Морис Леблан

Arsène Lupin contre Herlock Sholmès: Les aventures du gentleman-cambrioleur


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Dans ses aliments, au milieu de son pain ou d’une pomme de terre, que sais-je ?

      – Impossible, on ne l’a autorisé à faire venir sa nourriture que pour le prendre au piège, et nous n’avons rien trouvé.

      – Nous chercherons ce soir la réponse de Lupin. Pour le moment, retenez-le hors de sa cellule. Je vais porter ceci à monsieur le juge d’instruction. S’il est de mon avis, nous ferons immédiatement photographier la lettre, et dans une heure vous pourrez remettre dans le tiroir, outre ces objets, un cigare identique, contenant le message original lui-même. Il faut que le détenu ne se doute de rien.

      Ce n’est pas sans une certaine curiosité que M. Dudouis s’en retourna le soir au greffe de la Santé en compagnie de l’inspecteur Dieuzy. Dans un coin, sur le poêle, trois assiettes s’étalaient.

      Il a mangé ?

      – Oui, répondit le directeur.

      – Dieuzy, veuillez couper en morceaux très minces ces quelques brins de macaroni et ouvrir cette boulette de pain… Rien ?

      – Non, chef.

      M. Dudouis examina les assiettes, fourchette, la cuiller, enfin le couteau, un couteau réglementaire à lame ronde. Il en fit tourner le manche à gauche, puis à droite. À droite le manche céda et se dévissa. Le couteau était creux et servait d’étui à une feuille de papier.

      – Peuh ! fit-il, ce n’est pas bien malin pour un homme comme Arsène. Mais ne perdons pas de temps. Vous, Dieuzy, allez donc faire une enquête dans ce restaurant.

      Puis il lut :

      « Je m’en remets à vous, H-P suivra de loin, chaque jour. J’irai au-devant. À bientôt, chère et admirable amie. »

      – Enfin, s’écria M. Dudouis, en se frottant les mains, je crois que l’affaire est en bonne voie. Un petit coup de pouce de notre part, et l’évasion réussit… assez du moins pour nous permettre de pincer les complices.

      – Et si Arsène Lupin vous glisse entre les doigts ? objecta le directeur.

      – Nous emploierons le nombre d’hommes nécessaire. Si cependant il y mettait trop d’habileté… ma foi, tant pis pour lui ! Quant à la bande, puisque le chef refuse de parler, les autres parleront.

      Et, de fait, il ne parlait pas beaucoup, Arsène Lupin. Depuis des mois, M. Jules Bouvier, le juge d’instruction, s’y évertuait vainement. Les interrogatoires se réduisaient à des colloques dépourvus d’intérêt entre le juge et l’avocat, maître Danval, un des princes du barreau, lequel d’ailleurs en savait sur l’inculpé à peu près autant que le premier venu.

      De temps à autre, par politesse, Arsène Lupin laissait tomber :

      – Mais oui, monsieur le Juge, nous sommes d’accord : le vol du Crédit Lyonnais, le vol de la rue de Babylone, l’émission des faux billets de banque, l’affaire des polices d’assurance, le cambriolage des châteaux d’Armesnil, de Gouret, d’Imblevain, des Groselliers, du Malaquis, tout cela, c’est de votre serviteur.

      – Alors, pourriez-vous m’expliquer…

      – Inutile, j’avoue tout en bloc, tout, et même dix fois plus que vous n’en supposez.

      De guerre lasse, le juge avait suspendu ces interrogatoires fastidieux. Après avoir eu connaissance des deux billets interceptés, il les reprit. Et, régulièrement, à midi, Arsène Lupin fut amené de la Santé au Dépôt, dans une voiture pénitentiaire, avec un certain nombre de détenus. Ils en repartaient vers trois ou quatre heures.

      Or, un après-midi, ce retour s’effectua dans des conditions particulières. Les autres détenus de la Santé n’ayant pas encore été questionnés, on décida de reconduire d’abord Arsène Lupin. Il monta donc seul dans la voiture.

