; la femme y connaît bien son influence. Vous le verrez à ses sourires triomphants.
Aussitôt qu’un jeune homme s’avance vers la femme, tout de suite il tombe sous l’influence de cet opium et perd la tête. Depuis longtemps déjà je me sentais mal à l’aise quand je voyais une femme trop bien parée ; soit une femme du peuple avec son fichu rouge et son jupon festonné, soit une femme de notre monde avec sa robe de bal. Mais à présent, cela me terrifie tout simplement. J’y vois le péril des hommes, quelque chose de contraire aux lois, et j’ai envie d’appeler un gardien de la paix, d’appeler une défense quelconque, de demander qu’on enlève cet objet dangereux.
Et ce n’est pas du tout une plaisanterie. Je suis convaincu, je suis sûr que le temps viendra, et il n’est pas peut-être si loin, où le monde comprendra et sera étonné de ce qu’une société pouvait exister où étaient permises des actions aussi nuisibles que celles qui font appel à la sensualité en ornant le corps comme le font nos compagnes. Autant mettre des traquenards au long de nos voies publiques – ou pire que cela !
X
Voilà donc comment j’ai été capturé. J’étais ce qu’on appelle amoureux ; non seulement elle m’apparaissait comme un être parfait, mais je me considérais moi-même comme un merle blanc. C’est un fait banal qu’il n’est pas de crapule au monde qui ne puisse trouver plus vil que soi, et, par conséquent, s’enorgueillir et être content de soi-même. J’étais dans ce cas. Je ne me suis pas marié pour l’argent ; l’intérêt fut étranger à cette affaire, contrairement à la plupart de mes connaissances qui se sont mariées pour de l’argent, ou des relations. 1° J’étais riche, elle pauvre. 2° J’étais fier surtout de ce que les autres se mariassent avec l’intention de continuer leur vie polygame de célibataires, et de ce que moi j’eusse l’intention ferme de vivre après les fiançailles et la noce en monogame, et je m’en enorgueillissais démesurément.
Oui, j’étais un effroyable cochon, avec la conviction d’être un ange. L’époque durant laquelle je fus fiancé ne dura pas longtemps. Je ne puis me souvenir sans honte de cette période : quelle abomination !
Il est donc entendu que l’amour est un sentiment moral, une communauté d’esprit bien plus que de sens. S’il en est ainsi, cette communauté d’esprit devrait s’exprimer par des paroles, des conversations. Rien de pareil. Il nous était extrêmement difficile de converser en tête à tête. Quel travail de Sisyphe que nos causeries ! À peine avions-nous découvert ce qu’il fallait dire, et nous l’étions-nous exprimé, qu’il fallait recommencer à nous taire et chercher de nouveaux sujets. Littéralement nous ne savions que nous dire. Tout ce que nous pouvions nous imaginer sur la vie qui nous attendait, sur notre établissement, était dit !
Et puis, quoi ! Si nous avions été des animaux, nous eussions su que nous n’avions pas à causer. Mais ici, au contraire, il fallait parler, et il n’y avait pas de ressources ! Car ce qui nous occupait n’était pas une chose qui se résout en paroles.
Et puis cette coutume inepte de manger des bonbons, cette gloutonnerie brutale pour les sucreries, ces abominables préparatifs de noce, ces discussions de la maman sur les appartements, sur les chambres à coucher, sur la literie, sur les peignoirs, les robes de chambre, la lingerie, les toilettes ! Comprenez donc que si on se marie selon les anciens usages, comme disait tantôt ce vieillard, alors ces édredons, ces troupeaux, ces literies, tout ça sont des détails sacro-saints. Mais chez nous, sur dix mariés, il s’en trouve un seul à peine qui, je ne dis pas croie aux sacrements (s’il croit ou ne croit pas, cela nous est indifférent), mais croie à ce qu’il promet. Sur cent hommes, il en est à peine un seul qui ne se soit marié avant, et sur cinquante, à peine un qui ne soit décidé à tromper sa femme.
