voyais le Queen Mary couler, et je sentais au plus profond de mes entrailles que je devais m'échapper. Je plongeais dans l'eau glacée et huileuse et nageais aussi vite que possible pour m'éloigner du navire. Une minute plus tard, il y eu une énorme explosion, et des morceaux de métal se mirent à tomber autour de moi. Je plongeais profondément sous les vagues pour éviter d’être touché par les retombées. Je refis surface en haletant. Je fus à nouveau aspiré sous l'eau par le navire qui coulait.
Sous l'eau, je me sentais impuissant et résigné à mon propre sort. Mais quelque chose me poussa à remonter vers la surface. Au moment où je pensais que j'allais perdre conscience, j'ai surgi des vagues. Je vis un morceau de débris flottant et j’enroulais mon poignet autour de la corde qui en dépassait avant de perdre conscience. J'ai fini par être secouru, mais pas avant qu'un autre navire qui m’avait laissé pour mort n'ait recueilli d'autres survivants.
Par la suite, l’amiral Beatty a commenté la destruction du Queen Mary. À la manière prétentieuse de la classe supérieure britannique en guerre, il a déclaré : « Il semble y avoir un problème avec nos fichus navires aujourd'hui. »
Il y avait un problème avec les navires britanniques. Ils étaient mal conçus. Les navires de guerre allemands avaient des cloisons solides que l'on ne pouvait traverser qu’en se rendant au pont supérieur, puis en descendant dans la section suivante. Les navires britanniques avaient des cloisons avec des portes qui permettaient le passage entre les sections. C'était beaucoup plus pratique, mais une sérieuse faiblesse quand une explosion massive déchirait le vaisseau. Les Britanniques avaient également une attitude beaucoup plus négligente à l'égard de leurs munitions.
Les Allemands entreposaient leurs munitions et leurs obus dans des conteneurs à l'épreuve des explosions jusqu'à ce qu'ils soient prêts à être tirés tandis que les artilleurs britanniques empilaient les obus à côté des canons. Il était donc beaucoup plus facile de les amorcer et de les faire exploser accidentellement si le navire était touché.
Peu après le naufrage du Queen Mary, la flotte allemande de haute mer fut repérée à l'horizon, se dirigeant vers nous pour rejoindre l'escadron de cuirassés. Le reste de la Grande Flotte britannique était encore à une bonne douzaine de miles. C’était le moment de tester les limites du sang-froid de l’amiral Beatty. Il avait en face de lui toute la puissance de la marine allemande et avait déjà perdu deux croiseurs cuirassés. L’amiral Beatty donna le signal de virer à 180 degrés.
Le plan allemand était d'attirer les Britanniques dans les mâchoires de leur machine de guerre. Les navires allemands nous suivirent. L’amiral Beatty les avait attirés vers la puissance de feu de la Grande Flotte britannique. Peu après 17h, les Allemands s'étaient suffisamment rapprochés des navires en retraite de Beatty pour commencer à attaquer les traînards. Mais une heure plus tard, la Grande Flotte britannique de vingt-quatre cuirassés se montra à l'horizon.
Peu importe la capacité des navires allemands, ils étaient maintenant largement inférieurs en nombre. Les Allemands, alors en grande difficulté donnèrent l'ordre de la retraite vers le nord. Les Allemands essayaient-ils de nous faire tomber dans un piège, en espérant attirer les Britanniques à travers un champ de mines ou dans un couloir avec des sous-marins les attendant plus loin ? Il y avait trop d’éléments en jeu. Les Britanniques décidèrent de ne pas les suivre. Au lieu de cela, ils ordonnèrent à leurs navires de se diriger vers le sud dans l'espoir de reprendre contact avec la flotte allemande plus tard.
Un autre navire britannique, le HMS Invincible, devint la troisième victime majeure de la journée. Une de ses tourelles touchées par un obus, se désintégra dans une énorme explosion qui brisa le navire en deux. Seuls six hommes allaient survivre sur un équipage de plus de mille personnes. Pendant un moment, la proue et la poupe de cet énorme croiseur de combat furent comme figées sur l'eau, tels des clochers d'un village englouti. Puis, la poupe sombra dans les remous. La proue resta dressée jusqu'au lendemain, puis s’enfonça également dans les flots glacés. L’équipage piégé à l'intérieur a dû passer une nuit angoissante, se demandant ce qui pouvait bien leur arriver dans ce monde inversé. Ils s'attendaient sûrement à être engloutis par la mer lorsque le navire s'est retrouvé à la verticale. Leur mort inévitable avait été prolongée de plusieurs heures misérables.
