jour de fête, que Peau-d’Âne avait mis la robe couleur du soleil, le fils du roi, à qui cette ferme appartenait, vint y descendre pour se reposer, en revenant de la chasse. Ce prince était jeune, beau et admirablement bien fait, l’amour de son père et de la reine sa mère, adoré des peuples. On offrit à ce jeune prince une collation champêtre, qu’il accepta ; puis il se mit à parcourir les basses-cours et tous leurs recoins. En courant ainsi de lieu en lieu, il entra dans une sombre allée, au bout de laquelle il vit une porte fermée. La curiosité lui fit mettre l’œil à la serrure ; mais que devint-il, en apercevant la princesse si belle et si richement vêtue, qu’à son air noble et modeste il la prit pour une divinité ! L’impétuosité du sentiment qu’il éprouva dans ce moment l’aurait porté à enfoncer la porte, sans le respect que lui inspira cette ravissante personne.
9. D’après ce passage l’amour c’est… . Faites le devoir !
Il sortit avec peine de cette allée sombre et obscure, mais ce fut pour s’informer qui était la personne qui demeurait dans cette petite chambre. On lui répondit que c’était une souillon, qu’on nommait Peau-d’Âne, à cause de la peau dont elle s’habillait ; et qu’elle était si sale et si crasseuse, que personne ne la regardait, ni ne lui parlait ; et qu’on ne l’avait prise que par pitié, pour garder les moutons et les dindons.
Le prince, peu satisfait de cet éclaircissement, vit bien que ces gens grossiers n’en savaient pas davantage, et qu’il était inutile de les questionner. Il revint au palais du roi son père, plus amoureux qu’on ne peut dire, ayant continuellement devant les yeux la belle image de cette divinité qu’il avait vue par le trou de la serrure. Il se repentit de n’avoir pas heurté à la porte, et se promit bien de n’y pas manquer une autre fois. Mais l’agitation de son sang, causée par l’ardeur de son amour, lui donna, dans la même nuit, une fièvre si terrible, que bientôt il fut réduit à l’extrémité. La reine sa mère, qui n’avait que lui d’enfant, se désespérait de ce que tous les remèdes étaient inutiles. Elle promettait en vain les plus grandes récompenses aux médecins ; ils y employaient tout leur art, mais rien ne guérissait le prince.
Enfin ils devinèrent qu’un mortel chagrin causait tout ce ravage ; ils en avertirent la reine, qui, toute pleine de tendresse pour son fils, vint le conjurer de dire la cause de son mal ; et que, quand il s’agirait de lui céder la couronne, le roi son père descendrait de son trône sans regret, pour l’y faire monter ; que s’il désirait quelque princesse, quand même on serait en guerre avec le roi son père, et qu’on eût de justes sujets pour s’en plaindre, on sacrifierait tout pour obtenir ce qu’il désirait ; mais qu’elle le conjurait de ne pas se laisser mourir, puisque de sa vie dépendait la leur.
10. Intitulez ce fragment et faites le devoir !
La reine n’acheva pas ce touchant discours sans mouiller le visage du prince d’un torrent de larmes.
« Madame, lui dit enfin le prince avec une voix très faible, je ne suis pas assez dénaturé pour désirer la couronne de mon père ; plaise au ciel qu’il vive de longues années, et qu’il veuille bien que je sois longtemps le plus fidèle et le plus respectueux de ses sujets ! Quant aux princesses que vous m’offrez, je n’ai point encore pensé à me marier ; et vous pensez bien que, soumis comme je le suis à vos volontés, je vous obéirai toujours, quoi qu’il m’en coûte. – Ah ! mon fils, reprit la reine, rien ne me coûtera pour te sauver la vie ; mais, mon cher fils, sauve la mienne et celle du roi ton père, en me déclarant ce que tu désires, et sois bien assuré qu’il te sera accordé. – Eh bien ! madame, dit-il, puisqu’il faut vous déclarer ma pensée, je vais vous obéir ; je me ferais un crime de mettre en danger deux êtres qui me sont si chers. Oui, ma mère, je désire que Peau-d’Âne me fasse un gâteau, et que, dès qu’il sera fait, on me l’apporte. » La reine, étonnée de ce nom bizarre, demanda qui était cette Peau-d’Âne. « C’est, madame, reprit un de ses officiers qui par hasard avait vu cette fille, c’est la plus vilaine bête après le loup ; une peau noire, une crasseuse, qui loge dans votre métairie et qui garde vos dindons. – N’importe, dit la reine : mon fils, au retour de la chasse, a peut-être mangé de sa pâtisserie ; c’est une fantaisie de malade ; en un mot, je veux que Peau-d’Âne (puisque Peau-d’Âne il y a) lui fasse promptement un gâteau. »
On courut à la métairie, et l’on fit venir Peau-d’Âne, pour lui ordonner de faire de son mieux un gâteau pour le prince.
