il s’en allait, il fut rejoint près de la porte par son domestique Bernard. Ils conversèrent tous deux à voix basse, mais Yvonne entendit ces mots que prononçait le domestique:
«J’ai reçu la réponse de l’ouvrier bijoutier. Il est à ma disposition.[82]«
Et le comte répliqua:
«La chose est remise à demain midi. Ma mère vient de me téléphoner qu’elle ne pouvait venir auparavant.»
Ensuite Yvonne perçut le cliquetis de la serrure. Elle comprenait peu à peu que son fils ne reviendrait pas, et qu’elle ne le reverrait jamais. Exaspérée par la douleur, de tous ses nerfs, de tous ses muscles, elle se raidit, en un effort brutal. Elle fut stupéfaite: sa main droite conservait une certaine liberté.
Comme la pendule frappait huit coups, la dernière entrave tomba. Elle était libre!
Elle ouvrit la fenêtre. Un agent de police se promenait sur le trottoir. Elle se pencha. Mais l’air vif de la nuit l’ayant frappée au visage, plus calme, elle songea au scandale, à l’enquête, aux interrogatoires, à son fils. Elle dit tout bas, à plusieurs reprises[83]: «Au secours… au secours…». Puis, avec des gestes mécaniques, elle allongea le bras vers une petite bibliothèque suspendue au-dessus du secrétaire, saisit un livre et trouva entre les pages une carte de visite: Horace Velmont, et cette adresse écrite au crayon: Cercle de la rue Royale.
Et sa mémoire évoqua la phrase bizarre que cet homme lui avait dite quelques années auparavant:
«Si vous avez besoin de secours, n’hésitez pas, jetez à la poste cette carte que je mets dans ce livre et quelle que soit l’heure, quels que soient les obstacles, je viendrai.[84]«
Yvonne prit une enveloppe, introduisit la carte de visite, inscrivit les deux lignes: Horace Velmont, Cercle de la rue Royale. Puis elle s’approcha de la fenêtre et lança l’enveloppe, la confiant au hasard.
Les douze coups de minuit… Puis la demie… Puis une heure… La clef venait de tourner dans la serrure. Du regard, Yvonne chercha une arme pour se défendre. Mais la porte fut poussée vivement, et, stupéfaite la jeune femme balbutia:
«Vous!.. vous!..»
Un homme s’avançait vers elle, et cet homme jeune, de taille mince, élégant, elle l’avait reconnu, c’était Horace Velmont.
«Est-ce possible! Est-ce possible que ce soit vous!..[85]«
Il parut très étonné.
«N’avais-je pas promis de me rendre à votre appel?
– Oui… mais…
– Eh bien, me voici,» dit-il en souriant.
Il examina les bandes de toile dont Yvonne avait réussi à se délivrer.
«J’ai vu également que le compte d’Origny vous avait emprisonnée… Il est sorti depuis dix minutes.
– Où est-il?
– Chez sa mère, la comtesse d’Origny.
– Comment le savez-vous?
– Oh! très simplement. Il a reçu un coup de téléphone pendant que, moi, j’en attendais le résultat au coin de cette rue et du boulevard.»
Il racontait cela le plus naturellement du monde, de même que l’on raconte, dans un salon, une petite anecdote insignifiante. Mais Yvonne demanda, reprise d’une inquiétude soudaine[86]:
«Alors, ce n’est pas vrai?… Sa mère n’est pas malade?… Partons… je ne veux pas qu’il me retrouve ici… je rejoins mon fils.
– Un instant…
– Un instant!.. Mais vous ne savez donc pas qu’on me l’enlève? qu’on lui fait du mal, peut-être?…»
Avec beaucoup de douceur, Velmont la contraignit à s’asseoir et prononça d’un ton grave:
«Écoutez-moi, madame, et ne perdons pas un temps dont chaque minute est précieuse. Il faut m’obéir aveuglément. De même que je suis venu à travers tous les obstacles, de même je vous sauverai, quelle que soit la situation.»
La tranquillité d’Horace Velmont, sa voix impérieuse aux intonations amicales, apaisaient peu à peu la jeune femme.
«Que dois-je faire? dit-elle.
– Me répondre, et très nettement. Nous avons vingt minutes. C’est assez. Ce n’est pas trop.
– Interrogez-moi.
– Croyez-vous que le comte ait eu des projets… criminels?
– Non.
– Il s’agit donc de votre fils?
– Oui.
– Il vous l’enlève, n’est-ce pas, parce qu’il veut divorcer et épouser une autre femme, une de vos anciennes amies[87], que vous avez chassée de votre maison?…
– Oui.
– Cette femme n’a pas d’argent. De son côté[88], votre mari, qui s’est ruiné, n’a d’autres ressources que la pension qui lui est servie par sa mère, la comtesse d’Origny, et les revenus de la grosse fortune que votre fils a héritée de deux de vos oncles. Votre mari veut l’argent de votre fils, mais il ne peut rien contre vous ni contre lui. Alors, si un homme comme le comte, après tant d’hésitations et malgré tant d’impossibilités, se risque dans une aventure aussi incertaine, c’est qu’il a, ou qu’il croit avoir entre les mains[89], des armes.
– Quelles armes?
– Je l’ignore. Mais elles existent… Le comte n’a pas un ami plus intime… auquel il se confie?…
– Non.
– Personne n’est venu le voir hier?
– Personne.
– Il était seul quand il vous a liée et enfermée?
– À ce moment, oui.
– Mais après?
– Après, son domestique l’a rejoint près de la porte, et j’ai entendu qu’ils parlaient d’un ouvrier bijoutier…
– C’est tout?
– Et d’une chose qui aurait lieu le lendemain, c’est-à-dire aujourd’hui, à midi, parce que la comtesse d’Origny ne pouvait venir auparavant.»
Velmont réfléchit.
«– Où sont vos bijoux?
– Mon mari les a vendus.
– Il ne vous en reste pas un seul?
– Non, dit-elle en montrant ses mains, rien que cet anneau.
– Qui est votre anneau de mariage?
– Qui est… mon anneau…»
Elle s’arrêta. Velmont nota qu’elle rougissait, et il l’entendit balbutier:
«Serait-ce possible?… Mais non…»
À la fin[90], elle répondit, à voix basse:
«Ce n’est pas mon anneau de mariage. Un jour, il y a longtemps, je l’ai fait tomber de la cheminée de ma chambre, et, malgré toutes mes recherches, je n’ai pu le retrouver. Sans rien dire, j’en ai commandé un autre… que voici à ma main.
– Le véritable anneau portait la date de votre mariage?
– Oui…