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Henri VIII
TRAGÉDIE
NOTICE
SUR LE ROI HENRI VIII
Quoique Johnson mette Henri VIII au second rang des pièces historiques, avec Richard III, Richard II et le Roi Jean, cet ouvrage est fort loin d'approcher même du moindre de ceux auxquels l'assimile le critique. Le désir de plaire à Élisabeth, ou peut-être même l'ordre donné par cette princesse de composer une pièce dont sa naissance fût en quelque sorte le sujet, ne pouvait suppléer à cette liberté qui est l'âme du génie. L'entreprise de mettre Henri VIII sur la scène en présence de sa fille, et de sa fille dont il avait fait périr la mère, offrait une complication de difficultés que le poëte n'a pas cherché à surmonter. Le caractère de Henri est complètement insignifiant; ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est l'intérêt que le poëte d'Élisabeth a répandu sur Catherine d'Aragon; dans le rôle de Wolsey, surtout au moment de sa chute, se retrouve la touche du grand maître: mais il paraît que, pour les Anglais, le mérite de l'ouvrage est dans la pompe du spectacle qui l'a déjà fait reparaître plusieurs fois sur le théâtre dans quelques occasions solennelles. Henri VIII peut avoir pour nous un intérêt littéraire, celui du style que le poëte a certainement eu soin de rendre conforme au langage de la cour, tel qu'il était de son temps ou un petit nombre d'années auparavant. Dans aucun autre de ses ouvrages le style n'est aussi elliptique; les habitudes de la conversation semblent y porter, dans la construction de la phrase, cette habitude d'économie, ce besoin d'abréviation qui, dans la prononciation anglaise, retranchent des mots près de la moitié des syllabes. On n'y trouve d'ailleurs presque point de jeux de mots, et, sauf dans un petit nombre de passages, assez peu de poésie.
Henri VIII fut représenté, à ce qu'on croit, en 1601, à la fin du règne d'Élisabeth, et repris, à ce qu'il paraît, après sa mort, en 1613. Il y a lieu de croire que l'éloge de Jacques 1er, encadré à la fin dans la prédiction qui concerne Élisabeth, fut ajouté à cette époque, soit par Shakspeare lui-même, soit par Ben Johnson à qui l'on attribue assez généralement le prologue et l'épilogue; ce fut, dit-on, à cette reprise, en 1613, que les canons que l'on tirait à l'arrivée du roi chez Wolsey, mirent le feu au théâtre du Globe qui fut consumé en entier.
La pièce comprend un espace de douze ans, depuis 1521 jusqu'en 1533. On n'en connaît, avant celle de Shakspeare, aucune autre sur le même sujet.
F. G.
LE ROI HENRI VIII
TRAGÉDIE
PERSONNAGES
LE ROI HENRI VIII.
LE CARDINAL WOLSEY.
LE CARDINAL CAMPEGGIO.
CAPUCIUS, ambassadeur de l'empereur Charles V.
GRANMER, archevêque de Cantorbéry.
LE DUC DE NORFOLK.
LE DUC DE BUCKINGHAM.
LE DUC DE SUFFOLK.
LE LORD DE SURREY.
LE LORD CHAMBELLAN.
LE LORD CHANCELIER.
GARDINER, évêque de Winchester.
L'ÉVÊQUE DE LINCOLN.
LORD ABERGAVENNY.
LORD SANDS.
SIR HENRI GUILFORD.
SIR THOMAS LOVEL.
SIR ANTOINE DENNY.
SIR NICOLAS DE VAUX.
CROMWELL, au service de Wolsey.
GRIFFITH, gentilhomme, écuyer de la reine Catherine.
TROIS AUTRES GENTILSHOMMES
LE DOCTEUR BUTTS, médecin du roi.
L'INTENDANT DU DUC DE BUCKINGHAM.
LE GARTER ou roi d'armes.
BRANDON ET UN SERGENT D'ARMES.
UN HUISSIER de la chambre du conseil.
UN PORTIER ET SON VALET.
UN PAGE DE GARDINER.
UN CRIEUR.
