que Votre Majesté prit ceci promptement en considération; il n'y a point d'affaire plus urgente.
LE ROI HENRI.–Sur ma vie, cela est contre notre volonté.
WOLSEY.–Quant à moi, je n'y ai d'autre part que d'avoir donné ma voix comme les autres, et cela n'a passé qu'avec l'approbation éclairée des membres du conseil. Si je suis maltraité par des voix qui, sans connaître ni l'étendue de mes pouvoirs ni ma personne, se font les historiens de mes actions, permettez-moi de vous dire que c'est le sort des gens en place, et que ce sont là les ronces à travers lesquelles est obligée de marcher la vertu. Nous ne devons pas rester en arrière de notre devoir, par la crainte d'avoir à lutter contre des censeurs malveillants, qui toujours, comme les poissons dévorants, s'attachent à la trace du vaisseau récemment équipé, et n'en remportent d'autre avantage qu'une inutile attente. Souvent ce que nous faisons de mieux sera interprété par des esprits malades, quelquefois de la plus pauvre espèce, qui nous en refuseront la louange ou la possession, et souvent aussi ce que nous avons fait de moins bien étant de nature à frapper des intelligences plus grossières, sera proclamé comme notre chef-d'oeuvre. Si nous restions tranquilles à la même place, dans la crainte que nos démarches ne fussent ou tournées en ridicule ou blâmées, nous pourrions prendre racine dans nos places, ou demeurer de vraies statues d'État.
LE ROI HENRI.–Tout ce qui est bien et fait avec prudence est à l'abri de la crainte; mais il y a toujours quelque chose à craindre du résultat des choses jusque-là sans exemple. Avez-vous quelque précédent pour une pareille ordonnance? Je crois que vous n'en avez aucun. Nous ne devons pas arracher violemment nos peuples à nos lois, pour les assujettir à notre volonté. La sixième partie de leur revenu! c'est une taxe qui fait trembler! Quoi! nous prenons de chaque arbre les branches, l'écorce et une partie du tronc! Nous avons beau lui laisser sa racine; lorsqu'elle est si horriblement mutilée, l'air en boira la sève. Envoyez dans tous les comtés où l'on s'est élevé contre cette taxe des lettres de pardon pour tous ceux qui auront refusé de s'y soumettre. Je vous prie, ayez soin que cela soit fait; je vous en charge.
WOLSEY, à son secrétaire.–Approchez, j'ai à vous parler.–Ecrivez au nom du roi, dans tous les comtés, des lettres de grâce et de pardon. Les communes grevées ont mauvaise idée de moi; faites courir le bruit que c'est à notre intercession qu'elles doivent la révocation de l'impôt et leur pardon. Je vous donnerai, dans un moment, des instructions ultérieures sur toute cette affaire.
CATHERINE.–Je suis affligée que le duc de Buckingham ait encouru votre disgrâce.
LE ROI HENRI.–Cela afflige beaucoup de gens. Ce gentilhomme est instruit, doué d'un rare talent pour la parole; personne ne doit plus que lui à la nature; ses connaissances sont si grandes qu'il peut éclairer et instruire les plus savants, sans avoir jamais besoin pour lui-même du secours des autres. Et voyez, cependant, quand ces nobles avantages sont mal employés, comment l'âme venant à se corrompre, ils ne se montrent plus que sous une forme vicieuse, plus hideux dix fois qu'ils ne furent jamais beaux. Cet homme si accompli, qu'on avait compté au rang des prodiges, qui, lorsque nous l'écoutions avec une sorte de ravissement, nous faisait passer les heures comme les minutes; cet homme, madame, a changé en de monstrueuses habitudes les mérites qu'il possédait jadis, et il est devenu aussi noir que s'il avait été trempé dans l'enfer.–Prenez place à côté de nous (cet homme avait sa confiance), et l'on vous apprendra, sur son compte, des choses à frapper de tristesse tout homme d'honneur.–Ordonnez-lui de redire les pratiques dont il a déjà fait le récit, et que nous ne saurions vouloir repousser trop loin et éclairer de trop près.
WOLSEY.–Avancez, et racontez hardiment tout ce qu'en sujet vigilant, vous avez recueilli sur le duc de Buckingham.
LE ROI HENRI.–Parle librement.
L'INTENDANT.–D'abord, il lui était ordinaire de ne pas passer un jour sans mêler à ses discours ce propos criminel, que, si le roi venait à mourir sans postérité, il ferait si bien qu'il s'approprierait le sceptre: je lui ai entendu dire ces propres paroles à son gendre, le lord Abergavenny, à qui il jurait avec menaces qu'il se vengerait du cardinal.
