On nous mine par des longueurs;
On fait tant, à la fin, que l’huître est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs[8].
XXII
LE CHÊNE ET LE ROSEAU.
Le chêne un jour dit au roseau:
Vous avez bien sujet d’accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau;
Le moindre vent qui d’aventure
Fait rider la face de l’eau
Vous oblige à baisser la tête,
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
Brave l’effort de la tempête.
Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n’auriez pas tant à souffrir:
Je vous défendrois de l’orage;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.—
Votre compassion, lui répondit l’arbuste,
Part d’un bon naturel; mais quittez ce souci;
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables:
Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos;
Mais attendons la fin. Comme il disoit ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L’arbre tient bon, le roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au ciel étoit voisine,
Et dont les pieds touchoient à l’empire des morts.
FIN DU LIVRE PREMIER.
I
CONTRE CEUX QUI ONT LE GOUT DIFFICILE.
Quand j’aurois en naissant reçu de Calliope
Les dons qu’à ses amants cette muse a promis,
Je les consacrerois aux mensonges d’Ésope:
Le mensonge et les vers de tout temps sont amis.
Mais je ne me crois pas si chéri du Parnasse
Que de savoir orner toutes ces fictions.
On peut donner du lustre à leurs inventions:
On le peut, je l’essaie; un plus savant le fasse.
Cependant jusqu’ici d’un langage nouveau
J’ai fait parler le loup et répondre l’agneau:
J’ai passé plus avant: les arbres et les plantes
Sont devenus chez moi créatures parlantes.
Qui ne prendroit ceci pour un enchantement?
Vraiment, me diront nos critiques,
Vous parlez magnifiquement
De cinq ou six contes d’enfant.
Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques,
Et d’un style plus haut? En voici. Les Troyens,
Après dix ans de guerre autour de leurs murailles,
Avoient lassé les Grecs, qui par mille moyens,
Par mille assauts, par cent batailles,
N’avoient pu mettre à bout cette fière cité;
Quand un cheval de bois par Minerve inventé,
D’un rare et nouvel artifice,
Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse,
Le vaillant Diomède, Ajax l’impétueux,
Que ce colosse monstrueux
Avec leurs escadrons devoit porter dans Troie,
Livrant à leur fureur ses dieux mêmes en proie:
Stratagème inouï, qui des fabricateurs
Paya la constance et la peine...—
C’est assez, me dira quelqu’un de nos auteurs:
La période est longue, il faut reprendre haleine;
Et puis votre cheval de bois,
Vos héros avec leurs phalanges,
Ce sont des contes plus étranges
Qu’un renard qui cajole un corbeau sur sa voix:
De plus, il vous sied mal d’écrire en si haut style.
Eh bien! baissons d’un ton. La jalouse Amarylle
Songeoit à son Alcippe, et croyoit de ses soins
N’avoir que ses moutons et son chien pour témoins.
Tircis, qui l’aperçut, se glisse entre les saules;
Il entend la bergère adressant ces paroles
Au doux zéphyr, et le priant
De les porter à son amant...
Je vous arrête à cette rime,
Dira mon censeur à l’instant;
Je ne la tiens pas légitime,
Ni d’une assez grande vertu:
Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte...
Maudit censeur, te tairas-tu?
Ne saurois-je achever mon conte?
C’est un dessein très-dangereux
Que d’entreprendre de te plaire.
Les délicats sont malheureux:
Rien ne sauroit les satisfaire.