trente ans quand Anatole France, lauréat d’un prix Nobel qui n’avait encore rien perdu de son prestige, lui consacre un grand article. Il souligne fort justement le rôle qu’à joué la famille du jeune poète dans ses préférences littéraires. Son père, Jean-François Le Goffic, était imprimeur et éditeur. Dans sa petite imprimerie de Lannion, il éditait et imprimait les textes des bardes, leurs chants, leurs poèmes, leurs légendes, en continuité avec les traditions celtes et même avec celles des druides qui avaient vécu sur ces terres avant la venue des Celtes. Anatole France cite Charles Maurras qui décrit ainsi les réunions annuelles dans la maison de Le Goffic «M. Charles Maurras nous apprend que laïques et clercs, mendiants et lettrés, tous les jouglars du pays se réunissaient une fois l’an dans la maison de Jean-François à un banquet ou l’on chantait toute la nuit sur vingt tonneaux de cidre défoncés». Et il conclut: «Conçu dans ces fêtes de poésie populaire, Charles Le Goffic naquit poète».
Selon Anatole France, l’art poétique de Le Goffic «est rare, pur, achevé». Dans son article, il cite également Paul Bourget: «Ces vers donnent une impression unique de grâce triste et souffrante. Cela est à la fois très simple et très savant… Il n’y a que Gabriel Vicaire et lui à toucher certaines cordes de cet archet-là, celui d’un ménétrier de campagne qui serait un grand violoniste aussi».
Le Goffic a payé son tribut au romantisme, précoce et tardif, qui a ouvert la voie au mysticisme, au personnalisme et à l’individualisme. Le Parnasse l’a attiré en tant que maître de la composition poétique, auteur d’un traité de versification, par la grande attention qu’il prêtait aux problèmes de forme. André Chénier, Théodore de Banville, Paul Verlaine, poètes qu’il admirait tout particulièrement, ont exercé sur lui une influence certaine. Et Paul Bourget a raison de souligner les liens particuliers qui le liaient à Gabriel Vicaire. Plus qu’une camaraderie, il partageaient la même compréhension profonde de ce que devait être selon eux la poésie de leur temps. Rapprocher la langue poétique du parler populaire qui n’avait pas perdu son substrat historique, ses légendes, son folklore.
Dans son article Gabriel Vicaire ou la plaisante histoire d’un Bressan devenu Breton, il cite une lettre de Vicaire que celui-ci lui a adressée: «Mon rêve serait d’introduire dans notre poésie française une forte dose de poésie populaire. Je vois que cette idée fait son chemin: je n’ai cessé de la répandre de mon mieux».
Dans cet article il définit le développement de la poésie de Vicaire en des termes qu’on peut, cent ans plus tard, appliquer à Le Goffic lui-même.
«Le vers de Gabriel Vicaire, déjà si souple et si libre, se fait plus musical encore, mêlant les rythmes, se jouant aux allitérations et aux assonances internes et qu’en même temps que son sensualisme s’affine une émotion plus pénétrante, une délicieuse fleur de rêve s’éveille en lui».
C’est tout particulièrement dans ses poèmes d’amour qui occupent une place d’honneur dans son écriture – ses œuvres complètes commencent par un cycle intitulé Amour Breton — qu’on perçoit la façon dont il construit sa dépiction, le principe de description visuelle de sa poétique. Le Goffic n’utilise pratiquement jamais les objets qui s’offrent directement à son regard. Dans sa mémoire, comme sur la palette d’un peintre s’organisent des images nées d’une impulsion spirituelle, que son inspiration redessine après les avoir fixées, recompose avec d’autres pour créer ses vers. Ce qui explique l’attention particulière qu’il prête au folklore populaire et plus généralement à tout ce qui constitue la mémoire d’une société. La mémoire est la matière qu’il travaille. Prenons par exemple cette petite pièce, comme la nomme fort justement Anatole France.
Il neige à nos vitres glacées;
Mais viens! Durant les mauvais mois,
Les âmes des fleurs trépassées
Habitent encore dans les bois.
L’air s’imprègne d’odeurs plus douces.
Voici le lilas et voici,
Avec la silène des mousses,
La fleur dolente du souci.
Et de toutes ces fleurs ensemble,
Par je ne sais quels lents accords,
Émane un parfum qui ressemble
Au parfum secret de ton corps.
Comme se mêlent ici et coexistent de façon mnémique les images tactiles, auditives, visuelles et olfactives!
Marcel de Corte dans son étude L'essence de la poésie souligne que la poésie transcende l’existence et témoigne de la présence d’une mystique qui s’élève au-dessus de la nature.
Anatole France venait rarement en Bretagne, mais en entendant les chants de Le Goffic il écrivait revoir les rives solitaires, l’or des plaines, les chênes enracinés dans le granit, la sombre verdure ombrageant les rivières et les routes bordées de genêts, et au pied des calvaires les paysannes sévères comme des nonnes.
Boris Lejeune,
France
Шарль Ле Гоффик: чарующая поэзия
Поэт Шарль Ле Гоффик родился 4 июля 1863 года в бретонском городе Ланьон. Во второй половине девятнадцатого века этот небольшой город на морском побережье с проживающими в нем семью тысячами жителей продолжал сохранять средневековой характер, как, впрочем, и вся Бретань. Длинные каменные лестницы поднимались к храму тамплиеров. Вдоль них ютились, этаж за этажом, небольшие дома. Эрнест Ренан описывает узкие улочки, веселый нрав жителей, их невозмутимость.
Подчеркнем сразу: все обширное литературное творчество Ле Гоффика неразрывно связано с географией, историей, климатом его родной земли Бретани.
Бретонская весна – очарованье мира!
Улыбка девичья земли и светлых вод.
Весь белый свет наполнит мед и миро.
Журжит веретено – волшебница прядет.
Пряди, пряди, весна, серебряные зори!
Для жителей страны верши священный труд,
И облачи в рубины розовые горы,
И сотвори из моря чистый изумруд.
Один лишь отблеск от твоей руки огнистой,
Один лишь луч от твоего волшебного чела
Привяжет мою душу нитью золотистой
К душе страны, где чаровница