Ernest La Jeunesse

L'Holocauste: Roman Contemporain


Скачать книгу

ils chantent: Nous reviendrons, nous revenons.

      Chasse-les de tes cheveux dénoués, mon amour, et, puisque tu es tout délice, chasse cette amertume que je connais, cette amertume qui me saisit et qui ne m'a jamais abandonné.

      Tristesse, amertume, désespoirs, ce n'est pas l'heure; il faut que je sois heureux, il le faut, entendez-vous?

      Et je serai heureux malgré vous.

      Ne tends plus les bras, chérie, tes bras qui déjà se penchent comme s'ils avaient un enfant à amuser sur le tapis: je me suis jeté dans tes bras, je me suis jeté sur ta bouche et la tiédeur de ton manteau me froisse les joues et j'ai des mailles de ta voilette aux dents.

      J'avais les plus beaux discours dans le gosier tout à l'heure, pendant l'heure et l'autre heure que j'ai perdues à t'attendre.

      Heures perdues? Non.

      Ce sont des heures qui se multiplient, qui se doublent, qui se triplent et qui se détachent de la vie, simplement, comme les pétales d'une rose. Ce sont des heures qui s'en vont parce que tu ne viens pas, chérie, qui s'en vont, qui s'en vont, après avoir fait un petit tour, un petit tour au cadran, puis un grand tour et tant de tours! comme les tourbillons dans l'eau, qui se creusent, qui se cerclent, se cernent, s'affolent et vous affolent.

      Et les beaux discours que j'avais au gosier, les discours que j'avais à l'âme s'en sont allés avec les heures: c'est de la perfection qui ne se parfait pas, et je les regrette un peu car leur rythme m'enveloppait d'un manteau de printemps et d'un manteau doré d'automne, et leur profondeur, chérie! ah! leur profondeur, c'était la métaphysique de l'amour.

      Il ne m'en demeure rien qu'un mot, le mot: «chérie».

      Je le répète, je te le répète:

      «... chérie, chérie...»

      Et tu me réponds: «mon chéri.»

      C'est simple.

      Je sens bien que c'est le plus simple mot du monde, qu'il tient tout en lui et que mon beau discours tremble et flotte dans ce mot, comme un discours vide.

      «... chérie, chérie...»

      C'est un mot qui ne me paraît pas français, qui m'apparaît étrange, avec des lueurs italiennes, des reflets indiens, et je ne sais quelle ombre du gazouillis des oiseaux. «Chérie, chérie», c'est un mot qui s'infléchit, qui tourne, qui se courbe, qui enserre toutes les littératures et toutes les langues, toutes les sensibilités et toutes les passions, tous les émois et toutes les mers, comme deux mains qui entourent une taille, comme deux arbres qui se joignent au-dessus d'un berceau. «Chérie», c'est un mot qui porte avec soi un serment et une caresse, qui proclame, qui affirme sa foi et qui a peur, pour l'objet aimé. Et ce serait pour pas cher un de ces prénoms anglais qui traînent avec un cerceau sur les feuilles mortes des jardins publics.

      Mais je m'écoute parler ou ne pas parler.

      Parlons de toi, chérie—ou plutôt parle.

      Tu parles. Tu dis: «Je t'aime.»

      C'est une convention tacite.

      Tu as lu en mon pauvre c[oe]ur, en mon cœur de pauvre. Tu sais qu'on m'a peu aimé et que j'en ai souffert et tu veux m'aimer plus de n'avoir pas été aimé, et tu veux me donner à chaque fois la joie du mendiant qui trouve un trésor.

      Et tu me dis aussi: «Je t'aime»,

      parce que tu m'aimes.

      Et je te dis: «Je t'aime».

      Aime-moi. Je te permets de m'aimer. Je t'en prie. C'est une licence que j'ai peu accordée en ma vie. Tout le monde n'a pas le droit de m'aimer: je craindrais de cet amour un rayon de vulgarité, le choc en retour du coup de foudre, le choc qui fêle et qui anéantit.

      Toi, je t'ai élue entre toutes les femmes.