11. Intitulez ce fragment et faites le devoir !
Quelques auteurs ont assuré que Peau-d’Âne, au moment que ce prince avait mis l’œil à la serrure, les siens l’avaient aperçu : et puis, que regardant par sa petite fenêtre, elle avait vu ce prince si jeune, si beau et si bien fait, que l’idée lui en était restée, et que souvent ce souvenir lui avait coûté quelques soupirs. Quoi qu’il en soit, Peau-d’Âne l’ayant vu, ou en ayant beaucoup entendu parler avec éloge, ravie de pouvoir trouver un moyen d’être connue, s’enferma dans sa chambre, jeta sa vilaine peau, se décrassa le visage et les mains, se coiffa de ses blonds cheveux, mit un beau corset d’argent brillant, un jupon pareil, et se mit à faire le gâteau tant désiré : elle prit de la plus pure farine, des œufs et du beurre bien frais. En travaillant, soit de dessein ou autrement, une bague qu’elle avait au doigt tomba dans la pâte, s’y mêla ; et dès que le gâteau fut cuit, s’affublant de son horrible peau, elle donna le gâteau à l’officier, à qui elle demanda des nouvelles du prince ; mais cet homme, ne daignant pas lui répondre, courut chez le prince lui porter ce gâteau.
Le prince le prit avidement des mains de cet homme, et le mangea avec une telle vivacité, que les médecins, qui étaient présents, ne manquèrent pas de dire que cette fureur n’était pas un bon signe : effectivement, le prince pensa s’étrangler par la bague qu’il trouva dans un des morceaux du gâteau ; mais il la tira adroitement de sa bouche : et son ardeur à dévorer ce gâteau se ralentit, en examinant cette fine émeraude, montée sur un jonc d’or, dont le cercle était si étroit, qu’il jugea ne pouvoir servir qu’au plus joli doigt du monde.
12. Lisez ce passage et dites si vous savez déjà comment guérira le prince. Faites le devoir !
Il baisa mille fois cette bague, la mit sous son chevet, et l’en tirait à tout moment, quand il croyait n’être vu de personne. Le tourment qu’il se donna, pour imaginer comment il pourrait voir celle à qui cette bague pouvait aller ; et n’osant croire, s’il demandait Peau-d’Âne, qui avait fait ce gâteau qu’il avait demandé, qu’on lui accordât de la faire venir, n’osant non plus dire ce qu’il avait vu par le trou de la serrure, de crainte qu’on se moquât de lui, et qu’on le prît pour un visionnaire, toutes ces idées le tourmentant à la fois, la fièvre le reprit fortement ; et les médecins, ne sachant plus que faire, déclarèrent à la reine que le prince était malade d’amour.
La reine accourut chez son fils, avec le roi, qui se désolait : « Mon fils, mon cher fils, s’écria le monarque affligé, nomme-nous celle que tu veux ; nous jurons que nous te la donnerons, fût-elle la plus vile des esclaves. » La reine, en l’embrassant, lui confirma le serment du roi. Le prince, attendri par les larmes et les caresses des auteurs de ses jours : « Mon père et ma mère, leur dit-il, je n’ai point dessein de faire une alliance qui vous déplaise ; et pour preuve de cette vérité, dit-il en tirant l’émeraude de dessous son chevet, c’est que j’épouserai la personne à qui cette bague ira, telle qu’elle soit ; et il n’y a pas apparence que celle qui aura ce joli doigt soit une rustaude ou une paysanne. »
Le roi et la reine prirent la bague, l’examinèrent curieusement, et jugèrent, ainsi que le prince, que cette bague ne pouvait aller qu’à quelque fille de bonne maison. Alors le roi ayant embrassé son fils, en le conjurant de guérir, sortit, fit sonner les tambours, les fifres et les trompettes par toute la ville,