Морис Леблан

Les aventures d'Arsène Lupin, gentleman cambrioleur


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sauf dans la cabine du coupable.

      – On finira bien par découvrir quelque chose, n’est-ce pas ? me demandait miss Nelly. Tout sorcier qu’il soit, il ne peut faire que des diamants et des perles deviennent invisibles.

      – Mais si, lui répondis-je, ou alors il faudrait explorer la coiffe de nos chapeaux, la doublure de nos vestes, et tout ce que nous portons sur nous.

      Et lui montrant mon Kodak, un 9 x 12 avec lequel je ne me lassais pas de la photographier dans les attitudes les plus diverses :

      – Rien que dans un appareil pas plus grand que celui-ci, ne pensez-vous pas qu’il y aurait place pour toutes les pierres précieuses de lady Jerland ? On affecte de prendre des vues et le tour est joué.

      – Mais cependant j’ai entendu dire qu’il n’y a point de voleur qui ne laisse derrière lui un indice quelconque.

      – Il y en a un : Arsène Lupin.

      – Pourquoi ?

      – Pourquoi ? Parce qu’il ne pense pas seulement au vol qu’il commet, mais à toutes les circonstances qui pourraient le dénoncer.

      – Au début, vous étiez plus confiant.

      – Mais depuis, je l’ai vu à l’œuvre.

      – Et alors, selon vous ?

      – Selon moi, on perd son temps.

      Et de fait, les investigations ne donnaient aucun résultat, ou du moins, celui qu’elles donnèrent ne correspondait pas à l’effort général : la montre du commandant lui fut volée.

      Furieux, il redoubla d’ardeur et surveilla de plus près encore Rozaine avec qui il avait eu plusieurs entrevues. Le lendemain, ironie charmante, on retrouvait la montre parmi les faux cols du commandant en second.

      Tout cela avait un air de prodige, et dénonçait bien la manière humoristique d’Arsène Lupin, cambrioleur, soit, mais dilettante aussi. Il travaillait par goût et par vocation, certes, mais par amusement aussi. Il donnait l’impression du monsieur qui se divertit à la pièce qu’il fait jouer, et qui dans la coulisse, rit à gorge déployée de ses traits d’esprit, et des situations qu’il imagine.

      Décidément, c’était un artiste en son genre, et quand j’observais Rozaine, sombre et opiniâtre, et que je songeais au double rôle que tenait sans doute ce curieux personnage, je ne pouvais en parler sans une certaine admiration.

      Or, l’avant-dernière nuit, l’officier de quart entendit des gémissements à l’endroit le plus obscur du pont. Il s’approcha. Un homme était étendu, la tête enveloppée dans une écharpe grise très épaisse, les poignets ficelés à l’aide d’une fine cordelette.

      On le délivra de ses liens. On le releva, des soins lui furent prodigués.

      Cet homme, c’était Rozaine.

      C’était Rozaine assailli au cours d’une de ses expéditions, terrassé et dépouillé. Une carte de visite fixée par une épingle à son vêtement portait ces mots :

      « Arsène Lupin accepte avec reconnaissance les dix mille francs de M. Rozaine. »

      En réalité, le portefeuille dérobé contenait vingt billets de mille.

      Naturellement, on accusa le malheureux d’avoir simulé cette attaque contre lui-même. Mais, outre qu’il lui eût été impossible de se lier de cette façon, il fut établi que l’écriture de la carte différait absolument d l’écriture de Rozaine, et ressemblait au contraire, à s’y méprendre, à celle d’Arsène Lupin, telle que la reproduisait un ancien journal trouvé à bord.

      Ainsi donc, Rozaine n’était plus Arsène Lupin. Rozaine était Rozaine fils d’un négociant de Bordeaux ! Et la présence d’Arsène Lupin s’affirmait une fois de plus, et par quel acte redoutable !

