mademoiselle.
– Je n’admets pas de conversation que mon père ne puisse entendre.
– Il faut pourtant bien que vous admettiez celle-ci.
Ils se levèrent l’un et l’autre, les yeux croisés.
Et elle dit :
– Parlez, Monsieur.
Toujours debout, il commença :
– Vous me pardonnerez si je me trompe sur certains points secondaires. Ce que je garantis, c’est l’exactitude générale des incidents que j’expose.
– Pas de phrases, je vous prie. Des faits.
À cette interruption, lancée brusquement, il sentit que la jeune femme était sur ses gardes, et il reprit :
– Soit, j’irai droit au but. Donc il y a cinq ans, Monsieur votre père a eu l’occasion de rencontrer un M. Maxime Bermond, lequel s’est présenté à lui comme entrepreneur… ou architecte, je ne saurais préciser. Toujours est-il que M. Destange s’est pris d’affection pour ce jeune homme, et, comme l’état de sa santé ne lui permettait plus de s’occuper de ses affaires, il confia à M. Bermond l’exécution de quelques commandes qu’il avait acceptées de la part d’anciens clients, et qui semblaient en rapport avec les aptitudes de son collaborateur.
Herlock s’arrêta. Il lui parut que la pâleur de la jeune fille s’était accentuée. Ce fut pourtant avec le plus grand calme qu’elle prononça :
– Je ne connais pas les faits dont vous m’entretenez, Monsieur, et surtout je ne vois pas en quoi ils peuvent m’intéresser.
– En ceci, Mademoiselle, c’est que M. Maxime Bermond s’appelle de son vrai nom, vous le savez aussi bien que moi, Arsène Lupin.
Elle éclata de rire.
– Pas possible ! Arsène Lupin ? M. Maxime Bermond s’appelle Arsène Lupin ?
– Comme j’ai l’honneur de vous le dire, Mademoiselle, et puisque vous refusez de me comprendre à demi-mot, j’ajouterai qu’Arsène Lupin a trouvé ici, pour l’accomplissement