      Ne suppose pas que tu as tissé notre amour de ton amour: c'est moi qui t'ai contrainte à m'aimer, qui t'ai aimée lentement, longuement. J'ai hésité devant toi et devant mon désir, puis je t'ai désirée—et te voici, mon amour. Tu m'aimes? je t'aime. C'est une chanson. Tout finit par des chansons.

      Finissons; commençons plutôt.

      C'est le début de notre existence à deux, le début de notre nouvelle existence, c'est l'ère de notre félicité. Réjouis-toi, chérie.

      Soyons graves aussi, car c'est la plus grave, la plus religieuse des communions.

      Ta bouche vient cueillir sur ma bouche un nouveau «chérie» ou un nouveau «Je t'aime». Elle l'y prend. Elle m'enlève les mailles de la voilette.

      Tu souris, tu rougis. «J'aurais dû songer à la relever.»

      Et tu as honte, comme Ève et comme Adam lorsque près de s'évader par la grande porte, la porte du Péché, de leur Paradis terrestre, ils s'aperçurent qu'ils étaient nus:

      Tu viens de t'apercevoir que tu es habillée.

      N'aie pas honte, chérie. Tu es très bien comme ça, c'est comme ça que je t'ai aimée, c'est comme ça que j'ai senti que tu m'étais nécessaire et fatale et c'est avec cette robe que tu entras pour l'emplir, dans le paysage de mon âme.

      Tu interroges des yeux les murs de cette chambre.

      Tu les connais.

      Tu es déjà venue ici.

      Nous nous sommes rencontrés en voiture, il est vrai, la première fois, lorsque tu retombas dans cette ville et dans mon amour. C'était une concession que nous faisions aux usages établis. Mais la voiture se transforma et les pavés aussi et ce fut une promenade parmi une cité imprévue car le cocher prit des rues, des avenues et des boulevards qui, la brume s'épaississant, semblaient sortir des limbes pour précéder notre amour et pour courir derrière lui.

      Et nous descendîmes de cette voiture de mystère à la porte d'une gare.

      En notre promenade parmi les quartiers vieillis, les quartiers usés de prières et de misères et où les églises se dressent tout à coup pour engouffrer un peu plus de détresse, un peu plus de supplication, il nous arriva d'entrer dans une rue où tu entras enfant et de rencontrer à un coin de rue le couvent où tu avais enterré tes derniers balbutiements et essayé tes premières robes courtes.

      Tu n'as eu aucun trouble devant ta prime enfance, devant ta pureté qui frémit encore derrière les vieux murs et nous avons erré, très jeunes, plus jeunes de nous rappeler notre jeunesse et mettant en notre ardeur et notre fraternité toute la pureté de tes jeunes ans, toute mon innocence, nos cheveux de bébés et nos mains myopes de quatre ans.

      L'extrême automne toussait dans les arbres, l'extrême automne se couchait sur les grilles du Luxembourg, car nous avions été très loin pour fuir notre passé, pour fuir notre présent, pour être seuls, pour être nous-mêmes, pour n'avoir pas d'autre patrie que notre passion, pour n'avoir pas d'autre ami que notre secret.

      Et tu me dis: «Quel dommage! Les grilles sont fermées!»

      Arbres pâlis, arbres amaigris, arbres dont les feuilles avaient la couleur d'une crème tournée, arbres mélancoliques, nous regrettions votre alignement un peu troublé, sur le tard, par vos courbatures et vos lassitudes: nous aurions voulu vous consoler des amours fugitives que vous aviez abritées, nous aurions voulu promener sous votre fièvre glacée l'éternité, la puérilité, la simplicité de notre amour, nous aurions voulu être votre dernier sourire, le souvenir dont vous enchantez votre hiver.

      Et vous, bustes, et vous, statues, nous aurions voulu vous donner un peu de vie, oh! non de cette vie inquiète, impatiente, artificielle, que les tavernes d'alentour vous jettent à certaines heures, mais une vie d'une belle ligne, d'une chaleur parfaite, une vie classique d'attendrissement, de rêverie, de constance et de fermeté dans l'idéal.

      C'est par-dessus les grilles que doucement,