Au fil de la soirée, l'intuition des Britanniques selon laquelle les navires allemands se dirigeraient vers le sud s'est avérée exacte. Juste après 19h, les deux flottes s’affrontent à nouveau. Les Allemands effectuent plusieurs mouvements pour tenter de prendre l'avantage sur la flotte britannique. Les deux camps suivirent une tactique connue sous le nom de « faire le T ». Cette idée consistait à aligner la flotte de navires de guerre à angle droit par rapport à l’adversaire, alors qu'il s'approche en ligne droite. Donc, votre flotte représente le haut du T et la flotte ennemie la barre descendante. De cette façon, le capitaine pouvait tirer avec tous les canons à bord des navires, tant à la proue qu'à la poupe, tandis que l'ennemi ne pouvait utiliser que ses canons avant.
Mais les Allemands échouent et leurs navires se retrouvent désastreusement éparpillés en biais par rapport à la flotte britannique qui approche. Pire, le soleil est maintenant derrière les Britanniques et il n'est possible de les voir qu'à la lueur de leurs canons. À ce stade de la bataille, ce sont les obus britanniques qui tombent avec plus de précision et les navires allemands qui mordent la poussière.
C'est à ce moment précis que les Allemands prirent la décision la plus infernale de la journée. Pour éviter que toute leur flotte ne soit réduite à l'état d'épave par la force britannique beaucoup plus importante, les Allemands prirent quatre de leurs croiseurs de combat et les lancèrent directement vers la flotte britannique. Leur signal indiqua : « Croiseurs de combat sur l'ennemi ». Pas de quartier. Il y avait une logique cruelle dans cette décision. Les Allemands utilisaient de cette façon leurs navires de guerre plus anciens et moins puissants. Cette action était connue sous le nom de « course au suicide ». Les Allemands voulaient que la flotte britannique concentre son feu sur cet escadron d'attaque tout en permettant au reste de la flotte de haute mer de faire demi-tour et de s'échapper.
Ces quatre navires allemands avaient été au cœur de l'action depuis le début de la bataille. Ils avaient tous subi de sérieux dommages. Alors qu'ils se dirigeaient vers la lumière déclinante, le capitaine de chaque navire était convaincu qu'il ne vivrait pas jusqu’au petit matin. Mais dans une guerre, rien n'est prévisible. Devant eux, la Grande Flotte britannique s'étendait en un demi-cercle aussi loin qu'ils pouvaient voir. Chacun de ces navires britanniques tirait sur les cuirassés allemands qui approchaient. Le premier croiseur de combat reçu des impacts directs sur ses tourelles arrière, explosant avec des conséquences horribles pour ceux qui se trouvaient à l'intérieur. Grâce à une bonne conception, le reste du navire survécu. Les autres cuirassés allemands subirent des coups similaires. Bien qu'ils aient reçu de nombreux impacts d'obus britanniques, les navires ne furent pas mis en pièces.
Le commandant allemand était courageux, mais il n'avait pas l'intention de se suicider. Une fois qu'il a été sûr que le reste de la flotte allemande s'était échappé, il a détourné ses navires pour rejoindre l'arrière de l'escadron en fuite. Les Britanniques sont devenus méfiants. Plutôt que de suivre directement les navires allemands, ils ont décidé de se diriger vers le sud et ont fait la course pour les contourner en empruntant une route plus indirecte. C’est au moment où le soleil se couche à l'horizon que l'escadron allemand est rattrapé par les Britanniques. Cette fois, ils n'ont pas été aussi chanceux. L’un des croiseurs de combat allemand a subi plus de dommages et a coulé plus tard dans la nuit, alors que les trois autres croiseurs de combat ont été sévèrement endommagés.
Dans l'obscurité, les adversaires échangent des tirs, mais l'action principale est terminée. Un autre cuirassé allemand est coulé. Des torpilles lancées par des destroyers britanniques l'ont touché lors de sa retraite, et les 866 hommes à bord ont été tués.
À l’aube du matin le 1er juin, vers 3h, les Britanniques espèrent reprendre le contact avec la flotte allemande aux premières lueurs du jour, mais les vigies ont les yeux rivés