Джек Марс

Le Souvenir Zéro


Скачать книгу

elle s’éloigna dans la rue, tandis qu’une minuscule version de Greg apparaissant dans son rétroviseur, les mains sur la tête, l’air totalement ahuri. Elle savait qu’elle allait le payer cher, une fois de retour à l’académie. Mais, pour le moment, elle s’en fichait. En effet, alors que cette maison étrangère où vivait son père rapetissait dans le rétro, il lui sembla qu’un poids quittait ses épaules. Elle était venue ici, aujourd’hui, à cause d’un certain sens de la famille et des responsabilités. Un vrai fardeau…

      Mais maintenant, elle réalisait que si elle ne les revoyait jamais et qu’elle ne remettait jamais les pieds ici, ça lui irait parfaitement. Elle était très bien toute seule. Il n’y avait pas de rapprochement possible, et il n’y en aurait jamais. Sa mère était morte et, pour elle, son père l’était aussi.

      CHAPITRE QUATRE

      Karina Pavlo était assise dans un coin, au fond du bar, dans l’ombre des tireuses à bière mais avec une vue dégagée sur la porte d’entrée. Elle avait choisi un lieu où toute personne sensée ne penserait jamais à la chercher : un tripot miteux au sud-est de DC, non loin de Bellevue. Ce n’était pas le meilleur des quartiers et le soir tombait rapidement, mais ce n’étaient pas les petits voleurs et les agresseurs potentiels qui l’inquiétaient. Elle avait de plus bien plus gros soucis.

      De plus, elle venait elle-même de commettre quelques petits larcins.

      Après avoir échappé à l’agent des Services Secrets et être restée cachée un petit moment dans la librairie, Karina avait pris le risque de retourner dans la rue où elle avait rapidement trouvé une boutique de mode. Même si elle n’avait pas de chaussures, elle était très bien habillée et, en gardant la tête haute et en marchant avec un air confiant pour éviter d’attirer les regards, elle ressemblait à n’importe quelle businesswoman de la classe moyenne supérieure.

      Elle s’était dirigée tout droit vers le rayon femmes et avait pris quelques vêtements décontractés sur les portants, des articles qui n’attireraient pas l’attention. Elle avait laissé sa jupe, sa blouse et son blazer dans la cabine d’essayage, enfilé une paire de sneakers, puis était repartie par une porte différente du magasin, sans même que qui que ce soit ne prête attention à son manège. Deux croisements plus loin, elle s’était arrêtée dans un autre magasin et, après avoir fait semblant de regarder les modèles pendant quelques minutes, elle était ressortie avec une paire de lunettes de soleil volées et un foulard en soie qu’elle avait noué par-dessus ses cheveux bruns.

      De retour dans la rue, elle avait pris pour cible un homme rondouillard avec un polo à rayures et un appareil photo autour du cou. Il n’aurait pas pu avoir plus l’air d’un touriste, même s’il avait porté une casquette avec ce mot inscrit dessus. Elle lui avait foncé rudement dedans alors qu’ils se croisaient, puis elle s’était excusée immédiatement, haletante. Son visage était devenu rouge et il allait ouvrir la bouche pour lui crier dessus, quand il avait vu que c’était une jolie petite brune. Il avait murmuré un mot d’excuse et poursuivi son chemin, sans savoir qu’elle venait de le délester de son portefeuille. Karina avait toujours été rapide et habile de ses mains. Elle n’aimait pas le fait de voler, mais elle n’avait pas vraiment eu le choix.

      Il y avait un peu moins de cent dollars en espèces dans le portefeuille. Elle avait pris l’argent et jeté le reste, à savoir la carte d’identité, la carte de crédit et les photos de ses gosses dans une grosse boîte à lettres bleue au croisement suivant.

      Pour finir, elle avait pris un taxi pour traverser la ville et elle s’était retrouvée à l’est, dans ce tripot aux vitres sombres. L’endroit sentait la bière bon marché et elle s’assit au comptoir pour commander un soda.