LA REINE CATHERINE, d'abord femme de Henri, ensuite répudiée.
ANNE BOULEN, sa fille d'honneur, et ensuite reine.
UNE VIEILLE DAME, amie d'Anne Boulen.
PATIENCE, une des femme de la reine Catherine.
PLUSIEURS LORDS ET DAMES, PERSONNAGES MUETS; DES FEMMES DE LA
REINE, UN ESPRIT QUI APPARAIT A LA REINE, OFFICIERS, GARDES ET AUTRES
PERSONNAGES DE SUITE.
PROLOGUE
Je ne viens plus pour vous faire rire. Nous vous présentons aujourd'hui des choses importantes, d'un aspect sérieux, élevé, imposant, pathétique, rempli de pompe et de tristesse, des scènes nobles et touchantes, bien propres à faire couler vos pleurs. Ceux qui sont capables de pitié peuvent ici, s'ils le veulent, laisser tomber une larme; le sujet en est digne. Ceux qui donnent leur argent dans l'espérance de voir des choses qu'ils puissent croire trouveront ici la vérité. Quant à ceux qui viennent seulement pour voir une scène de spectacle ou deux, et convenir ensuite que la pièce peut passer, s'ils veulent être tranquilles et bien intentionnés, je ferai en sorte que, dans l'espace de deux courtes heures, ils en aient abondamment pour leur schelling. Ceux-là seulement qui viennent pour entendre une pièce gaie et licencieuse, et un bruit de boucliers, ou pour voir un bouffon en robe bigarrée, bordée de jaune, seront trompés dans leur attente; car sachez, indulgents auditeurs, qu'associer ainsi, aux vérités choisies que nous allons vous offrir, le spectacle d'un fou, ou d'un combat, outre que ce serait sacrifier notre propre jugement, et l'intention où nous sommes de ne rien représenter ici que ce que nous jugeons véritable, nous risquerions de ne pas avoir pour nous un seul homme de sens: ainsi, au nom de la bonté de votre âme, et puisque vous êtes connus pour former le premier auditoire de la ville, et le plus heureusement composé, soyez aussi sérieux que nous le désirons; imaginez que vous avez sous vos yeux les personnages mêmes de notre noble histoire, comme s'ils étaient en vie; imaginez que vous les voyez grands et suivis de la foule des peuples et des empressements de mille courtisans; et voyez ensuite comme en un instant cette puissance se trouve atteinte par le malheur: et si alors vous avez le courage de rire encore, je dirai qu'un homme peut pleurer le jour de ses noces.
ACTE PREMIER
SCÈNE I
BUCKINGHAM.–Bonjour; je suis enchanté de vous rencontrer. Comment vous êtes-vous porté depuis que nous nous sommes vus en France?
NORFOLK.–Je remercie Votre Grâce; à merveille, et toujours dans une admiration toute nouvelle de ce que j'y ai vu.
BUCKINGHAM.–Une fièvre survenue bien à contre-temps m'a retenu prisonnier dans ma chambre le jour que ces deux soleils de gloire, ces deux lumières se sont rencontrés dans la vallée d'Ardres.
NORFOLK.–Entre Guines et Ardres; j'étais présent. Je les vis se saluer à cheval. Je les vis lorsqu'ils mirent ensuite pied à terre, se tenir si étroitement embrassés qu'ils semblaient ne plus faire qu'un. S'il en eût été ainsi, quelles seraient les quatre têtes couronnées capables entre elles de contre-balancer un roi ainsi composé?
BUCKINGHAM.–Tout ce temps-là je restai emprisonné dans ma chambre.
NORFOLK.–Eh bien, vous avez donc perdu le spectacle des gloires de ce monde. On peut dire que jusqu'alors les pompes avaient vécu dans le célibat, mais qu'alors chacune d'elles s'unit à une autre qui la surpassait. Chaque jour enchérissait sur le jour précédent, jusqu'au dernier, qui rassembla seul les merveilles de tous les autres ensemble. Aujourd'hui les Français tout brillants, tout or comme les dieux païens, éclipsaient