religieux qu’ambitieux, sacrifia, à l’honneur d’être confident d’un grand roi, l’intérêt de l’innocence et de la vertu, et s’insinua avec tant d’adresse dans l’esprit du roi, lui adoucit tellement le crime qu’il allait commettre, qu’il lui persuada même que c’était une œuvre pie que d’épouser sa fille. Ce prince, flatté par les discours de ce scélérat, l’embrassa, et revint d’avec lui plus entêté que jamais dans son projet : il fit donc ordonner à l’infante de se préparer à lui obéir.
La jeune princesse, outrée d’une vive douleur, n’imagina rien autre chose que d’aller trouver la fée des Lilas, sa marraine. Pour cet effet elle partit la même nuit dans un joli cabriolet attelé d’un gros mouton qui savait tous les chemins. Elle y arriva heureusement. La fée, qui aimait l’infante, lui dit qu’elle savait tout ce qu’elle venait lui dire, mais qu’elle n’eût aucun souci, rien ne pouvant lui nuire si elle exécutait fidèlement ce qu’elle allait lui prescrire. « Car, ma chère enfant, lui dit-elle, ce serait une grande faute que d’épouser votre père ; mais, sans le contredire, vous pouvez l’éviter : dites lui que, pour remplir une fantaisie que vous avez, il faut qu’il vous donne une robe de la couleur du temps ; jamais, avec tout son amour et son pouvoir, il ne pourra y parvenir. »
5. Qu’en pensez-vous, la deuxième proposition de la fée est bonne ? Pourquoi ? Faites le devoir !
La princesse remercia bien sa marraine ; et dès le lendemain matin elle dit au roi son père ce que la fée lui avait conseillé, et protesta qu’on ne tirerait d’elle aucun aveu qu’elle n’eût une robe couleur du temps. Le roi, ravi de l’espérance qu’elle lui donnait, assembla les plus fameux ouvriers, et leur commanda cette robe, sous la condition que, s’ils ne pouvaient réussir, il les ferait tous pendre. Il n’eut pas le chagrin d’en venir à cette extrémité ; dès le second jour ils apportèrent la robe si désirée. L’empyrée n’est pas d’un plus beau bleu lorsqu’il est ceint de nuages d’or, que cette belle robe lorsqu’elle fut étalée. L’infante en fut toute contristée, et ne savait comment se tirer d’embarras. Le roi pressait la conclusion. Il fallut recourir encore à la marraine, qui, étonnée de ce que son secret n’avait pas réussi, lui dit d’essayer d’en demander une de la couleur de la lune. Le roi, qui ne pouvait lui rien refuser, envoya chercher les plus habiles ouvriers, et leur commanda si expressément une robe couleur de la lune, qu’entre ordonner et l’apporter il n’y eut pas vingt-quatre heures…
L’infante, plus charmée de cette superbe robe que des soins du roi son père, s’affligea immodérément lorsqu’elle fut avec ses femmes et sa nourrice. La fée des Lilas, qui savait tout, vint au secours de l’affligée princesse, et lui dit : « Ou je me trompe fort, ou je crois que, si vous demandez une robe couleur du soleil, ou nous viendrons à bout de dégoûter le roi votre père, car jamais on ne pourra parvenir à faire une pareille robe, ou nous gagnerons au moins du temps. »
