Elle aurait pu se retourner pour regarder la personne, lui faire savoir qu’elle savait, mais elle garda les yeux rivés devant elle et attendit le signal pour traverser la rue et savoir si l’ombre allait suivre.
“Bien, je suis contente. J’essaierai de t’envoyer un petit quelque chose d’ici deux semaines.”
“Tu n’as pas à le faire,” lui dit Sara. Le feu changea de couleur et elle s’engagea rapidement sur le passage piéton.
“Je sais que je n’ai pas à le faire. Je veux le faire. Quoi qu’il en soit, je te laisse aller au boulot.”
“Je ne travaille pas demain.” Sara atteignit l’angle opposé et continua son chemin. L’ombre suivait toujours. “On se rappelle à ce moment-là ?”
“Ça marche. Je t’aime.”
“Je t’aime aussi.” Sara raccrocha et remit le téléphone dans son sac. Puis, sans crier gare, elle tourna brusquement à gauche et se mit à courir, juste le temps de disparaître hors de vue. Elle se retourna, croisa les bras sur sa poitrine, et afficha une expression volontairement consternée, alors que son poursuivait déboulait du coin de la rue pour la rattraper.
Il dérapa presque en s’arrêtant quand il vit qu’elle l’attendait là.
“Pour un agent censé être sous couverture, tu es un peu nul,” lui dit-elle. “J’ai senti ton eau de Cologne.”
L’Agent Todd Strickland esquissa un sourire. “Ravi de te voir aussi, Sara.”
Elle ne lui rendit pas son sourire. “Toujours un œil sur moi, à ce que je vois.”
“Quoi ? Non. J’étais dans le coin, je suis sur une opération.” Il haussa les épaules. “Je t’ai vu dans la rue, je me suis dit que j’allais venir te dire bonjour.”
“C’est ça,” dit-elle avec incrédulité. “Dans ce cas, bonjour. Maintenant, je dois aller au boulot. Bye.” Elle tourna les talons et partit à pas rapides.
“Je vais t’accompagner.” Il la rejoignit en trottinant.
Elle haussa les épaules à son tour. Strickland était jeune pour un agent de la CIA, même pas trente ans et, se dit-elle, terriblement mignon… Mais il lui rappelait trop son père. Ils étaient devenus amis, tous les deux, près de deux ans plus tôt, quand Sara et sa sœur avaient été kidnappées par les trafiquants slovaques. Strickland avait participé à leur sauvetage et, à l’époque, il avait promis que peu importe ce qui se passerait, il ferait toujours tout son possible pour garder les deux filles en sécurité.
Apparemment, ça impliquait d’utiliser les ressources de la CIA pour garder un œil sur les agissements de Sara.
“Donc tout va bien ?” lui demanda-t-il.
“Ouais, nickel. Fiche le camp maintenant.”
Mais il continua à marcher à côté d’elle. “Ce type, dans ton immeuble, il te cherche encore des noises ?”
“Oh mon dieu,” grommela-t-elle. “Quoi ? Tu as placé les lieux sous surveillance ?”
“Je veux juste m’assurer que tu vas bien…”
Elle se retourna vers lui. “Tu n’es pas mon père. Nous ne sommes même pas amis. Il fut un temps, peut-être que tu étais… disons, une sorte de nounou en mieux. Mais maintenant, tu reviens sans cesse comme un putain d’harceleur.” Elle savait qu’il la surveillait parfois. Ce n’était pas la première fois qu’il apparaissait soudainement en Floride. “Je ne veux pas de toi ici. Je ne veux pas qu’on me rappelle cette vie-là. Alors que dirais-tu de m’expliquer ce que tu attends de moi, histoire que nos chemins puissent se séparer ?”
Strickland réagit à peine à cette envolée. “Je veux que tu sois en sécurité,” dit-il avec franchise. “Et, pour être tout à fait honnête, j’aimerais que tu arrêtes la drogue.”
Sara plissa les yeux et entrouvrit la bouche. “Tu te prends pour qui, au juste ?”