      La télévision suspendue au-dessus des tireuses à bière était allumée sur une chaîne d’infos qui diffusait actuellement un résumé des principaux résultats sportifs de la veille. Elle sirota son soda pour se calmer les nerfs en se demandant ce qu’elle allait faire ensuite. Elle ne pouvait pas retourner à l’hôtel : ce serait se jeter dans la gueule du loup. De toute façon, ils ne trouveraient rien là-bas, à part des vêtements et sa trousse de toilette. Elle ne connaissait par cœur qu’un seul numéro de téléphone, mais elle hésitait à utiliser une cabine téléphonique. Elles devenaient de plus en plus rares, même dans les villes. Les Services Secrets détenaient son téléphone mobile, et ils surveillaient peut-être les cabines téléphoniques.

      Elle songea à demander au barman d’utiliser son téléphone, mais son contact était un numéro international, ce qui pourrait attirer l’attention.

      Quand Karina leva à nouveau les yeux vers la télévision, le programme avait changé. Un présentateur qu’elle ne reconnût pas s’exprimait et, même si le volume était trop bas pour qu’elle puisse entendre, elle put lire sur le bandeau noir en bas de l’écran : HARRIS ET KOZLOVSKY ONT TENU UNE RÉUNION PRIVÉE.

      “Korva,” dit-elle dans un soupir. Merde. Puis, elle dit en anglais : “Pouvez-vous monter le son s’il vous plaît ?”

      Le barman, un latino avec une grosse moustache, la dévisagea un moment avant de lui tourner le dos pour lui signifier à quel point il se fichait pas mal de sa demande.

      “Zalupa,” murmura-t-elle, un vilain juron en ukrainien. Puis, elle se pencha par-dessus le bar, trouva la télécommande, et monta elle-même le son.

      “Une source anonyme à la Maison Blanche a confirmé qu’une réunion privée s’est tenue plus tôt dans la journée entre le Président Harris et le Président russe Aleksandr Kozlovsky,” déclara le présentateur. “Les deux jours depuis l’arrivée de Kozlovsky aux États-Unis ont été très médiatisés et examinés. Aussi, l’idée d’une réunion à portes closes dans une salle de conférence du sous-sol de la Maison Blanche a rendu pas mal de monde nerveux en repensant aux événements d’il y a près d’un an et demi.

      “En réponse à cette fuite, l’attachée de presse s’est exprimée en disant, je cite, que ‘les deux présidents ont été littéralement scrutés ces deux derniers jours, en particulier à cause des indiscrétions de leurs prédécesseurs. Le Président Harris et son invité ont simplement souhaité un bref répit à l’écart des projecteurs. La réunion en question a duré moins de dix minutes en tout, et l’objet de cette réunion était que chaque leader puisse apprendre à mieux connaître l’autre sans la pression de la présence des médias. Je peux assurer à chaque personne qui m’écoute ici qu’il n’existe aucun agenda clandestin. Ce fut simplement une conversation privée, et rien de plus,’ fin de citation. Questionnée plus avant sur les sujets abordés lors de cette réunion, l’attachée de presse a répondu en plaisantant, ‘Les détails ne m’ont pas été communiqués, mais je crois que la réunion a largement tourné autour de leur amour mutuel pour le scotch et les teckels.’

      “Même si la véritable nature de cette réunion reste totalement secrète, notre source anonyme nous a confirmé qu’il n’y avait qu’une seule autre personne présente dans la pièce avec les deux chefs d’état : l’interprète. Même si son identité n’a pas été révélée, nous avons la confirmation qu’il s’agit d’une femme d’origine russe. À présent, le monde veut savoir : est-ce que les deux leaders ont vraiment discuté boissons et chiens ? Ou est-ce que cette interprète inconnue détient la réponse à une question que beaucoup d’américains ont sur le…”

      La télévision s’éteignit soudain, l’écran devenant tout noir. Karina baissa immédiatement les yeux et vit que le barman avait attrapé la télécommande pour éteindre la télé.

      Elle allait le traiter de trou du cul, mais elle se retint. Il ne servait à rien de lui chercher des noises. Elle était censée passer incognito. Aussi, elle se concentra sur ce qu’elle venait d’entendre. La Maison Blanche n’avait pas dévoilé son identité, du moins pas encore. Ils voulaient la retrouver et la faire taire avant qu’elle puisse dire à qui que ce soit ce qu’elle avait entendu, ce que les deux présidents tramaient, et ce que Kozlovsky avait demandé au leader