WOLSEY.–Votre Majesté voudra bien remarquer en ceci ses dangereux sentiments: parce qu'il n'est pas en faveur autant qu'il le désire, c'est à votre personne que sa haine en veut le plus, et elle s'étend même jusque sur vos amis.
CATHERINE.–Docte lord cardinal, apportez de la charité dans toutes les affaires.
LE ROI HENRI.–Poursuis; et sur quoi fondait-il son titre à la couronne, à notre défaut? Lui as-tu jamais oui dire quelque chose sur ce point?
L'INTENDANT.–Il a été amené à cette idée par une vaine prophétie de Nicolas Hopkins.
LE ROI HENRI.–Quel est cet Hopkins?
L'INTENDANT.–Sire, c'est un moine chartreux, son confesseur, qui l'entretenait sans cesse d'idées de souveraineté.
LE ROI HENRI.–Comment le sais-tu?
L'INTENDANT.–Quelque temps avant que Votre Majesté partit pour la France, le duc étant à la Rose 3, dans la paroisse de Saint-Laurent-Poultney, me demanda ce que disaient les habitants de Londres sur ce voyage de France. Je lui répondis qu'on craignait que les Français n'usassent de quelque perfidie sur la personne du roi. Aussitôt le duc répliqua que c'était en effet ce qu'on craignait, et qu'il appréhendait que l'événement ne justifiât certain discours prononcé par un saint religieux, «qui souvent, me dit-il, a envoyé chez moi me prier de permettre à Jean de la Cour, mon chapelain, de prendre une heure pour aller apprendre de lui des choses assez importantes; et lorsque celui-ci eut solennellement juré, sous le sceau de la confession, de ne révéler ce qu'il venait de lui dire à personne au monde qu'à moi seul, il prononça ces paroles d'un ton grave et mystérieux: Dites au duc que ni le roi ni ses héritiers ne prospéreront: exhortez-le à s'efforcer de gagner l'amour du peuple: le duc gouvernera l'Angleterre.»
CATHERINE.–Si je vous connais bien, vous étiez l'intendant du duc; et vous avez perdu votre emploi sur les plaintes de ses vassaux. Prenez bien garde de ne pas accuser, dans un mouvement de haine, un noble personnage, et de ne pas perdre votre âme, plus noble encore: je vous le répète, prenez-y bien garde; oui, je vous en conjure avec instance.
LE ROI HENRI.–Laissez-le parler.–Allons, continue.
L'INTENDANT.–Sur mon âme, je ne dirai que la vérité. Je fis observer alors à milord duc que le moine pouvait être déçu par les illusions du diable, et qu'il était dangereux pour lui de s'arrêter à ruminer sur ces idées avec assez d'application pour qu'il en sortit quelque projet qu'il finirait par croire possible, et qu'alors vraisemblablement il voudrait exécuter. «Bah! me répondit-il, il n'en peut résulter aucun mal pour moi;» ajoutant encore que, si le roi eût succombé dans sa dernière maladie, les têtes du cardinal et de sir Thomas Lovel auraient sauté.
LE ROI HENRI.–Eh, quoi! si haineux? Oh, oh! cet homme est dangereux.–Sais-tu quelque chose de plus?
L'INTENDANT.–Oui, mon souverain.
LE ROI HENRI.–Poursuis.
L'INTENDANT.–Étant à Greenwich, lorsque Votre Majesté eut réprimandé le duc à l'occasion de sir William Bloomer…
LE ROI HENRI.–Je me souviens de cela.–C'était un homme qui s'était engagé à mon service, et le duc le retint pour lui.–Mais voyons: eh bien! après?
L'INTENDANT.–«Si, dit-il, on m'avait arrêté pour cela, et qu'on m'eût envoyé, par exemple, à la Tour, je crois que j'aurais exécuté le rôle que mon père méditait de jouer sur l'usurpateur Richard. Mon père, étant à Salisbury, tâcha d'obtenir qu'il lui fût permis de paraître en sa présence: si Richard y eût consenti, mon père, au moment où il aurait feint de lui rendre hommage, lui aurait enfoncé son poignard dans le coeur.»
LE ROI HENRI.–Traître démesuré!
WOLSEY.–Eh bien, madame, Sa Majesté peut-elle vivre tranquille tant que cet homme sera libre?
CATHERINE.–Que