      Ces voitures pénitentiaires, vulgairement appelées « paniers à salade », sont divisées, dans leur longueur, par un couloir central, sur lequel s’ouvrent dix cases : cinq à droite et cinq à gauche. Chacune de ces cases est disposée de telle façon que l’on doit s’y tenir assis, et que les cinq prisonniers, outre qu’ils ne disposent chacun que d’une place fort étroite, sont séparés les uns des autres par des cloisons parallèles. Un garde municipal, placé à l’extrémité, surveille le couloir.

      Arsène fut introduit dans la troisième cellule de droite, et la lourde voiture s’ébranla. Il se rendit compte que l’on quittait le quai de l’Horloge et que l’on passait devant le Palais de Justice. Alors, vers le milieu du pont Saint-Michel, il appuya du pied droit, ainsi qu’il le faisait chaque fois, sur la plaque de tôle qui fermait sa cellule. Tout de suite, quelque chose se déclencha, la plaque de tôle s’écarta insensiblement. Il put constater qu’il se trouvait juste entre les deux roues.

      Il attendit, l’œil aux aguets. La voiture monta au pas le boulevard Saint-Michel. Au carrefour Saint-Germain, elle s’arrêta. Le cheval d’un camion s’était abattu. La circulation étant interrompue, très vite, ce fut un encombrement de fiacres et d’omnibus.

      Arsène Lupin passa la tête. Une autre voiture pénitentiaire stationnait le long de celle qu’il occupait. Il souleva davantage la tête, mit le pied sur un des rayons de la grande roue et sauta à terre.

      Un cocher le vit, s’esclaffa de rire, puis voulut appeler. Mais sa voix se perdit dans le fracas des véhicules, qui s’écoulaient de nouveau. D’ailleurs, Arsène Lupin était loin déjà.

      Il avait fait quelques pas en courant, mais, sur le trottoir de gauche, il se retourna, jeta un regard circulaire, sembla prendre le vent, comme quelqu’un qui ne sait encore trop quelle direction il va suivre. Puis, résolu, il mit les mains dans ses poches, et, de l’air insouciant d’un promeneur qui flâne, il continua de monter le boulevard.

      Le temps était doux, un temps heureux et léger d’automne. Les cafés étaient pleins. Il s’assit à la terrasse de l’un d’eux.

      Il commanda un bock et un paquet de cigarettes. Il vida son verre à petites gorgées, fuma tranquillement une cigarette, en alluma une seconde. Enfin, s’étant levé, il pria le garçon de faire venir le gérant.

      Le gérant vint, et Arsène Lupin lui dit, assez haut pour être entendu de tous :

      – Je suis désolé, monsieur ; j’ai oublié mon porte-monnaie. Peut-être mon nom vous est-il assez connu pour que vous me consentiez un crédit de quelques jours : Arsène Lupin.

      Le gérant le regarda, croyant à une plaisanterie. Mais Arsène répéta :

      – Lupin, détenu à la Santé, actuellement en état d’évasion. J’ose croire que ce nom vous inspire toute confiance.

      Et il s’éloigna, au milieu des rires, sans que l’autre songeât à réclamer.

      Il traversa la rue Soufflot en biais et prit la rue Saint-Jacques. Il la suivit paisiblement, s’arrêtant aux vitrines et fumant des cigarettes. Boulevard de Port-Royal, il s’orienta, se renseigna, et marcha droit vers la rue de la Santé. Les hauts murs moroses de la prison se dressèrent bientôt. Les ayant longés, il arriva près du garde municipal qui montait la faction, et, retirant son chapeau :

      – C’est bien ici la prison de la Santé ?

      – Oui.

      – Je désirerais regagner ma cellule. La voiture m’a laissé en route, et je ne voudrais pas abuser…

      Le garçon grogna…

      – Dites donc, l’homme, passez votre chemin, et plus vite que ça !

      – Pardon, pardon ! C’est que mon chemin passe par cette porte. Et si vous empêchez Arsène Lupin de la franchir, cela pourrait vous coûter gros, mon ami !

      – Arsène Lupin ! Qu’est-ce que vous me chantez là ?

      – Je regrette de n’avoir pas ma carte, dit Arsène, affectant de fouiller ses poches.