Морган Райс

Une Chanson pour des Orphelines


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? Pensait-elle que les gens accepteraient une fille avec le masque de la déesse tatoué sur le mollet, ce qui montrerait qu'elle était une des Oubliées ? Pensait-elle que les gens l'accepteraient, lui donneraient un endroit où élever son enfant ou l'aideraient de quelque façon que ce soit ? Ce n'était pas comme ça que les gens traitaient les filles comme elle.

      Pouvait-elle donner vie à un enfant dans un monde comme celui-là ? Était-il juste de faire naître une créature aussi démunie qu'un enfant dans un monde qui contenait une telle cruauté ? Sophia ne savait pas comment être une mère et n'avait rien d'utile à apprendre à sa descendance. Tout ce qu'elle avait appris dans son enfance avait été la cruauté qui venait de la désobéissance ou la violence que les méchants orphelins devaient s'attendre à subir.

      “Nous ne sommes pas obligés de nous décider maintenant”, dit Emeline. “Cela peut attendre jusqu'à demain.”

      Cora secoua la tête. “Plus tu attendras, plus ce sera dur. Il vaut mieux —”

      “Arrêtez”, dit Sophia, interrompant la dispute naissante. “Assez discuté. Je sais que vous essayez toutes les deux de m'aider mais ce n'est pas une chose que vous pouvez décider pour moi. Ce n'est même pas une chose que je suis sûre de pouvoir décider moi-même mais je vais devoir le faire et il faut que je le fasse seule.”

      C'était le genre de chose dont elle aurait aimé pouvoir parler avec Kate mais, quand elle lança un autre appel télépathique à sa sœur dans la nuit, elle n'obtint aucune réponse. De toute façon, en vérité, Kate était probablement plus douée pour résoudre les problèmes où il fallait se battre contre des ennemis ou échapper à des poursuivants. Comme Sophia, la grossesse était un genre de chose qu'elle n'avait jamais eu à affronter.

      Sophia alla de l'autre côté du chariot, emmenant la poudre de Cora avec elle. Elle ne leur dit pas ce qu'elle allait faire ensuite parce que, à ce moment-là, elle n'était même pas sûre de le savoir elle-même. Sienne se leva pour la suivre mais Sophia repoussa la chatte de la forêt par la pensée.

      Elle ne s'était jamais sentie aussi seule qu'à ce moment.

      CHAPITRE TROIS

      La dernière fois qu'Angelica s'était rendue chez la Douairière, elle y avait été convoquée. Ce jour-là, elle avait été assez inquiète. Maintenant qu'elle y allait volontairement, elle était terrifiée et elle détestait ça. Elle détestait se sentir impuissante tout en étant une des nobles les plus importantes du royaume. Elle pouvait faire ce qu'elle souhaitait aux domestiques, à ses soi-disant amis, à la moitié des nobles du royaume, mais la Douairière pouvait quand même la condamner à mort.

      Ce qui était encore pire, c'était qu'Angelica lui avait elle-même donné ce pouvoir. Elle l'avait fait dès le moment où elle avait essayé de droguer Sebastian. Dans ce royaume, le monarque ne pouvait pas se contenter de claquer des doigts pour condamner quelqu'un à mort mais, dans le cas d'Angelica … si la Douairière décidait de la faire juger, n'importe quel jury de nobles dirait qu'elle s'était comportée en traîtresse.

      Donc, quand elle arriva aux portes des appartements de la Douairière, elle se força à attendre un peu et à se calmer. Les gardes qui s'y trouvaient ne dirent rien et se contentèrent d'attendre qu'Angelica explique pourquoi elle voulait entrer. Si elle avait eu plus de temps, Angelica aurait envoyé un domestique pour demander cette audience. Si elle avait eu plus confiance en son pouvoir, elle aurait réprimandé les gardes pour ne pas lui avoir témoigné une déférence appropriée.

      “Il faut que je voie sa majesté”, dit Angelica.

      “Personne ne nous a dit que notre reine allait recevoir quelqu'un”, dit un des gardes sans formuler la moindre excuse ni faire preuve de la courtoisie qu'il devait à Angelica. En son for intérieur, Angelica décida que cet homme paierait pour son insolence en temps et en heure. Peut-être pourrait-elle trouver le moyen de le faire renvoyer à la guerre ?