      Ce fut la terreur. On n’osa plus rester seul dans sa cabine, et pas davantage s’aventurer seul aux endroits trop écartés. Prudemment on se groupait entre gens sûrs les uns des autres. Et encore, une méfiance instinctive divisait les plus intimes. C’est que la menace ne provenait pas d’un individu isolé, et par là même moins dangereux. Arsène Lupin maintenant c’était… c’était tout le monde. Notre imagination surexcitée lui attribuait un pouvoir miraculeux et illimité. On le supposait capable de prendre les déguisements les plus inattendus, d’être tour à tour le respectable major Rawson ou le noble marquis de Raverdan, ou même car on ne s’arrêtait plus à l’initiale accusatrice, ou même telle ou telle personne connue de tous, ayant femme, enfants, domestiques.

      Les premières dépêches sans fil n’apportèrent aucune nouvelle. Du moins le commandant ne nous en fit point part, et un tel silence n’était pas pour nous rassurer.

      Aussi, le dernier jour parut-il interminable. On vivait dans l’attente anxieuse d’un malheur. Cette fois, ce ne serait plus un vol, ce ne serait plus une simple agression, ce serait le crime, le meurtre. On n’admettait pas qu’Arsène Lupin s’en tînt à ces deux larcins insignifiants. Maître absolu du navire, les autorités réduites à l’impuissance, il n’avait qu’à vouloir, tout lui était permis, il disposait des biens et des existences.

      Heures délicieuses pour moi, je l’avoue, car elles me valurent la confiance de miss Nelly. Impressionnée par tant d’événements, de nature déjà inquiète, elle chercha spontanément à mes côtés une protection, une sécurité que j’étais heureux de lui offrir.

      Au fond, je bénissais Arsène Lupin. N’était-ce pas lui qui nous rapprochait ? N’était-ce pas grâce à lui que j’avais le droit de m’abandonner aux plus beaux rêves ? Rêves d’amour et rêves moins chimériques, pourquoi ne pas le confesser ? Les Andrésy sont de bonne souche poitevine, mais leur blason est quelque peu dédoré, et il ne me paraît pas indigne d’un gentilhomme de songer à rendre à son nom le lustre perdu.

      Et ces rêves, je le sentais, n’offusquaient point Nelly. Ses yeux souriants m’autorisaient à les faire. La douceur de sa voix me disait d’espérer.

      Et jusqu’au dernier moment, accoudés au bastingage, nous restâmes l’un près de l’autre, tandis que la ligne des côtes américaines voguait au-devant de nous.

      On avait interrompu les perquisitions. On attendait. Depuis les premières jusqu’à l’entrepont où grouillaient les émigrants, on attendait la minute suprême où s’expliquerait enfin l’insoluble énigme. Qui était Arsène Lupin ? Sous quel nom, sous quel masque se cachait le fameux Arsène Lupin ?

      Et cette minute suprême arriva. Dussé-je vivre cent ans, je n’en oublierais pas le plus infime détail.

      – Comme vous êtes pâle, miss Nelly, dis-je à ma compagne qui s’appuyait à mon bras, toute défaillante.

      – Et vous ! me répondit-elle, ah ! Vous êtes si changé !

      – Songez donc ! Cette minute est passionnante, et je suis heureux de la vivre auprès de vous, miss Nelly. Il me semble que votre souvenir s’attardera quelquefois…

      Elle n’écoutait pas, haletante et fiévreuse. La passerelle s’abattit. Mais avant que nous eussions la liberté de la franchir, des gens montèrent à bord, des douaniers, des hommes en uniforme, des facteurs.

      Miss Nelly balbutia :

      – On s’apercevrait qu’Arsène Lupin s’est échappé pendant la traversée que je n’en serais pas surprise.

      – Il a peut-être préféré la mort au déshonneur, et plongé dans l’Atlantique plutôt que d’être arrêté.

      – Ne riez pas, fit-elle, agacée.

      Soudain, je tressaillis, et, comme elle me questionnait, je lui dis :

      – Vous voyez ce vieux petit homme debout à l’extrémité de la passerelle…

      – Avec un parapluie et une redingote