“Pour quelqu’un qui s’en soucie. Ton père aurait le cœur brisé s’il savait ça.”
S’il savait ça ? “Oh, tu veux dire que tu ne lui fais pas de rapport hebdomadaire ?”
Strickland secoua la tête. “Je ne l’ai pas vu depuis des mois.”
“Donc tu me suis juste à cause de ton sens exacerbé du devoir ?”
Le jeune agent esquissa un sourire triste et secoua à nouveau la tête. “Que ça te plaise ou non, il y a encore plein de gens qui se souviennent de l’Agent Zéro. J’espère que tu n’auras jamais à me remercier d’avoir gardé un œil sur toi. Mais, en attendant, je vais continuer à le faire.”
“Ouais, je me doute bien.” Elle regarda en l’air et cligna des yeux à cause du soleil. “C’est quoi ça, un satellite ? C’est comme ça que tu m’observe ?” Sara leva un bras devant son visage et fit un doigt d’honneur vers les nuages. “Voilà une photo pour toi. Envoie-la à mon père comme carte pour Noël.” Puis, elle tourna les talons et s’en alla.
“Sara,” lui cria-t-il. “Et pour la drogue ?”
Bon sang, pourquoi est-ce qu’il ne me lâche pas les basques ? Elle se tourna vers lui. “Je fume un peu d’herbe, et alors ? Qui s’en soucie ? C’est pratiquement légal ici.”
“Ouais, ouais. Et le Xanax ?”
Le Xanax. Elle se demanda d’abord comment il était au courant pour ça. Puis, elle se demanda pourquoi il n’avait pas encore fait effet. Mais elle connaissait déjà la réponse à cette dernière. Son corps s’accoutumait trop pour un seul cachet à présent. Ça ne suffisait plus.
“Et la coke ?”
Elle partit d’un rire amer et caustique. “Ne fais pas ça. N’essaie pas de me faire passer pour une sorte de criminelle perverse parce que j’ai essayé un truc une fois ou deux dans une fête.”
“Une fois ou deux, hein ? Tu fais ce genre de fêtes tous les soirs ?”
Sara sentit son visage rougir. Ce n’était pas seulement parce qu’il l’avait offensée, mais aussi parce qu’il avait raison. Ça avait commencé dans une ou deux fêtes, mais c’était rapidement devenu un coup de fouet après le travail. Un petit quelque chose pour se remettre d’aplomb. Mais elle ne comptait pas l’admettre maintenant.
“Ce doit être si facile pour toi,” dit-elle, “debout là avec ton air de Boy Scout, de Ranger de l’armée, d’agent de la CIA. Ce doit être tellement facile de juger quelqu’un comme moi. Tu dis que tu sais ce que j’ai traversé, mais tu ne comprends pas. Tu ne peux pas comprendre.”
Strickland acquiesça lentement. Il la regarda droit dans les yeux… Des yeux qu’elle aurait pu trouver charmants s’ils avaient appartenu à quelqu’un d’autre que lui. “Ouais. J’imagine que tu as raison, et tu penses que je ne sais pas ce que ça fait d’être émancipé à dix-sept ans…”
“J’avais quinze ans,” rectifia Sara.
“Et j’avais dix-sept ans. Mais tu ne savais pas que j’avais vécu ça, pas vrai ?”
Non, elle ne le savait pas. Mais elle ne lui donna pas la satisfaction de réagir.
“Je me suis immédiatement engagé dans l’armée. Beaucoup d’états l’autorisent. J’ai eu mon premier tué confirmé deux jours avant mon dix-huitième anniversaire. C’est marrant ce truc chez les militaires. Ils n’appellent pas ça un ‘meurtre’ quand on tue quelqu’un.”
Sara se mordit la lèvre. Elle savait ce que ça faisait de tuer quelqu’un. C’était un mercenaire de la Division. Il les aurait tuées, sa sœur et elle, donc Sara lui avait tiré dans le cou. Et malgré tous les cauchemars qui l’assaillaient encore, elle n’avait pas une seule fois considéré qu’il s’agissait d’un meurtre.
“À