      “Je n'ai su que ce serait nécessaire qu'il y a peu”, dit Angelica. “Veuillez lui demander si elle veut bien me recevoir. C'est à propos de son fils.”

      A ces mots, le garde hocha la tête et entra dans les appartements de la Douairière. La position d'Angelica n'avait pas suffi à le convaincre d'obéir mais le nom de Sebastian l'avait fait. Peut-être savait-il simplement ce que la Douairière avait déjà expliqué à Angelica : elle était prête à presque tout pour le bien de ses fils.

      C'était ce qui faisait espérer à Angelica que son plan marcherait peut-être mais c'était aussi ce qui le rendait dangereux. La Douairière pourrait faire le nécessaire pour empêcher Sebastian de quitter le palais mais elle pourrait tout aussi facilement faire tuer Angelica pour ne pas avoir réussi à le séduire autant qu'on le lui avait ordonné. Rendez-le heureux, lui avait dit la vieille chouette, ne lui laissez pas le temps de penser à une autre femme. Ce qu'elle avait entendu par là avait été bien assez clair.

      Le garde réapparut assez vite et tint la porte ouverte pour laisser entrer Angelica. Il ne s'inclina pas comme il l'aurait dû et il ne l'annonça même pas avec son titre complet.

      “Milady d’Angelica”, se contenta-t-il de dire.

      Cela dit, quels titres est-ce qu'Angelica pouvait opposer à ceux d'une reine ? Parmi les pouvoirs qu'elle possédait, lequel aurait pu survivre à une comparaison avec ceux de la femme qui se tenait dans le salon de ses appartements, le visage aussi calmement inexpressif qu'un masque ?

      Angelica fit sa révérence parce qu'elle n'osait rien faire d'autre. La Douairière lui ordonna impatiemment de s'asseoir.

      “Voilà une visite bien soudaine”, dit-elle sans sourire, “ainsi que des nouvelles sur mon fils. Je pense que nous pourrions éviter de perdre du temps avec cette révérence.”

      Et si Angelica ne l'avait pas faite, la mère de Sebastian l'aurait sûrement réprimandée pour son manque de correction.

      “Vous m'avez dit de vous communiquer toutes les nouvelles sur Sebastian, votre Majesté”, dit Angelica.

      La Douairière hocha la tête et se déplaça vers un chaise d'apparence confortable. Elle ne proposa pas à Angelica de s'asseoir.

      “Je sais ce que je vous ai ordonné de faire. Je sais aussi ce que j'ai dit que je ferais si vous ne le faisiez pas.”

      Angelica se souvenait des menaces, elle aussi. Le Masque de Plomb, la punition traditionnelle pour les traîtres. Rien qu'y penser la faisait frissonner.

      “Alors ?” demanda la Douairière. “Avez-vous réussi à faire de mon fils le futur mari le plus heureux du monde ?”

      “Il dit qu'il s'en va”, dit Angelica. “Il était en colère qu'on le manipule et il a déclaré qu'il allait retrouver la putain qu'il aimait avant.”

      “Et vous n'avez rien fait pour l'arrêter ?” demanda la Douairière.

      Angelica avait peine à en croire ses oreilles. “Qu'auriez-vous voulu que je fasse ? L'attacher à la porte ? L'enfermer à clé dans ses appartements ?”

      “Faut-il que je vous dise tout en détail ?” dit la Douairière. “Même si Sebastian n'est pas Rupert, il est quand même un homme.”

      “Vous imaginez que je n'ai pas essayé ça ?” répliqua Angelica. Cette partie-là de l'histoire la vexait encore plus que tout le reste. Avant, personne n'avait jamais rejeté ses avances. Tous les hommes qu'elle avait voulus, que ce soit par authentique désir ou simplement pour prouver qu'elle pouvait les avoir, étaient venus au pas de course. Sebastian avait été le seul à la rejeter. “Il est amoureux.”

      La Douairière resta immobile et sembla se calmer un peu. “Donc, vous me dites que vous ne pouvez pas être la femme qu'il me faut pour mon fils ? Que vous ne pouvez pas le rendre heureux ? Que vous ne me servez à rien ?”

      Angelica vit trop tard le guêpier dans lequel elle s'était fourrée.