Domenico Villano

L’utopie Pragmatique


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disparaît complètement pour laisser la place à la recherche de la vérité, en ayant recours aux outils de la raison. À partir de ces principes théoriques, on peut interpréter le choix de vie des habitants des communautés intentionnelles, comme une pratique de la liberté, consistant en un refus, en une résistance au pouvoir discursif dominant, dans les modes de vie et dans les rapports interpersonnels. Motivés par des finalités éthiques, celles que Foucault définit comme telos (téléologie) dans sa conceptualisation de l’éthique, objet de l’essai L'usage des plaisirs, les habitants de ces réalités décident de mettre en pratique les valeurs qu’ils ont intériorisées, les critiques de l’existence, et relèvent le défi de la vie communautaire. En partant de ces prémisses, nous allons approfondir, dans les chapitres suivants, l’étude de six communautés intentionnelles, en envisageant les paramètres historiques, géographiques, des systèmes de production, d’éducation et des rapports avec le monde extérieur. La dimension de résistance, déjà identifiée par Schehr dans son ouvrage sur les communautés comme des «modes subalternes de résistance», et le comportement éthique en tant que pratique de la liberté émergeront grâce à la description des modes de vie communautaire de ces réalités.

      La boîte à outils du sociologue

      Le présent ouvrage s’inscrit dans le cadre de la recherche sociale, défini comme non-standard ou qualitatif; en effet, celui-ci se présente comme un exemple de recherche ethnographique. Qu’est-ce que cela signifie vraiment? Cela veut dire que, pour le plus grand plaisir du lecteur, ni chiffre, ni statistique n’est présenté dans cette recherche, mais que tout ce qui y est écrit est le fruit de mon expérience sur le terrain: le face-à-face avec les habitants de ces communautés, le travail, les discussions, les entretiens et les lectures sur le sujet. Si l’on veut recourir au langage rébarbatif académique pour définir cette recherche, on peut dire que celle-ci est basée sur l’emploi d’outils heuristiques spécifiques de l’observation non-standard, à savoir l'enquête-participation, l’entretien narratif et l'observation documentaire. Le choix de cette méthodologie m’est apparu le plus adéquat pour mener mon enquête sur ces réalités communautaires, dans lesquelles les interactions sociales sont intenses et, en même temps, circonscrites dans un cadre spatial et culturel limité. En d’autres termes, extraire des données pour des statistiques et des régressions linéaires aurait été tiré par les cheveux dans des contextes si restreints et hétérogènes. C’est la raison pour laquelle j’ai opté pour des méthodes de recherche qualitatives, telles que les entretiens, la lecture d’ouvrage sur le sujet et l’expérience d’observateur de la vie quotidienne en communauté. Mais venons-en au projet de recherche, qui, en sociologie, ne se réalise pas avec des crayons de couleur, mais bien avec des cartes conceptuelles et d’intenses efforts intellectuels. Ce projet particulier n’est rien d’autre que l’hypothèse que le scientifique veut mettre à l’épreuve, en se dotant des moyens pour le faire. Dans ce cas précis, j’avais pensé initialement à une recherche sur le terrain dans quelques communautés intentionnelles européennes, qui serait basée sur l’hypothèse, sous l’éclairage du matérialisme historique (pour celui qui est né après les années 70, je conseille de faire une recherche sur Google : Marx, Communisme, prolétairesdetouslespaysunissez-vous, révolution, etc.), que la spécificité de ces réalités était à rechercher dans le refus du système de production capitaliste et dans la proposition d’un système alternatif. Cependant, lors de ma première phase de recherche, comportant la consultation de la littérature académique sur les communautés intentionnelles et l’observation documentaire de textes émanant de ces communautés, j’ai pu vérifier que, d’une part, dans la majorité des cas, les expériences communautaires n’avaient pas une identité antagoniste vis-à-vis du système de production dominant; et de l’autre, elles étaient caractérisées par des conduites de vie alternative, qui concernaient effectivement le système de production, mais qui avaient une portée bien plus large, s’étendant à différents domaines de la vie communautaire. À ce stade, j’ai jugé nécessaire de reformuler le projet de recherche selon le paradigme interprétatif de l’éthique de Foucault, objet d’étude de prédilection du philosophe français dans les dernières années de sa vie. À la lecture de la thèse de doctorat susmentionnée de la philosophe australienne, Ruth Rewa Bohill, j’ai eu confirmation du bien-fondé de mon hypothèse de recherche et j’ai alors poursuivi dans cette direction. En effet, l’éthique de Foucault convenait à des réalités hétérogènes, dont les traits communs étaient des comportements et des productions discursives alternatives à l’éthique dominante dans divers secteurs de la vie communautaire. Une fois le projet de recherche redéfini, j’ai consulté les archives de la «Fellowship for Intentional Communities» et du «Global Ecovillage Network» et j’ai sélectionné six communautés, qui, en fonction des critères de peuplement, de longévité, d’importance dans la définition d’une éthique de la pratique, ainsi que d’hétérogénéité réciproque, étaient adaptées à ma demande de recherche. Durant l’hiver et le printemps 2016, j’ai achevé la phase d’élaboration de la documentation empirique (les notes de voyage), en réalisant quatre expériences de terrain en Italie, en France et en Écosse. Pour les communautés du Proche-Orient et du sous-continent indien, j’ai eu recours à l’analyse secondaire de documents sur la question. Mes périodes de séjour sur le terrain ont varié entre quatre à neuf jours et dépendaient de la disponibilité des communautés à m’accueillir. Les conditions d’interaction avec les habitants des communautés et les possibilités d’effectuer des entretiens narratifs ont été variables. Nous allons maintenant utiliser le langage propre aux détectives et aux sociologues pour décrire trois figures importantes dans une enquête ethnologique: le surveillant, l’informateur et l’observateur. Le surveillant d’une communauté est celui qui décide si une personne extérieure peut être acceptée, ou pas, et dans quelle mesure. En revanche, l’informateur est un membre de la communauté qui raconte tout ce qu’il y a à raconter à l’observateur. Enfin, l’observateur est le scientifique social, celui qui enquête sous couverture ou ouvertement, selon les situations. À Urupia, le rapport avec le surveillant, rôle assumé par une jeune volontaire, fut excellent et, de fait, au bout de quelques heures, je fus accepté en tant qu’hôte et je pus participer aux activités pratiques. En outre, j’ai pu compter sur l’aide d’un informateur, âgé d’une trentaine d’années et originaire du Salento, qui a répondu immédiatement à toutes mes questions au cours d’un entretien narratif. De même, à Nomadelfia, la figure du surveillant était une jeune femme, mais dans ce cas-ci, il fut difficile de dépasser le plan formel et institutionnalisé de l’hospitalité réservée aux étrangers. En effet, depuis la publication d’un article diffamatoire dans un périodique italien connu, les habitants de Nomadelfia se méfient des journalistes et des chercheurs et, pour cette raison, pendant l’interaction et l’entretien, on peut difficilement sortir du cadre de la représentation institutionnelle que la communauté donne généralement à l’extérieur. Là encore, j’ai pu profité de l’aide précieuse d’adolescents et de jeunes, davantage disposés à établir un dialogue informel avec moi, en raison d’affinités communes et de l’âge. À Findhorn et à Taizé, l'interaction fut complètement différente et, à certains égards, plus complexe. En effet, ces deux communautés font de l’hospitalité un des éléments fondamentaux de l’expérience