crivez: 19–21 – 18–20 – 15–21 – 20
– Comment?
– Inscrivez, vous dis-je.
Il était assis sur le divan, les yeux tournés vers la fenêtre ouverte, et ses doigts roulaient une cigarette de tabac oriental.
Il prononça:
«Inscrivez: 9 – 12 – 6–1…»
Il y eut un arrêt. Puis il reprit:
«21.»
Et, après un silence:
«20 – 6…»
Était-il fou? Je le regardai: il n’avait plus les mêmes yeux indifférents qu’aux minutes précédentes, mais que ses yeux étaient attentifs.
Cependant, il dictait, avec des intervalles entre chacun des chiffres:
«21 – 9 – 18 – 5…12 – 5–4 – 1.»
Et soudain, je compris…, ou plutôt, je crus comprendre[6]. Par la fenêtre il comptait les reflets intermittents d’un rayon de soleil qui se jouait sur la façade noircie de la vieille maison, à la hauteur du[7] second étage.
«14 – 7…» me dit Lupin.
Le reflet disparut pendant quelques secondes, puis, coup sur coup[8], à intervalles réguliers, frappa la façade, et disparut de nouveau.
Instinctivement, j’avais compté, et je dis à haute voix[9]:
«5…
– Vous avez saisi? Pas dommage[10], ricana Lupin. – À votre tour, maintenant, comptez…»
J’obéis, tellement ce diable d’homme[11] avait l’air de savoir[12] où il voulait en venir. Le soleil continuait à danser en face de[13] moi, avec une précision vraiment mathématique.
«Et après? me dit Lupin, à la suite d’un silence plus long[14]…
– Ma foi[15], cela me semble terminé…»
Sans bouger de son divan, Lupin reprit:
«Ayez l’obligeance[16], mon cher, de remplacer chacun de ces chiffres par la lettre de l’alphabet qui lui correspond en comptant, n’est-ce pas, A comme 1, B comme 2, etc.»
Je notai les premières lettres: S-U-R-T-O-U-T…
«Un mot! m’écriai-je… Voici un mot qui se forme.
– Continuez donc, mon cher.»
Et je continuai.
«Ça y est? me dit Lupin, au bout d’un instant[17].
– Ça y est!.. Par exemple, il y a des fautes d’orthographe.
– Ne vous occupez pas de cela, je vous prie…, lisez lentement.»
Alors je lus cette phrase inachevée:
«Surtout il faut fuire le danger, éviter les ataques, n’affronter les forces enemies qu’avec la plus grande prudance, et…»
Lupin fit quelques pas de droite et de gauche dans la pièce, puis alluma une cigarette, et me dit:
«Ayez l’obligeance d’appeler au téléphone le baron Repstein et de le prévenir que je serai chez lui à dix heures du soir[18].
– Le baron Repstein? demandai-je, le mari de la fameuse baronne?
– Oui.
– C’est sérieux?
– Très sérieux.»
Absolument confondu, je décrochai l’appareil[19]. Mais, à ce moment, Lupin m’arrêta d’un geste autoritaire et prononça:
«Non… C’est inutile de le prévenir… Il y a quelque chose de plus urgent…»
Rapidement, il empoigna sa canne et son chapeau.
«Partons. Si je ne me trompe pas, c’est une affaire qui demande une solution immédiate.»
Dans l’escalier, il passa son bras sous le mien et me dit:
«Je sais ce que tout le monde sait. Le baron Repstein, financier et sportsman, dont le cheval Etna a gagné cette année le Derby d’Epsom et le Grand-Prix de Longchamp, le baron Repstein a été la victime de sa femme, qui s’est enfuie voilà quinze jours[20], emportant avec elle[21] une somme de trois millions, volée à son mari[22], et toute une collection de diamants, de perles et de bijoux, que la princesse de Berny lui avait confiée[23] et qu’elle devait acheter. Le baron Repstein offre une prime de cent mille francs à qui fera retrouver sa femme.
– Seulement, je ne vois pas, en vérité, le rapport qui existe entre cette histoire et la phrase énigmatique…»
Lupin ne daigna pas me répondre. Il descendit du trottoir et se mit à examiner[24] un immeuble de construction déjà ancienne.
«D’après mes calculs, me dit-il, c’est d’ici que partaient les signaux, sans doute de cette fenêtre encore ouverte.»
Il se dirigea vers la concierge et lui demanda:
«Est-ce qu’un de vos locataires ne serait pas en relation avec le baron Repstein?
– Comment donc! Mais oui, s’écria la bonne femme, nous avons ce brave M. Lavernoux, qui est le secrétaire, l’intendant du baron. Il est bien malade, ce pauvre monsieur…
– Malade?
– Depuis quinze jours… depuis l’aventure de la baronne… Et son docteur défend qu’on entre dans sa chambre. Il m’a repris la clef.
– Qui?
– Le docteur. Un vieux à barbe grise et à lunettes, tout cassé[25]… Mais où allez-vous, monsieur?
– Je monte.»
L’un derrière l’autre[26], ils montèrent les trois étages. Lupin ouvrit la porte. Nous entrâmes. Lupin poussa un cri[27]:
«Trop tard!»
Je vis un homme à moitié nu gisait sur le tapis[28].
«Il est mort, fit Lupin, après un examen rapide. – On l’aura saisi d’une main à la gorge, et de l’autre on l’aura piqué au cœur[29]. Je dis «piqué», car vraiment, la blessure est imperceptible.»
Soudain, comme la concierge se lamentait et appelait au secours, Lupin se jeta sur elle et la bouscula:
«Taisez-vous!..[30] Écoutez-moi et répondez. C’est d’une importance considérable.[31] M. Lavernoux avait un ami dans cette rue, n’est-ce pas? à droite et sur le même côté… un ami intime?[32]
– Oui.
– Son nom?
– Monsieur Dulâtre.
– Son adresse?
– Au 92 de la rue.
– Un