son cœur éternellement incertain; mais c'est la guerrière violente, vermeille en la clarté des sommets qui lui font un piédestal, la guerrière dont il faut, pour en être aimé, ployer l'orgueil primordial. Et n'est-ce pas comme la tristesse d'un Ragnarœcker, d'une fin du monde, cette irréalisation du secret et suprême Désir qui couvait pourtant au cœur farouche de la vierge?
Mais, dominant la confusion de ces contes, que l'on pourrait appeler la menue monnaie panthéistique des palingénésies, dominant le tourbillon des nains, des koboldes, des sylphes, des ondines, des femmes-cygnes, des fées et des chevaliers errants, voici des contours plus vastes, des légendes plus profondes et qu'anime l'âme même des anciens mythes. L'immense symbole de l'Anneau, après avoir signifié, pour les peuples de l'Invasion, la puissance de l'Empire Romain, exprime, maintenant, pour les peuples du Moyen-Age, la puissance de l'Empire Karlovingien. A cet Anneau sont liées les destinées de la nouvelle Capitale de l'Occident, Aix-la-Chapelle. La légende raconte que l'Anneau fut découvert, par l'archevêque Turpin, sous la langue d'une vieille femme, de qui Charlemagne, par l'attirance d'un tel trésor sur elle, s'était rendu amoureux. Quelle serait la signification de cette figure de vieille femme? Volontiers verrions-nous en elle comme l'emblème du Passé Barbare et Scandinave, une sorte de Erda, de Märe, de Sapience des anciens âges. Par elle, Charlemagne est encore lié à ce Passé. Mais l'archevêque Turpin, qui représente ici les temps nouveaux, la Latinité civilisatrice, dépouille la vieille femme de son artifice; il lui enlève l'Anneau, qu'il garde. Et dès lors, Charlemagne, en raison de la même fascination occulte de l'Anneau, se laisse dominer par l'influence du Prélat; il se tourne vers l'Avenir. Mais, ajoute la tradition, l'archevêque, prévoyant les malheurs qui pourraient arriver si ce talisman tombait entre les mains d'un méchant homme, le jeta dans le lac d'Aix-la-Chapelle; et c'est ainsi que cette ville recéla le palladium du nouvel empire d'Occident.
Non moins immédiate est la transposition populaire et chrétienne du mythe des Géants édifiant Walhall, Freya devant être leur salaire.—«Les Ases ayant élevé Midgôrd, dit le Gylfaginning, un architecte, de la race des Géants, vint les trouver et offrit de construire, en trois ans, un château tellement fort qu'il serait impossible aux Géants des Montagnes et aux Hrimthursars de s'en emparer. Il demanda pour récompense, Freya, Déesse de l'Amour. Les Ases consentirent. Mais au moment de s'exécuter, ils hésitèrent, rejetèrent la responsabilité de ce marché sur Loke, qui, à les entendre, les avait perfidement conseillés. Loke, pris de peur, use d'un subterfuge pour empêcher le Géant de finir son ouvrage dans les délais promis. Et Thor, survenant, surprend le Géant dans son dépit, et, de sa massue, il lui fracasse le crâne.»
Ce mythe scandinave, c'est l'Amour sacrifié (presque) à la Puissance. Identique est le sens de la légende allemande du Moyen-Age. Avec le ton de l'époque, le ton intime et rustique d'un Téniers, elle marmotte que Richesse ne fait pas Bonheur, et l'empêche souvent.—Il y avait, une fois, un paysan de la Hesse, si pauvre, qu'il n'avait pas de quoi se bâtir une grange. Il s'adresse au Diable, lequel se charge de bâtir la grange du jour au lendemain, avant le premier chant du coq, si le paysan s'engage à lui donner «un bien qu'il possède mais qu'il ne connaît pas encore». Accepté. Or la femme du malheureux était enceinte, et l'enfant sera le salaire du démiurge. Déjà la grange est bâtie; il n'y a plus qu'une tuile à poser, et il est encore nuit. Mais la femme du paysan s'en va incontinent dans la basse-cour, et elle fait si bien le coq, que tous les cocoricos des fermes environnantes répondirent. Et le Diable s'enfuit, penaud, sous cette moqueuse fanfare matinale, qui est comme l'éclat de rire de l'aube du bon Dieu.
Nous pourrions multiplier ces exemples. Mais ceux que nous venons de rapporter constatent suffisamment la trace des traditions mythologiques et épiques du Nord à travers le Moyen-Age allemand. Plus tard, loin que l'Art chrétien fût impropre à exprimer ces traditions, elles bénéficièrent, au contraire, de toutes ses ressources. Jamais le légendaire ne fut plus vivace, plus nombreux, plus fouillé que dans l'Allemagne du XVe siècle, à la veille d'Albert Dürer et d'Holbein. Il multipliait ses aspects par cela même qu'il avait plus de formes plastiques à son service. Ce sont les linéaments de ce pandœmonium qui saillissent, en angles si sauvages, dans l'Apocalypse d'Albert Dürer; c'est de tout ce mystère qu'est faite la profondeur, la poésie terrible du grand artiste; c'est la grande idée de Nécessité des dogmes du Nord, transposée dans la tristesse de son âme persécutée, qui fixe ces profils si stricts, qui bute ces fronts carrés, qui crispe ces sourcils dans une ombre soucieuse. Chez Holbein, le génie germanique aboutit plus touffu, et avec ce que le Moyen-Age lui a donné d'ingénuité et de bonhomie. L'idée même est dans Dürer; dans Holbein, l'enveloppe, la vibration panthéistique de cette idée, ce merveilleux dont nous venons de noter quelques traits. Toutes les fantastiques morphes que le Moyen-Age allemand, en sa conception presque païenne de la Nature, envoluta autour des symboles du Nord, toutes ces giroyantes créations fantômales de sylphes, de nains, de bêtes apocryphes, véritable grouillement nabot ou dégingandé d'un cauchemar de Callot,—s'épandent formidablement dans la Danse-des-Morts![174-1]. Mais, pour reprendre, ici, un point qui demande explication, et bien que ce que nous allons dire puisse paraître paradoxal, c'est précisément parce que ces artistes étaient chrétiens, qu'ils purent si bien exprimer l'ancien génie païen et idolâtre de leur patrie. En effet, le Christianisme positif d'alors développait, surtout en Allemagne, un sens pratique de l'hyperbole, une vision raisonneuse, ergoteuse, des choses les plus lointaines, bien experte à démêler le chaos des vieux symboles. Par cette aptitude à garder, dans les plus effarantes conceptions, ce sentiment de la réalité, l'habitude, le pli, en quelque sorte, de la vie courante, domestique, ces artistes purent animer leur rêve d'une activité immédiate, l'enrichir d'une infinité de motifs familiers, où l'âme se reposait, en toute intimité, et sans s'apercevoir qu'elle eût changé de sphère. Le chef-d'œuvre, dans la célèbre Madone d'Holbein, ce n'est pas même la Madone: c'est cette famille bourgeoise agenouillée devant elle, c'est ce Jacques Meyer, bourgmestre de Bâle, avec sa femme, bonne poule allemande, ses deux garçons et ses deux filles, placidement campés, en leur inaltérable bonhomie, sur le bord de cette suprême apothéose[175-1]. Et c'est de même sur ce sentiment profond de la vie que s'appuya, chez les Dürer et chez les Holbein, l'ancien génie germanique.
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