6. Dites si la suite du conte est telle que vous l’avez imaginée. Faites le devoir !
L’infante en convint, demanda la robe, et l’amoureux roi donna, sans regret, tous les diamants et les rubis de sa couronne pour aider à ce superbe ouvrage, avec ordre de ne rien épargner pour rendre cette robe égale au soleil. Aussi, dès qu’elle parut, tous ceux qui la virent déployée furent obligés de fermer les yeux, tant ils furent éblouis. C’est de ce temps que datent les lunettes vertes et les verres noirs. Que devint l’infante à cette vue ? Jamais on n’avait rien vu de si beau et de si artistement ouvré. Elle était confondue ; et sous prétexte d’avoir mal aux yeux, elle se retira dans sa chambre, où la fée l’attendait, plus honteuse qu’on ne peut dire. Ce fut bien pis : car, en voyant la robe du soleil, elle devint rouge de colère. « Oh ! pour le coup, ma fille, dit-elle à l’infante, nous allons mettre l’indigne amour de votre père à une terrible épreuve. Je le crois bien entêté de ce mariage qu’il croit si prochain, mais je pense qu’il sera un peu étourdi de la demande que je vous conseille de lui faire : c’est la peau de cet âne qu’il aime si passionnément, et qui fournit à toutes ses dépenses avec tant de profusion ; allez, et ne manquez pas de lui dire que vous désirez cette peau. »
L’infante, ravie de trouver encore un moyen d’éluder un mariage qu’elle détestait, et qui pensait en même temps que son père ne pourrait jamais se résoudre à sacrifier son âne, vint le trouver, et lui exposa son désir pour la peau de ce bel animal. Quoique le roi fût étonné de cette fantaisie, il ne balança pas à la satisfaire. Le pauvre âne fut sacrifié, et la peau galamment apportée à l’infante, qui, ne voyant plus aucun moyen d’éluder son malheur, s’allait désespérer, lorsque sa marraine accourut. « Que faites-vous, ma fille ? dit-elle, voyant la princesse déchirant ses cheveux et meurtrissant ses belles joues ; voici le moment le plus heureux de votre vie. Enveloppez-vous de cette peau ; sortez de ce palais, et allez tant que terre pourra vous porter : lorsqu’on sacrifie tout à la vertu, les dieux savent en récompenser. Allez, j’aurai soin que votre toilette vous suive partout ; en quelque lieu que vous vous arrêtiez, votre cassette, où seront vos habits et vos bijoux, suivra vos pas sous terre ; et voici ma baguette que je vous donne : en frappant la terre, quand vous aurez besoin de cette cassette, elle paraîtra à vos yeux ; mais hâtez-vous de partir ; et ne tardez pas. »
7. Intitulez ce passage et faites le devoir !
L’infante embrassa mille fois sa marraine, la pria de ne pas l’abandonner, s’affubla de cette vilaine peau, après s’être barbouillée de suie de cheminée, et sortit de ce riche palais sans être reconnue de personne. L’absence de l’infante causa une grande rumeur. Le roi, au désespoir, qui avait fait préparer une fête magnifique, était inconsolable. Il fit partir plus de cent gendarmes et plus de mille mousquetaires pour aller à la quête de sa fille ; mais la fée, qui la protégeait, la rendait invisible aux plus habiles recherches : ainsi il fallut bien s’en consoler.
Pendant ce temps l’infante cheminait. Elle alla bien loin, bien loin, encore plus loin, et cherchait partout une place ; mais quoique par charité on lui donnât à manger, on la trouvait si crasseuse que personne n’en voulait. Cependant elle entra dans une belle ville, à la porte de laquelle était une métairie, dont la fermière avait besoin d’une souillon pour laver les torchons, nettoyer les dindons et l’auge des cochons. Cette femme, voyant cette voyageuse si malpropre, lui proposa d’entrer chez elle ; ce que l’infante accepta de grand cœur, tant elle était lasse d’avoir tant marché. On la mit dans un coin reculé de la cuisine, où elle fut, les premiers jours, en butte aux plaisanteries grossières de la valetaille, tant sa peau d’âne la rendait sale et dégoûtante. Enfin on s’y accoutuma ; d’ailleurs elle était si soigneuse de remplir ses devoirs que la fermière la prit sous sa protection. Elle conduisait les moutons, les faisait parquer au temps où il le fallait ; elle menait les dindons paître avec une telle intelligence, qu’il semblait qu’elle n’eût jamais fait autre chose : aussi tout fructifiait sous ses belles mains.
8. Lisez ce passage et imaginez-vous à la place de la princesse ! Est-ce qu’il y a la différence entre vous et l’infante ? Faites le devoir !
Un jour qu’assise près d’une claire fontaine, où elle déplorait souvent sa triste condition, elle s’avisa de s’y mirer, l’effroyable peau d’âne, qui faisait sa coiffure et son habillement, l’épouvanta. Honteuse de cet ajustement, elle se décrassa le visage et les mains, qui devinrent plus blanches que l’ivoire, et son beau teint reprit sa fraîcheur naturelle. La joie de se trouver si belle lui donna envie de s’y baigner, ce qu’elle exécuta ; mais il lui fallut remettre son indigne peau pour retourner à la métairie. Heureusement le lendemain était un jour de fête ; ainsi elle eut le loisir de tirer sa cassette, d’arranger sa toilette, de poudrer ses beaux cheveux, et de mettre sa belle robe couleur du temps. Sa chambre était si petite, que la queue de cette belle robe ne pouvait pas s’étendre. La belle princesse se mira et s’admira elle-même avec raison, si bien