La grande majorité regarde ce voyage à l’église comme une condition nécessaire pour posséder une certaine femme. Songez donc à la signification suprême que doivent acquérir les détails matériels ! N’est-ce pas comme une vente, où l’on cède une vierge à un débauché, en entourant cette vente des détails les plus agréables ?
XI
Tous se marient ainsi. Et moi je fis comme les autres. Si les jeunes gens qui rêvent la Lune de Miel savaient seulement quelle désillusion c’est – et toujours une désillusion ! – Je ne sais vraiment pas pourquoi tous croient nécessaire de le dissimuler... Je me promenais un jour à Paris à travers des spectacles, et j’entrai dans un établissement, séduit par l’enseigne, pour voir une femme à barbe et un chien aquatique. La femme était un homme travesti, le chien était un chien ordinaire déguisé par une peau de phoque et qui nageait dans une baignoire. C’était sans nul intérêt, mais le barnum m’accompagna à la sortie, très courtoisement, et s’adressa au public à l’entrée, en en appelant à mon témoignage ! « Demandez à Monsieur si cela vaut la peine d’être vu... Entrez ! entrez ! un franc par personne ! » Et dans ma confusion je n’osai point répondre qu’il n’y avait rien de curieux à voir – et c’est bien sur ma fausse honte que le barnum comptait !
Il en doit être de même pour les personnes qui ont passé par les abominations de la Lune de Miel : ils n’osent désillusionner leur prochain. Et moi je fis de même.
Les félicités de la Lune de Miel sont nulles. Au contraire, c’est une période de malaise, de honte, de pitié et surtout d’ennui – d’ennui féroce ! C’est dans le genre de ce qu’éprouve un adolescent lorsqu’il commence à fumer ; il a envie de vomir et bave et avale sa bave en faisant mine de goûter ce petit divertissement. Le plaisir de fumer, comme le plaisir amoureux, s’ils arrivent, arrivent après le noviciat. Il faut que les époux prennent la coutume, fassent l’éducation de ce vice, avant d’y éprouver de la jouissance.
– Comment, vice ? dis-je. Mais vous parlez d’une chose des plus naturelles !
– Naturelles ! fit-il. Naturelles ? Non, j’estime au contraire que c’est contre nature, et c’est moi, homme perverti et débauché, qui suis arrivé à cette conviction. Que serait-ce donc si je n’avais pas connu la corruption ? Pour une jeune fille, pour chaque jeune fille non pervertie, c’est un acte extrêmement contre nature, comme pour les enfants. Ma sœur se maria très jeune avec un homme qui avait le double de son âge et qui était profondément corrompu. Je me souviens comme nous fûmes étonnés la nuit de ses noces quand pâle, couverte de larmes, elle s’enfuit de son époux, tremblant de tout son corps, disant que pour rien au monde elle ne saurait dire ce qu’il voulait d’elle.
Vous dites naturel ! Il est naturel de manger, c’est une fonction heureuse, agréable et que nul n’a honte d’accomplir dès la naissance. Mais ceci, on en est honteux, dégoûté, on en souffre. Non, ce n’est pas naturel ! Une jeune fille non corrompue, je suis arrivé à m’en convaincre, en a toujours horreur. Une jeune fille pure veut une chose : des enfants ! Des enfants, oui, pas un amant.
– Mais, dis-je avec étonnement, comment se continuerait le genre humain ?
– Mais, à quoi bon qu’il continue ? riposta-t-il avec véhémence.
– Comment, à quoi bon ? Mais alors nous n’existerions pas !
– Et pourquoi faut-il que nous existions ?
– Sapristi, pour vivre !
– Et pourquoi vivre ? Les Schopenhauer, les Hartmann, tous les bouddhistes disent bien que le plus grand bien est le Nirvana, le Non-Vivre..., et ils ont raison en ce sens que le bien-être humain coïncide avec l’anéantissement du « Soi ». Seulement ils ne s’ expriment pas bien, ils disent que l’Humanité doit s’anéantir pour éviter les souffrances, que son but doit être de se détruire soi-même. Mais le